Éleveur, Benoît, 33 ans, qui est à la tête d’un troupeau de 70 vaches, livre chaque année 660 000 litres de lait. Il se plaint, en ces termes, de la baisse des prix au niveau des producteurs : « Les 1 000 litres sont passés de 370 euros à 315 euros. Acheté 0,31 euro, un litre de lait Lactel est vendu 0,86 euro. Trois fois la culbute. » Cet exemple, à lui seul, suffit à décrire le marasme dans lequel vivent les éleveurs bretons qui ne demandent rien d’autre qu’un prix équitable. Ils ne veulent entendre parler ni de subvention, ni de prime. Si tout travail mérite salaire, le travail des paysans qui relèvent du secteur primaire et qui contribuent à assurer l’autosuffisance alimentaire, devrait être valorisé en raison de la pénibilité des travaux de la ferme. Cette valorisation aurait pour avantage de porter secours à une activité en difficulté, de susciter des vocations et encouragerait la reprise des fermes familiales par les jeunes générations. Il faut impérativement œuvrer à fixer les populations rurales sur leurs terres et encourager plutôt un exode en sens inverse, des villes vers les campagnes. Il ne faut pas perdre de vue, par ailleurs, qu’il y a tout un savoir-faire précieux à préserver, un savoir hérité d’une longue tradition paysanne et qui risque malheureusement de se perdre, comme l’ont été hélas de nombreuses activités artisanales.
Après avoir bloqué durant la nuit les accès d’agences du Crédit agricole, de supérettes et d’un abattoir, les éleveurs barrent quatre axes menant à Caen.
Autour du rond-point du boulevard périphérique de Caen et de l’autoroute A84, qui, au sud-ouest de Caen, mène vers le Mont-Saint-Michel et Rennes, une vingtaine de tracteurs sont arrêtés. Y sont accrochés de longues ou hautes remorques : la route vers la Bretagne est coupée. Une pancarte annonce « Sauvons nos élevages ». Plusieurs dizaines d’agriculteurs de tous les âges vont et viennent ou patientent assis sur des bottes de paille. Seules passent au compte-gouttes les voitures déjà engagées sur le boulevard périphérique, mais uniquement vers le centre-ville de Caen. Visiblement excédé, un vacancier avec des vélos sur sa remorque tente de passer en force : un manifestant arrache un essuie-glace. « On se calme », lance un paysan plus âgé. Tout rentre dans l’ordre. D’autres automobilistes manifestent leur soutien aux éleveurs en criant ou en klaxonnant. Arrive un semi-remorque espagnol transportant de la viande ; on s’attroupe à l’arrière du camion en vue d’un éventuel « contrôle » du chargement. Les documents semblent en règle.
« On veut un prix équitable, mais ni subvention ni prime »
Des chauffeurs routiers, regroupés à l’écart de leurs poids lourds, patientent depuis 6 heures, moment où le barrage a été mis en place, de même que sur trois autres axes vers Cherbourg, Le Mans et Paris. Seules les ambulances sont autorisées à franchir les barrages. « Il s’agit d’une action départementale de la FDSEA et des Jeunes Agriculteurs (JA) après une série de mouvements locaux », indique un délégué du syndicat agricole. Certains éleveurs entament leur troisième semaine de revendication. Au cours de la nuit, les manifestants ont déversé des chargements divers (pneus, betteraves, oignons, fumier, etc.) devant des supérettes Carrefour et un hard discount Aldi. Une agence du Crédit agricole a subi un sort identique, tout comme l’abattoir Elvia de Villers Bocage, à 25 kilomètres de Caen. « Bœuf, porc, volailles, lait, tous les éleveurs manifestent. On veut un prix équitable, mais ni subvention ni prime », enrage Pierre, 33 ans. D’abord associé sur la ferme de sa mère qui va prendre sa retraite à 67 ans, il élève des bœufs : « En six ans, le prix a baissé de 90 euros par bête. » Parmi les manifestants, des élèves de lycée agricole. « Si je veux un jour m’installer sur une ferme, il faut des prix corrects », s’inquiète Alexis, 18 ans. Son père élève des porcs : « Voilà déjà plusieurs années que c’est tendu. » « Ce serait dur de ne pas pouvoir reprendre la ferme familiale », ajoute Antoine, 17 ans et demi. Producteur de lait près de Vire, Benoît, 33 ans, qui est à la tête d’un troupeau de 70 vaches, livre chaque année 660 000 litres de lait : « Les 1 000 litres sont passés de 370 euros à 315 euros. Acheté 0,31 euro, un litre de lait Lactel est vendu 0,86 euro. Trois fois la culbute. » Sans compter les règles environnementales de Bruxelles : « En France, on ne donne jamais de lest. Il paraît qu’on doit montrer l’exemple. » Prié de se rendre à Caen, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a invité les éleveurs normands à venir jeudi à Paris. Ils refusent et maintiennent les barrages.
Jean-Pierre Beuve, LePoint.fr