En Algérie, le Hirak s'intensifie et s'empare de la nuit

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Non seulement la mobilisation ne faiblit pas en Algérie mais elle double d’intensité puisqu’il est désormais régulier d’observer des manifestations géantes en pleine nuit dans les grandes villes du pays. Nous pouvons constater depuis plusieurs semaines, les jeudis, veille du grand rassemblement du vendredi, des concerts de klaxons et de mahrez, ce dernier rappelant la guerre de libération. Il est clairement totalement illusoire pour la junte corrompue au pouvoir de jouer la montre pour espérer un affaiblissement du mouvement car c’est l’inverse qui est constaté sur le terrain.


Après des rassemblements colossaux dans les principales villes du pays le jour, le mouvement de contestation s’étend en soirée, malgré la répression, pour protester contre le pouvoir et l’élection présidentielle du 12 décembre.

Ils sont nombreux ce soir à Alger. Munis de mehraz (mortier en métal), de marmites et autres casseroles, des dizaines d’Algérois se ruent aux abords de la place Maurice-Audin dans le centre-ville, il est environ 19 heures ce 21 novembre. L’ambiance est plutôt festive, des familles et des groupes de jeunes, dont des militants et des étudiants, ont décidé de contester de nuit le processus électoral. Et, depuis le début du mouvement populaire qui s’interdisait les actions nocturnes par crainte des risques sécuritaires, c’est une nouveauté. Elles sont désormais quotidiennes et ont gagné tout le pays. La «révolution du sourire» se lit sur les visages des Algérois qui occupent la place, bien que conscient de la gravité de l’enjeu.


« Les marches ont démarré avec le début de la campagne. Il y a des manifestations tous les jours, partout dans le pays », confirme Réda Nadih (le prénom a été changé), habitant du quartier Didouche-Mourad à Alger-Centre. À l’approche de l’élection présidentielle, prévue le 12 décembre et largement rejetée par une grande partie des Algériens, le mouvement de contestation a décidé de faire monter la pression contre le gouvernement en vue d’une annulation du scrutin. Chaque soir, des rassemblements sont organisés dans tout le pays, réunissant des milliers de personnes, un tournant dans le Hirak (« mouvement ») algérien, qui entre dans son dixième mois de mobilisation.
Depuis le balcon de son appartement haussmannien, Réda Nadih filme chaque semaine depuis neuf mois, les rassemblements massifs qui se déroulent sous ses fenêtres. « Le mehraz est une référence à la guerre de libération, protester sans qu’il n’y ait de répression, depuis chez soi. Les gens prennent un mehraz et tapent dessus. Le but, c’est de faire du bruit tout en maintenant le caractère pacifique. Même les enfants participent. »

Interpellations musclées

Le mot d’ordre des sorties nocturnes aurait été relayé lors de la marche des étudiants. Mais le premier rassemblement nocturne dans la capitale contre la présidentielle (la troisième organisée cette année, après deux mises en échec le 18 avril et le 4 juillet) s’est soldé, le 21 novembre, par plusieurs interpellations musclées d’étudiants et de militants. Des témoins et des vidéos en ligne évoquent des violences policières, signalées en direct sur les réseaux sociaux, notamment sur des pages militantes.
« Il y avait une forte mobilisation en bas de la maison. J’ai vu un mode opératoire policier différent à celui employé d’habitude. Les forces de l’ordre ont bloqué la route, les manifestants sont repartis vers la place Maurice-Audin. D’un coup, les flics ont commencé à courir vers les manifestants qui ont pris peur. Comme s’ils voulaient les provoquer, ils ont utilisé du gaz lacrymogène et ont été violents », raconte Réda NadihCette répression, une première depuis longtemps, a choqué l’opinion qui a pour habitude de marcher dans une ambiance bon enfant et pacifique.


Algerians shout slogans and march in the streets of the capital Algiers as they participate in a night demonstration against the upcoming presidential election, on November 21, 2019. (Photo by RYAD KRAMDI / AFP)

À Alger, le 21 novembre. Photo Ryad Kramdi. AFP

Les manifestants se sont organisés. Tous les jeudis désormais, jusqu’à l’élection du 12 décembre (ou son annulation), les habitants de chaque ville sont invités à protester, postés aux fenêtres et balcons de leur habitation, en faisant s’élever le raisonnement de centaines de mehraz dans la nuit. Surnommée « opération mehraz » sur les réseaux sociaux, l’initiative revient au Comité national pour la libération des détenus, un collectif citoyen qui recense les arrestations de manifestants et de militants et assure le suivi juridique des détenus d’opinion.
Le nombre de mises en détention est difficilement estimable pour l’heure. « Plus de 300 arrestations en une semaine », titrait en lettres rouges capitales le quotidien francophone Liberté dans son édition de lundi, huit jours après l’ouverture officielle de la campagne électorale. Les organisateurs et la presse dénoncent une série d’arrestations « grandeur nature », devenue presque systématiques après chaque meeting d’un candidat.

Les lieux de rassemblement grignotés

Dans le centre de la capitale, les lieux de rassemblement sont progressivement grignotés par un dispositif sécuritaire de plus en plus présent. L’esplanade de la Grande Poste, par exemple, point de rassemblement emblématique des manifestants, est désormais interdite d’accès, officiellement pour entretien du site. Dans les grandes artères, place Maurice-Audin, avenue Didouche-Mourad, les effectifs policiers ont également été renforcés en semaine.
Le mouvement de contestation nocturne s’est étendu aux grandes villes du pays, à Oran, Constantine, Annaba, Béjaïa ou encore Bouira, une wilaya (région) proche d’Alger où des affrontements ont eu lieu mercredi. Un meeting d’Ali Benflis, l’un des candidats en lice à la mandature suprême, a finalement été annulé après une forte mobilisation des habitants, opposés à l’élection. Prenant à partie le siège de la wilaya, des milliers d’opposants ont scandé des slogans hostiles au candidat Benflis, avant l’intervention brutale de forces antiémeutes. On recense plusieurs arrestations et blessés.
Face à un risque de basculement du mouvement populaire vers la violence, des appels à l’apaisement, émanant de citoyens notamment, ont été lancés depuis mercredi sur les réseaux sociaux.


Photo d’illustration : dans les rues d’Alger dans la nuit du 21 au 22 novembre. Ryad Kramdi. AFP

Amaria Benamara

correspondante à Alger
28 novembre 2019

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