Alors qu’ils pataugent depuis de nombreuses années dans des scandales meurtriers – Diane 35, PIP, Mediator, Vioxx, Prozac, Roaccutane,… – qui remettent en cause la légitimité et le sérieux du métier de médecin, l’ordre qui devrait justement remettre un peu d’ordre dans la profession, en expulsant à jamais les puissants lobbyistes de l’art de guérir s’attaque à un éminent chirurgien, le Pr Henri Joyeux. Cette manière de traiter les confrères est assez curieuse puisque le professeur sur-diplômé et émérite d’hier devient un charlatan dès qu’il remet en cause certaines pratiques crapuleuses !!! Comme si les milliers d’actes de chirurgie réalisés, les milliers d’heures de cours, les innombrables publications… tombaient à l’eau, d’un seul coup !
Le professeur Henri Joyeux est-il coupable d’avoir alimenté, ces derniers mois, la défiance à l’égard de la vaccination ? Le chirurgien cancérologue, âgé de 70 ans, doit comparaître, vendredi 27 mai, devant la chambre disciplinaire du Conseil de l’ordre des médecins de Languedoc-Roussillon, à Montpellier, pour avoir « déconsidéré la profession », en tenant des « discours alarmistes » et en s’appuyant sur des « preuves scientifiques non établies ».
Retraité du bistouri depuis septembre 2014, il risque une radiation du tableau de l’ordre, c’est-à-dire une interdiction de faire état de son statut de docteur en médecine.
L’homme est controversé. Ancien président de Familles de France, une association qui s’est opposée au mariage homosexuel, M. Joyeux est connu pour ses prises de position conservatrices sur la famille. La ministre de la santé, Marisol Touraine, l’a décrit il y a un an comme « un médecin qui s’est déclaré contre la pilule, contre l’avortement, qui a pris des positions rétrogrades sur toute une série de sujets ». Mais ce ne sont pas ces sujets politiques qui lui ont valu d’acquérir une petite notoriété, ces dernières années, auprès du grand public, au gré des invitations sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio.
IL REVENDIQUE LE PARLER VRAI DU SCIENTIFIQUE LANCEUR D’ALERTE FACE AUX INDUSTRIES AGROALIMENTAIRES OU PHARMACEUTIQUESC’est dans le domaine de la santé que M. Joyeux a trouvé une large audience et de nombreux partisans. Doté d’un certain bagout, il revendique le parler vrai du scientifique lanceur d’alerte face aux industries agroalimentaires ou pharmaceutiques. Avec plus de 150 000 exemplaires vendus, son livre Changez d’alimentation (Le Rocher) est un succès de librairie, certaines de ses vidéos sur le Web ont été vues des dizaines de milliers de fois, les conférences qu’il tient deux à trois fois par semaine en France ou à l’étranger font salle comble, et 580 000 personnes recevraient régulièrement, dans leur boîte e-mail, sa lettre électronique d’information.
Un million de signatures
« Henri Joyeux surfe sur le mythe de la naturalité, qui professe l’idée que la nature est naturellement bonne et qu’en mangeant sain, on va sauver sa santé », explique Jocelyn Raude, sociologue à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes. « Il est toujours sur le fil du rasoir, mais il ne bascule jamais dans un discours infondé et ne promeut pas des pratiques toxiques, décrypte le chercheur. Il vante les vertus du thym, du chocolat, du miel, dans un mélange de bon sens et de démagogie nutritionnelle. »
En mettant en garde contre certains vaccins, Henri Joyeux a toutefois franchi une ligne rouge aux yeux des autorités sanitaires. Dans un texte publié sur Internet et affichant aujourd’hui plus d’un million de signatures de soutien, le médecin dénonce les substances « dangereuses », voire « très dangereuses », contenues selon lui dans les adjuvants des vaccins dits hexavalents (qui protègent de six maladies) que les parents sont obligés d’utiliser pour leurs enfants, en raison de la pénurie de vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP), les trois seuls obligatoires. Il assure y voir une « arnaque des laboratoires » pour imposer un vaccin « sept fois plus cher ».
« ON NE PEUT PAS DIRE N’IMPORTE QUOI SUR UNE ACTION PUBLIQUE QUI A SAUVÉ DES VIES », PATRICK BOUET, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRECes accusations, contestées par une grande partie de la communauté scientifique, ont pourtant été largement relayées sur les réseaux sociaux. « Avec ses prises de position agressives, M. Joyeux a instillé un doute sur la vaccination », regrette Patrick Rebillard, pédiatre dans un hôpital lyonnais. « On doit désormais argumenter de plus en plus longtemps avec certains parents pour vacciner leurs enfants, et expliquer qu’on n’a pas d’intérêt financier à le faire », ajoute-t-il. « On ne peut pas dire n’importe quoi sur une action publique qui a sauvé des vies », avait estimé Patrick Bouet, le président du Conseil national de l’ordre, le 25 juin 2015.
« Marginalisé au sein du monde scientifique »
Les autorités sanitaires ont longtemps hésité à répondre à ce texte. « Le débat a fait rage », reconnaît Roger Salamon, le président du Haut Conseil à la santé publique (HCSP), qui dénonce certaines « contre-vérités formelles très nettes » de la part de M. Joyeux, sur la question des vaccins.« Il n’a pas eu une activité médicale ou de recherche qui l’autorise à avoir un avis d’expert sur ce sujet. Il est chirurgien, pas infectiologue, ni statisticien ni chercheur en immunologie. » « Cela fait des années qu’il n’a rien publié », constate un cancérologue, qui juge son confrère « marginalisé au sein du monde scientifique et médical ».
Des accusations auxquelles M. Joyeux entend bien répondre point par point. « Un cancérologue doit connaître dans le détail le système immunitaire de l’enfant, du nourrisson à l’adolescent, comme de l’adulte », explique-t-il dans un e-mail au Monde.[…]
François Béguin