Une comédie politique sans fin
Chaque peuple peut avoir ses défauts, mais rares sont ceux qui se fixent sur les leurs, car ils préfèrent se moquer en imaginant que jamais le déluge n’engloutira leur Atlantide. C’est ainsi que les conservateurs ou les représentants de la société traditionnelle, qui sont le parti de l’ordre ont cru se dresser contre les révolutionnaires, alors qu’ils usaient des mêmes termes, pensaient de façon identique et causaient donc les mêmes illusions et misères.
Prenons cette formule clef de la doctrine marxiste que sont les dites Thèses sur Feuerbach, en particulier cette onzième et dernière : jusqu’à présent les philosophes ont interprété le monde, alors qu’il s’agit de le transformer. Formule polémique et très courte, puisque la transformation implique une idée bien arrêtée et donc une interprétation de la nature et de l’être même des choses. Cette forme de pensée imprimée au XIXe siècle, se retrouve, pour ce qui est de l’exaltation de la transformation du monde, dans Chateaubriand : comme il s’agit des Mémoires d’Outre-Tombe (livre trente-deuxième, chapitre 16, intitulé “Les républicains au Palais-Royal”, un cadre est donc décrit, celui de la révolution ayant amené le roi de la dynastie maçonne des Orléans remplacer un autre frère, comme on doit savoir, Charles X, et de retrouver la galerie des agités et des bavards : “Louis-Philippe, assis contre M. de la Fayette et M. Laffitte (le banquier), les bras passés sur l’épaule de l’un et de l’autre, s’épanouissait d’égalité et de bonheur “J’aurais voulu”, poursuit Chateaubriand illusionné, “mettre plus de gravité dans la description de ces scènes qui ont produit une grande révolution, ou, pour parler plus correctement, de ces scènes par lesquelles sera hâtée la transformation du monde…”. Nous hâtons, ou plutôt nos maîtres libertaires en apparence et tyrans en réalité, le plus souvent à coup de guerres, cette transformation du monde, en introduisant de force une manière d’agir et de penser répugnant à l’ordre naturel et humain, et cela vient précisément d’une lubie de banquier, scrupuleux, comme l’était Laffitte pour lui-même et ses entreprises, mais impitoyable à briser tout sur son passage, au point que le jeune et futur Napoléon III, se fera connaître et apprécier de l’opinion populaire par un ouvrage, qui devrait être le programme de tout candidat sérieux, partout et toujours : “l’extinction du paupérisme”.
Cette transformation du monde est portée par une mentalité à courte vue, qui est “hâtée”, comme s’en exprime Chateaubriand en bon observateur plus que raisonneur et elle produit cette situation explosive que nous connaissons toujours, car toute révolution est un mouvement de désordre, et que seule la liberté de juger sainement réclame et garantit des réformes !
Pierre Dortiguier