Le néoconservatisme américain peut se définir comme l’idéologie impérialiste du moment, un mouvement de pensée se donnant pour objectif la domination mondiale par la seule superpuissance que constitueraient les États-Unis d’Amérique, quitte à recourir à la force et au mensonge, ou à commettre des crimes de guerre s’élevant à plusieurs millions de morts.
Malgré les changements d’administation à la Maison Blanche, cette idéologie est ancrée dans ce qu’un universitaire et ancien diplomate canadien, Peter Dale Scott, appelle « l’État profond américain », c’est-à-dire le gouvernement de l’ombre qui dirige véritablement le pays.
Nous devons revenir sur plusieurs personnages et documents-clés qui permetteront aux lecteurs de cerner la mentalité et la vision du monde des prêcheurs de cette idéologie, qui influencent la politique mondiale encore de nos jours. Une idéologie source de chaos.
Project for the New American Century (PNAC)
Le néoconservatisme est apparu durant les années 80, notamment avec Irving Kristol, ancien troskiste. Il basculera d’un extrême à un autre et deviendra l’un des fondateurs du Project for the New American Century. Ce think-tank produira, en septembre 2000, le document Reconstruire les défenses de l’Amérique, qui prônait, entre autres, l’augmentation du budget de la Défense, la création d’une quatrième armée : l’armée spatiale, l’introduction de nouvelles technologies dans les différents corps d’armée…
Un programme qui avait pour but d’assurer la prééminence des États-unis et d’empêcher l’émergence de tout rival potentiel dans le monde. Parmi les signataires de ce document, nous retrouvons toute la clique des néocons : William Kristol, président du PNAC et fils d’Erving Kristol ; Jeb Bush, frère du président George W. Bush ; Donald Rumsfeld, Dick Cheney, Paul Wolfowitz et Elliott Abrams, tous ayant servi dans l’administration Bush.
Petite anecdote : le document précisait que ce « processus de reconversion, même s’il introduit un changement radical, sera vraisemblablement long, à moins d’un événement catastrophique jouant le rôle de catalyseur – comme un nouveau Pearl Harbor ». Coup de chance, le « nouveau Pearl Harbor » est arrivé un an après la publication, le 11 septembre 2001. Le “processus de reconversion” pouvait alors commencer : instauration de lois sécuritaires via le Patriot Act, « guerre contre la Terreur », invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, bombardement du Pakistan par des drones… tous ces faits de guerre conduisirent à l’accroissement de la déstabilisation du Moyen-Orient et à plus d’1,3 million de morts.
Zbigniew Brzeziński et l’Eurasie
L’ancien conseiller américain à la Sécurité Nationale, Zbigniew Brzeziński, est l’un des fondateurs de la Commission Trilatérale, un cénacle mondialiste, avec Henry Kissinger et David Rockefeller. En 1997, il est également l’auteur d’un livre axé sur la géopolitique, Le grand échiquier, dans lequel il défend que la « primauté globale » dépend de la capacité de l’Amérique à conserver cette position géostratégique qu’est l’Eurasie.
Brzeziński cite les différents mécanismes nécessaires pour arriver à cette « primauté globale » : l’OTAN, les organismes économiques que sont l’ALENA ou l’APEC, et les institutions de coopération mondiale comme le FMI, la Banque Mondiale ou l’OMC. Il ajoute à cette liste le soutien à une Europe unie, dans laquelle l’Allemagne jouerait « le rôle de bon citoyen de l’Europe et de partisan déterminé des États-Unis », une Europe dans laquelle serait intégrée l’un des « pivots géostratégiques cruciaux » : l’Ukraine.
Brzeziński voulait que l’Ukraine intègre l’Union européenne et l’OTAN entre 2005 et 2015, formant ainsi la « colonne vertébrale de la sécurité européenne » (France, Allemagne, Pologne et Ukraine) pour ainsi isoler la Russie. Dans le but de renforcer les liens euro-américains, Brzeziński défendait déjà l’idée d’un « traité de libre-échange transatlantique » afin d’éviter, selon lui, « la rivalité économique entre les États-Unis et l’Union Européenne ». « L’espace géopolitique dit euro-atlantique » serait alors constitué.
