Vous ne m’en voudrez pas, monsieur Khamenei, de ne pas vous appeler « Guide Suprême », car pour moi, modeste musulman, le seul guide suprême c’est Dieu. Pour tout vous dire, je trouve un peu démesurés tous ces titres dont s’affublent les dirigeants de la république islamique d’Iran. Le prénom même de votre mentor, l’ayatollah Khomeïni, me laisse perplexe : Rouhollah. « Esprit de Dieu », en français.
Je dis perplexe car je me demande toujours comment un « Esprit de Dieu » a pu envoyer au casse-pipe des centaines de milliers d’enfants analphabètes de sa nation en leur promettant la Porte du Paradis avec une petite clé en plastique fabriqué à Taïwan !… Des centaines de milliers de clés en plastique achetées à Taïwan furent ainsi suspendues autour du cou de centaines de milliers d’enfants iraniens envoyés sur des champs de mines ennemis durant la guerre contre l’Irak. Je ne comprends toujours pas l’obstination de cet « Esprit de Dieu » devant ces dizaines de milliers de corps d’enfants explosant en innombrables bouts d’os et de chairs calcinées. Il faut croire que cet « Esprit de Dieu » avait déjà basculé dans l’égarement, bien avant le carnage de l’été 1988 qu’il ordonna après le cessez-le-feu avec l’Irak : des milliers d’opposants politiques exécutés par pendaison en quelques semaines, hommes, enfants, femmes (enceintes y compris), vieillards… Voilà la tyrannie infâme dont vous avez héritée en 1989, et dont vous êtes le guide. Et pour masquer cette horrible tyrannie, et maintenir au pouvoir votre clan, vous n’avez eu de cesse d’attiser la fibre patriotique du peuple en désignant inlassablement l’ennemi extérieur à combattre, le Pouvoir en USA et en Israël… les deux yeux criminels du Veau d’or, nous sommes d’accord. En tous cas, le récent déclenchement des hostilités tombe à pic pour votre gouvernement aux abois qui a si durement réprimé les récentes contestations populaires en Iran, et en Irak… Et tombe à pic pour Netanyahu aussi… et pour le président aux cheveux orange également… et si le conflit s’étend, cela tombera aussi à pic pour Erdogan… Les croisades extérieures arrangent bien les gouvernements aux abois… Certes, les peuples seront en paix lorsque la tyrannie du Veau d’or sera tombée, mais également lorsque les régimes tyranniques seront tombés : les Saoud, Erdogan, le régime des mollahs, l’Union européenne bruxellienne, la junte militaire en Algérie, la dictature en Chine, etc…
Reconnaissez que l’on ne peut pas combattre la tyrannie du Veau d’or par une autre tyrannie, même si, comme Khomeini, on veut au fond mettre en place la tyrannie du bien et de la vertu. Car la tyrannie du bien et de la vertu ne peut exister, il y a contradiction dans les termes. Certes, l’ordre divin est inaltérable, et l’harmonie qui règne au paradis céleste pourrait être appréhendée comme le lieu du bien intégral, ou nulle ombre, nul mal ne se manifestent, une sorte de « dictature » du bien, une évidence souveraine se déployant sans l’ombre d’une tyrannie. Mais lorsque l’homme, faillible par nature, se met en tête d’imiter cette harmonie souveraine du bien, il sombre inexorablement dans la tyrannie. Et Khomeini fut particulièrement faillible, surtout après son échec cuisant à la succession de son maître en théologie, Hossein Borujerdi, à la prestigieuse chaire professorale de Qom. Un échec cuisant éclaire les plus sages et fourvoie les autres. Dieu n’a créé que la possibilité du mal, c’est l’homme qui a réalisé cette possibilité sur Terre. En vérité, l’homme ne peut instituer le bien, il peut seulement le pratiquer, sans ostentation, sans bruit, sans éclats, sans violences… c’est la seule manière de vaincre le mal. Même Dieu ne cherche pas à instituer le bien, Il le pratique seulement, dans un silence ineffable, mais sa pratique est absolue, éternelle. L’assassinat du général Qassem Soleimani, vainqueur du golem sioniste Daesh, est certes un crime perfide, mais qui réclame justice plutôt que vengeance, car la justice est un bien divin et que l’on ne combat pas le mal par le mal mais par le bien. La justice humaine devant s’inspirer de justice divine. Et nul n’est à l’abri de la justice divine, pas même le régime des mollahs, fut-il en possession de mille et une bombes atomiques.
Vous m’accorderez qu’il est plus facile d’entrer en guerre que d’en sortir, surtout une guerre voulue par Israël fanatiquement. Israël se nourrit de guerres, affamons-le jusqu’à la mort. Bien-sûr, menacer de destruction 52 sites culturels historiques perses relève de la dernière des barbaries ; qu’est-ce qu’un petit-fils de tenancier de bordel peut comprendre aux vestiges achémenides de Persépolis, qu’Alexandre le Grand avait eu la délicatesse de ne pas détruire complètement… ! Surtout que ledit petit-fils pourtant enclin à la paix est lourdement influencé par les enfants d’Israël avides de chaos… J’apprends à l’instant, avec un certain soulagement, que le chef du Pentagone exclut toutes frappes sur des sites culturels. La vie est pleine de surprises. Notez quand même que si Hillary Clinton avait été élue, l’extinction de l’espèce humaine aurait déjà eu lieu. « L’humanité devra mettre un terme à la guerre ou la guerre mettra un terme à l’humanité », cette phrase prononcée par le président Kennedy est terriblement vraie. On se plaît à croire qu’il y a un art de la guerre, mais au fond, rien n’est plus antinomique que art et guerre. « L’art de la guerre est comme celui de la médecine, meurtrier et conjectural », écrivait Voltaire avec justesse, à ceci près que depuis Voltaire la médecine s’est tout de même considérablement améliorée, contrairement à la guerre…
Théologiquement vôtre
Lotfi Hadjiat