Témoignage extraordinaire d’un déçu de Daech qui revient dans cette interview sur les quelques années passées sur place et sur la réalité de son engagement. On comprend clairement que beaucoup ont été trompés arrivés sur place mais que malheureusement il ne leur était plus possible de reculer, c’était trop tard. Leurs rêves de justice et d’harmonie se sont transformés très vite en chaos et en barbarie ; la naïveté n’est certainement plus une qualité aujourd’hui. C’est une bonne nouvelle, une lueur d’espoir dans le chaos ambiant.
Cet homme n’est pas un repenti, c’est un déçu.
Hocine ne regrette rien. « Quand quelqu’un vous dit : “Venez défendre vos frères musulmans par les armes”, vous êtes comblé de joie… Vous êtes prêt à mourir pour eux, comme n’importe qui défendrait sa nation. » Il a 59 ans, mais a l’air d’un vieillard. Il est né en Algérie, a vécu au Brésil et s’est installé en France, en 2013, grâce à un titre de séjour de dix ans, pour épouser une Française, un amour de jeunesse. Au Brésil, il était professeur de langues et tenait aussi un petit commerce. En France, il a seulement travaillé une semaine dans les entrepôts d’un important site de vente en ligne. Puis il est resté sans emploi. Jusque-là, Hocine n’avait jamais pratiqué sa religion.
« J’étais athée, explique-t-il, j’étais dans la musique, le rock… Je me considère presque comme un converti. » Son épouse aussi s’est convertie… Comme lui, elle est convaincue que l’Occident colporte tout un tas de « clichés mensongers » sur la femme « opprimée ». « Ma femme, elle est normale, comme vous, me dit-il. Elle fait la prière et le ramadan mais ne porte pas le voile et je ne l’y pousse pas. Si son intention était de le porter par rapport à moi et non pas par rapport à Dieu, alors son “intention” serait pervertie. Et elle n’obtiendrait pas la récompense de Dieu. C’est elle qui décide. » Des clichés, pourtant, il n’hésite pas à en véhiculer : « Le Prophète ne conseille-t-il pas de prendre soin de “sa mère” plus que de son père, parce que la femme est “faible” ? » Une réalité physiologique indéniable, selon lui, « du fait des règles qui font qu’elle est énervée tout le temps et qu’elle a des enfants… ce qui demande plus d’attention que les hommes ». Des enfants, il en voulait « dix ou vingt », mais son mariage à un âge trop avancé ne l’a pas permis.
Hocine cherche encore le monde idéal qu’il croyait trouver à Raqqa. Il ne lui a pas fallu quinze jours pour comprendre qu’il avait fait une erreur. Trop tard. Plus le temps de discuter, encore moins de contester. Dans le centre d’apprentissage de la charia où il passe les vingt-cinq premiers jours, il rencontre six Français au milieu d’arrivants de toutes les nationalités. « Aucune pensée, aucune profondeur. Ce n’était que des choses pragmatiques : quand et comment faire la prière, quelles règles respecter, etc. » L’islam pour les nuls…
Trop âgé pour combattre, il est affecté au bureau des mariages, où défilent ceux qui multiplient les unions temporaires « pour satisfaire uniquement un désir sexuel ». De la prostitution dissimulée, selon lui. Les femmes célibataires ou veuves sont enfermées dans des maisons appelées « maqqar », où les hommes viennent les choisir. « Les plus belles sont proposées aux juges ou aux émirs. » Surtout, « elles n’ont pas le choix », ce qui est, de son point de vue, contraire à l’islam. Face à la « pression sociale », et pour prouver qu’il n’est pas un « kouffar », Hocine aussi doit se marier. On lui trouve une veuve de 45 ans, qui a déjà perdu deux enfants à la guerre. Leur union ne dure qu’un mois et demi. « Ça ne pouvait pas marcher : elle m’a épousé uniquement pour pouvoir sortir du maqqar. J’ai compris qu’elle n’était qu’une victime. » Tout comme ces gamines yézidies « achetées et vendues comme au souk, et qu’on pouvait choisir sur catalogue ».
Il rêve encore d’un État islamique. Plus beau, plus pur, ailleurs.
Lui, qui se considère comme un pédagogue, un idéologue éduqué, est choqué par ces « Syriens à 90 % illettrés, maintenus dans une ignorance totale et manipulés », autant que par ces jeunes Français « tout aussi illettrés qui se prenaient pour Rambo et ne connaissaient rien à l’islam, qui est une science aussi complexe que la médecine ». L’islam qu’il défend prône le débat « comme au temps du Prophète »… Mais, dans l’État islamique en guerre, le Prophète n’est plus qu’un combattant, « tueur de kouffars ». L’obéissance prônée par le Coran n’est plus sagesse mais terreur. « Il y avait des informateurs partout, on ne pouvait faire confiance à personne. Pour un mot mal interprété, c’était l’amputation, voire la crucifixion ou la décapitation… Même l’idée de sortir de l’État était un crime qui pouvait mériter la mort. Il y avait des barrages partout… »
Hocine a profité d’une offensive pour quitter la ville. Il n’était qu’« un vieux schnok » qui avait perdu ses illusions, et il a marché vers les forces kurdes. C’était le 4 juin. Il n’accuse personne : « Je n’ai été manipulé que par moi-même. » Il voudrait reprendre son bâton de pèlerin, « pour réparer mon erreur en expliquant aux jeunes que tuer ne fait pas de vous un héros. Une gifle est réparable, un vol est réparable, mais tuer ne l’est pas ». Ce partisan de la charia n’a rien perdu de ses convictions. Il rêve encore d’un État islamique. Plus beau, plus pur, ailleurs. Le retour à la réalité ne le rend pas heureux : « On voulait faire connaître l’islam. On a présenté des images de décapitations et de terrorisme. On n’a fait que décrédibiliser cet islam que j’étais venu chercher. Pour gagner quoi ? »
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