Le droit de la presse contre les libertés académiques  ?

0
PARTAGES
0
VUES
Au_Palais_de_Justice_de_Rennes
Au palais de justice de Rennes. Photo Damien Meyer. AFP

EDF-Enedis vient de faire la même chose en attaquant le professeur Belpomme concernant son travail essentiel et salvateur sur les patients hypersensibles aux radiations électromagnétiques qui mettent à mal l’installation du nouveau compteur Linky. En d’autres termes, des politiciens ou des hommes chefs d’entreprises veulent se mêler du travail universitaire et de recherche qui ne va pas dans le sens de leurs intérêts. Ainsi va la France en 2018…


Un maire, mécontent de l’analyse rédigée par une professeure de droit dans une revue juridique, a obtenu d’y publier un droit de réponse venimeux et diffamatoire.

Une nouvelle manière d’intimider les universitaires et de brider leur expression.

C’est un nouvel épisode dans la tentative de certains acteurs, publics ou privés, de bâillonner l’expression des universitaires dans le cadre d’une publication scientifique. Cette fois c’est l’austère revue Actualité juridique – droit administratif (Ajda) qui a été le théâtre d’une volonté d’intimidation, et une certaine vision du droit de la presse qui en a été l’outil.

Depuis plusieurs années, des poursuites en diffamations avaient été intentées contre des chercheurs pour tenter de les décrédibiliser. On pouvait légitimement espérer après l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 septembre dernier que les enseignants-chercheurs juristes seraient protégés des tentatives de mise en cause de leur liberté d’expression sous la forme de «procédure – bâillon», ces poursuites judiciaires coûteuses que leur intentaient des acteurs beaucoup plus fortunés qu’eux.

Dans cette décision, la cour avait sévèrement jugé l’action en diffamation menée contre le commentateur d’un arrêt dans une revue scientifique, en énonçant que le fait même d’engager une telle procédure constituait «une atteinte à la liberté d’expression» de l’enseignant-chercheur. Et pour bien se faire comprendre elle avait condamné la société privée qui avait engagé l’action à 20  000 euros de dommages-intérêts pour «procédure abusive».

Hélas, l’encre de cet arrêt était à peine sèche que les universitaires juristes ont constaté que la contestation de leurs analyses scientifiques par des intérêts particuliers ne cessait pas pour autant. Et puisque la porte du prétoire leur a été fermée par la cour d’appel de Paris, c’est en usant des ressources du droit de la presse et du droit de réponse qu’ils essayent de se faire entendre.
Une professeure de droit public avait publié dans l’Ajda –  une revue de référence – le commentaire d’un jugement de tribunal administratif annulant la délibération d’un conseil municipal prévoyant la suppression des menus de substitution dans les cantines. Quelques semaines plus tard, dans son numéro du 17 décembre 2017, la revue publiait le droit de réponse exigé par le maire de la commune concernée. Droit de réponse particulièrement venimeux et de toute évidence diffamatoire accusant l’auteure de « faire un amalgame malhonnête et hâtif », de « défaut de neutralité », de « militantisme affiché », sous prétexte qu’elle est par ailleurs membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, saisie pour avis par le tribunal administratif dans cette affaire. Le maire contestait son droit d’analyser une décision de justice qui a fait l’objet d’un appel.
En soi, le fait d’admettre que les analyses produites par des universitaires soient soumises à la discussion n’est pas contestable.
Cette discussion peut s’opérer dans un cadre académique, et les juristes sont d’ailleurs familiers des « controverses » qui enrichissent la réflexion. Elle peut aussi s’opérer hors du cadre académique car les universitaires inscrivent leurs réflexions dans une réalité sociale et il est donc normal qu’ils soient soumis à la critique des acteurs sociaux.
Mais ce qui se joue ici est différent. Nous sommes très loin de la discussion, académique ou non. Sous cette forme du droit de réponse, l’élu poursuit en réalité les mêmes objectifs que les auteurs de la plainte en diffamation qui ont été condamnées par la décision de la cour d’appel de Paris  : décrédibiliser l’analyse scientifique, en contester la légitimité et procéder à une tentative d’intimidation de l’auteure comme de la revue. Cette tentative d’intimidation fonctionne, du point de vue de la revue puisque celle-ci s’est sentie dans l’obligation de publier ce droit de réponse « conformément à la loi ». La démarche est insidieuse. Il est évident que les revues juridiques ne pourront pas, pour des raisons matérielles et commerciales évidentes, accepter les droits de réponse que leur adresseront les parties à un procès à chaque fois que la thèse qu’elles défendent en justice a été contestée dans un commentaire de la décision de justice. Les revues n’auront alors d’autre choix que de demander aux auteurs et auteures de tempérer leurs propos, d’en «assurer la neutralité», bref par autocensure de limiter leur liberté d’expression, aboutissant ainsi sans avoir besoin d’un juge au même résultat que celui qui a été sanctionné par la cour d’appel de Paris.
C’est la raison pour laquelle il est important de réfléchir de manière plus globale sur la possibilité d’exclure les revues scientifiques du champ d’application du droit de la presse et en particulier du droit de réponse.
Cela ne créerait pas d’immunité au profit des enseignants-chercheurs puisque leurs contradicteurs pourraient demander la publication d’un point de vue, lequel serait examiné selon les mêmes critères que ceux des autres articles par le comité de rédaction où le conseil scientifique de la revue. Les libertés académiques et au premier chef d’entre elles la liberté d’expression s’en trouveraient mieux protégées et la possibilité de discussion des prises de position des auteurs n’en serait pas pour autant amoindrie. Une telle proposition aurait en outre le mérite d’éviter que les enseignants-chercheurs ne soient contraints, à leur tour, des juridictions pénales pour faire sanctionner les droits de réponse abusifs. Ce qui signerait l’échec de la logique mise en place par l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui vise à éviter la judiciarisation des écrits scientifiques.
Plus fondamentalement encore, si la recherche académique doit accepter d’être soumise à la discussion et à la contradiction, sa fragilité et la faiblesse des moyens de défense de ses auteurs et auteures justifie, au-delà de la […]


Frédéric Rollin Professeur de droit public Serge Slama Professeur de droit public

En rapport : Articles

Article Suivant

SUIVEZ-NOUS

Contenu Premium

Pas de contenu disponible

CES 7 DERNIERS JOURS

Heureux de vous revoir!

Se connecter avec votre compte

Créer un Nouveau Compte!

Remplissez les champs pour vous enregister

Récupérer votre mot de passe

Merci d'entrer votre nom d'utilisateur ou votre email pour réinitialiser votre mot de passe

Êtes-vous sûr de vouloir débloquer cet article?
Débloquages restant : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler votre abonnement?