Enfin, il pointe le doigt sur la menace que constituerait l’émergence de la Chine au rang mondial et de la possibilité (peu probable selon lui) d’une alliance Russie-Chine-Iran.
Autre caractéristique des mécanismes de domination, Brzeziński insiste sur la nécessité de propager la culture de masse américaine, et en particulier sur la jeunesse, ce qui permettrait le déploiement d’une « séduction irrésistible » : cinéma, musique, programme TV, phénomènes de mode vestimentaire ou alimentaire. Une domination culturelle, en somme.
Samuel Huntington et « le choc des civilisations »
Autre personnage-clé du néoconservatisme, le professeur Samuel Huntington (1927-2008). En 1993, il publira dans la revue Foreign Affairs (l’organe de presse du think-tank américain Council on Foreign Relations (CFR) ou Conseil des Relations Étrangères) une thèse intitulée « Le Choc des civilisations ». Dans cette thèse, il développe le fait que les guerres de « civilisations » sont en passe de « devenir la base de la politique mondiale ». Huntington subdivise le monde en huit grandes civilisations : les civilisations occidentale (Amérique du Nord, Europe et Australie), latino-américaine, africaine, islamique, indoue, chinoise, orthodoxe, bouddhiste et japonaise. Il insiste sur les « conflits de culture entre civilisation occidentale et islamique » et les « conflits économiques entre monde occidental et monde asiatique [Chine] ». Il affirme que la résurgence de l’Islam entraînera un conflit avec l’Occident qui serait guidé par la volonté de dominer l’Autre.
Parmi les solutions que propose Huntington pour « préserver » la civilisation occidentale, il préconise de « mener à bien l’intégration politique, économique et militaire pour coordonner leurs politiques afin d’empêcher les États d’autres civilisations d’exploiter leur différends ». En somme, il faut créer des institutions supranationales qui engloberaient l’Europe et l’Amérique au nom d’un « tronc culturel commun » pour « contrecarrer le déclin relatif de l’Occident ».
Autres propositions : intégrer les États occidentaux à l’Union européenne et à l’OTAN, encourager « l’occidentalisation » de l’Amérique latine, freiner le développement militaire des États de l’Islam et chinois, et enfin, maintenir la supériorité technologique et militaire de l’Occident sur les autres civilisations.
Sa vision simpliste du monde avait pour but de masquer les conflits générés par des intérêts énergétiques, économiques et géostratégiques sous le faux nez de conflits culturels ou de civilisations. Cette thèse légitimerait la suprématie des États-Unis en tant que chef de la civilisation occidentale sur les autres nations, au nom d’un danger commun.
James Burnham et « l’Empire mondial »
James Burnham (1905-1987) est un politologue américain, ancien trotskiste comme Irving Kristol (le fondateur du PNAC), agent de l’OSS durant la Seconde Guerre mondiale, puis expert auprès de la CIA durant l’après-guerre. Il a écrit pour le magazine conservateur National Review.
En 1947, il écrit un livre, The Struggle for the World (Pour la domination mondiale, en français) dans lequel il expose que la solution face à la menace de la bombe atomique serait la création d’un Gouvernement mondial dont les États-Unis joueraient un rôle central et serait le seul détenteur de l’arme atomique.
« Ce gouvernement mondial exercerait la souveraineté mondiale suprême et serait investi du monopole atomique » (p. 63)
Burnham ira jusqu’à prôner l’établissement d’un Empire mondial :
« Un empire mondial est devenu possible et on tentera de l’établir »
« J’entends par Empire mondial un État non nécessairement mondial par son étendue physique, mais dont le pouvoir politique dominera le monde, pouvoir imposé en partie par coercition (probablement par la guerre, mais certainement par la menace de guerre) et dans lequel un groupe de peuples, dont le noyau sera l’une des nations existantes, détiendra plus que sa part égale de pouvoir » (p. 77-78)
Pour lui, la guerre froide se résume à savoir qui de l’Amérique ou de l’Union Soviétique va établir cet Empire mondial, qui prendrait la forme d’une « Fédération impériale ». Une fédération dont les États-Unis seraient les maîtres.
