L’égalité homicide
On eût pu parler de méfaits, ou tout au moins de mauvais usage de l’égalité, mais dans le jugement d’une action, l’on remonte au principe ; et en ce sens, la faute ressemble à l’erreur qui est un faux point de départ. Notre infortunée jeunesse contemporaine, qui est une imitation précoce de l’âge adulte et pour cette raison précocement sexualisée par les fulminations de la théorie du genre entrée dans nos classes primaires, est abreuvée d’exigences égalitaires, au point qu’une décision burlesque a été prise, et se trouve être en voie de généralisation, de supprimer l’inégalité des notes ; ce qui a pour premier résultat de décapiter l’autorité non pas du maître (ou pour parler vulgairement, ce que n’eût pas fait l’âge classique, de l’enseignant ou apprenant, à savoir du dresseur), mais des meilleurs éléments capables d’entraîner le reste, car ils permettent de franchir plusieurs degrés d’inégalités ! Cette notion était commune au temps de l’ordre relatif et se perd dans notre chaos en passe de devenir absolu.
L’idée de cette chronique est redevable à l’observation de Salim Laïbi, laquelle n’a que le mérite de dire tout haut ce que tout praticien honnête sait par expérience, que l’égalité physiologique n’existe pas devant le virus, qu’un vaccin est un risque inégal pour tous et un terme fatal pour des organismes surtout aussi fragiles que les nourrissons. C’est une vérité empirique, pour employer un terme grec désignant autrefois les médecins, que l’égalité est une abstraction, qu’il est vrai qu’une main normale ressemble à une autre de normale, mais, selon un mot d’un professeur de physiologie que nous rapportait un de nos chers maîtres de philosophie, ancien interne des hôpitaux parisiens, pareille main ne se trouve jamais. Ce professeur du lycée Henri IV, Henri Dreyfuss Le Foyer, ennemi irréductible du jacobinisme et de l’idéologie marxiste et freudienne, nous l’avait dit, il m’en souvient, en commentant le sujet de philosophie que Michel Foucault, au début des années soixante avait posé au concours de l’École Normale où il était correcteur, “Qu’est ce qu’un homme normal ?”. Un idéal, mais qui s’il est pris à la lettre, comme une évidence, ainsi que chacun peut se dire citoyen, devient une cause d’orgueil et de mépris de la nature ! Ce mot commençait d’être chassé des esprits par nos collègues inquisiteurs, qui souillaient la conscience par appel à un inconscient tolérant tous les vices : “La théorie des pulsions est, pour le dire ainsi, notre mythologie” (die Trieblehre ist, um es so zu sagen, unsere Mythologie), disait le calomniateur du monothéisme, le déicide, ou dans son égarement, se croyant tel, en effet l’homicide et infanticide Freud, empoisonneur public.
Que de crimes a-t-on commis, non pas au nom de la liberté seulement, comme a dit une femme, abusée par la Révolution française, sur le chemin de l’échafaud, mais de l’égalité : les philosophes, au temps de l’ordre relatif, que manifestait la culture ou la beauté évanouie aujourd’hui, ordre remplacé par le chaos absolu où Satan s’égare avec ses victimes séduites, écartaient l’évidence de l’égalité, une fois sortie de l’abstraction, et parlaient d’elle, en découvrant la notion de force, seule réelle, comme de la plus petite des inégalités, soit, insistons-y, d’une force ou d’une tendance, et de même pour la justice, selon le mot de Leibniz, la plus petite des injustices, si elle veut rester humaine.
“Si les animaux pouvaient parler, comme dans la sagesse du fabuliste, ils soutiendraient que la meute ne vaut que par le chef, que seule l’inégalité fait un corps,…”
Un homme déjà cité par nous, a dénoncé le caractère criminel de l’égalité, et qui avait refusé le titre de citoyen français que lui apportait en Allemagne, la secte des Illuminés disciples de Weishaupt ayant triomphé à Paris, ville lumière maçonnique, pourrait-on ainsi plaisanter, si le sang des victimes ne nous contraignait au silence, Frédéric de Schiller, dans une pièce qui ne fut représentée que longtemps après sa mort, soit une fois dissipées les ténèbres des partisans du jacobinisme en Allemagne ! C’est la fameuse pièce intitulée, nos lecteurs le savent, Demetrius, du nom d’un général byzantin exilé, (et la scène se situe en Europe orientale). Quelques vers, rares à trouver ailleurs et inconnus dans notre littérature dramatique, montrent et l’absurdité et la criminalité, voire l’aspect homicide de cette notion, car elle implique que le bien soit égal à ce qui s’éloigne de lui, que le plus grand bien soit comme le bien médiocre, et que la différence entre le simple vice et le plus grand, ou l’échelle des valeurs, n’empêche qu’un homme reste égal à l’autre, que nous sommes dans la même galère et qu’un homme ou une femme (à supposer que l’inégalité diminue entre eux, comme y pousse l’égalitarisme ou le communisme, bref la perte de la propriété) doivent être justement égalisés par le bas, comme des machines sexuelles ou consommatrices, sinon consommées.
Cette protestation venait d’un artiste, et la beauté en effet est une distinction, non pas une imitation, ce qui explique cette opinion que nous soumettons à la sagacité du lecteur et qui est dans une phrase de Platon citée dans notre livre qui vient de paraître, que la gymnastique l’emporte, dans l’éducation, sur la musique, la force individuelle étant supportée par la collective et non l’inverse, à quoi tient la paresse ou l’inertie actuelle.
Si les animaux pouvaient parler, comme dans la sagesse du fabuliste, ils soutiendraient que la meute ne vaut que par le chef, que seule l’inégalité fait un corps, mais l’homme est double, d’une part il se sait exister, mais d’autre part, se prend pour une essence, ce qui ne vaut que pour la source de notre être, à savoir la Création dont les inégalités sont la preuve de sa force, et l’indication d’une finalité qui la rend dépendante d’un Dieu que l’égalité déicide veut arracher des esprits !
Pierre Dortiguier