« Une Fédération mondiale créée et dirigée par les États-Unis serait, nous l’avons reconnu, un Empire mondial. Dans cette fédération impériale, les États-Unis jouiraient, avec le monopole des armes atomiques, d’une supériorité matérielle décisive sur tout le reste du monde. C’est-à-dire qu’il n’y aurait pas, dans la politique mondiale, d’”équilibre des puissances”. » (p. 283)
En somme, remettre la souveraineté des nations et la liberté des peuples dans les mains d’une autorité toute puissante, au nom de la paix. L’Enfer est pavé de bonnes intentions…
Burnham n’excluait pas la possibilité que cette autorité mondiale serait totalitaire, mais il se voulait rassurant, prétendant que ce n’était pas une fatalité. À chacun de se faire une opinion.
Cecil Rhodes et la « Fédération impériale anglo-américaine »
Dernier personnage-clé de cet article, Cecil Rhodes (1853-1902) n’est pas américain mais britannique. Homme d’affaire et politicien, il a fondé vers la fin du XIXe siècle la société secrète The Round Table (ou la Table Ronde), avec Alfred Milner et avec l’appui de Lord Nathan Rothschild. Toutes ces personnes appartenaient à la franc-maçonnerie anglaise.
D’après le Pr. Carroll Quigley, dans son ouvrage Histoire secrète de l’oligarchie anglo-américaine, voici ce que cette société secrète avait l’intention de créer :
« Une idéologie d’une vision du monde commune pour les peuples du Royaume-Uni, de l’Empire et des États-Unis ; d’instruments de pratiques de coopération entre diverses communautés afin de leur permettre de poursuivre des politiques parallèles ; d’une fédération sur une base impériale anglo-américaine ou mondiale » (p. 241)
Cette société secrète est un groupe de « fédéralistes impériaux » qui a « pris une part très importante dans la formation et la direction de la Société des Nations ». Leur but était d’unifier le monde par « l’influence économique et politique secrète exercée en coulisses et par le contrôle des agences de presse, éducatives et de propagande ».
La Table Ronde disposait de trois puissants groupes de réflexion : la Royal Institute of International Affairs (RIIA) aussi appelé la Chatham House, créée en 1919 à Londres, le Council on Foreign Relations (CFR), créé en 1921 à New-York, et l’Institute of Pacific Relations (IPR), organisé en 1925 pour les pays ayant un territoire baignant sur le pourtour de l’océan Pacifique.
Notons la similitude qui existe entre la Table Ronde de Cecil Rhodes et la Commission Trilatérale, fondée par David Rockefeller, qui dispose également de trois branches : Amérique du Nord, Europe et Asie pacifique.
Conclusion
En l’espace de plus d’un siècle, nous pouvons observer une constance de l’idéologie impérialiste, essentiellement anglo-américaine. Le néoconservatisme américain a pour racine l’impérialisme anglais et la société secrète de Cecil Rhodes, toujours active, surtout à travers le CFR.
James Burnham influencera pour longtemps le courant néoconservateur, tout comme Samuel Huntington, dont la thèse du « Choc des civilisations » est apparue sur le devant de la scène grâce à la revue Foreign Affairs, le magazine du CFR. Quant à Zbigniew Brzezinski, Dick Cheney, Paul Wolfowitz, David Rockefeller, tous sont membres du CFR, ils ne sont pas en reste.
Cependant, tous les partisans de cet « Empire mondial » ou « Gouvernement mondial » devraient savoir qu’à travers l’Histoire, tous les empires ont connu une fin tragique. De l’empire babylonien à l’empire soviétique, en passant par celui d’Alexandre le Grand, Rome, le Saint-Empire Romain Germanique, l’Empire napoléonien, le IIIe Reich… aucun n’a survécu à l’épreuve du Temps. Même l’Empire britannique finit par décliner pour céder sa place de leader aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale.
Tous avaient cette vocation d’ériger un empire universel mais aucun d’entre eux n’a JAMAIS réussi. Cet élément historique peut permettre aux opposants à cette forme de despotisme d’être confiants dans l’avenir et de connaître la finalité du Nouvel Ordre Mondial que l’oligarchie mondialiste nous prépare : destination Babel !
Et Babel fut un échec retentissant.
Tout empire périra.
— Jean-Baptiste Duroselle (1917-1994), historien français
La marche irrésistible du Nouvel Ordre Mondial – Destination Babel, de Pierre Hillard, Éditions François-Xavier de Guibert