Liberté médicale et politique de santé publique

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À la décrue de cette méchante pandémie – une fois totalement éteinte -, il nous faudra analyser les actes des uns et des autres parmi le personnel politique dont la responsabilité aura été lourdement engagée. Il faudra qu’on nous explique comment un pays comme la France qui s’enorgueillissait d’avoir l’un des meilleurs systèmes de santé s’est retrouvé démuni de tout. Qu’il s’agisse des masques banals de protection FFP1 et 2, des tests de diagnostics, des tests de PCR, des lits de réanimation dotés de respirateurs, tout aura cruellement manqué pour faire face à une situation de crise. Il y aura, à n’en point douter, un avant et un après Covid-19. Ceux qui auront moqué les travaux et l’initiative pragmatique et très courageuse du Pr Didier Raoult et de ses collaborateurs auront à rendre des comptes devant la justice et non pas devant une simple commission d’enquête parlementaire dont on sait par avance qu’elle ne servirait qu’à étouffer ce scandale sanitaire. La procédure recommandée par ces scientifiques de renom est à l’évidence, celle qui répond en toute logique aux exigences scientifiques et il sera difficile aux politiques de s’expliquer sur leurs errances depuis la première alerte lancée en novembre-décembre 2019 à Wuhan, tant ces amateurs avaient tout le temps de se préparer à affronter ce fléau.
Comment ne pas adhérer au texte publié par ce cabinet d’avocats où l’on y lit : « ...Je garderai comme un mauvais souvenir ces médecins crispés et prétentieux des plateaux télé, qui en réalité meublent l’espace avec le discours de la peur et de l’ordre, en attendant un protocole national qui se substituera à leur raisonnement et à leur responsabilité…» ?


L’équipe du Pr Raoult assume : par un communiqué de ce 22 mars, elle annonce à rebours du gouvernement se rendre disponible pour des tests à tous les malades fiévreux, et préconise un traitement à base de chloroquine. L’Agence Régionale de Santé fait connaître son désaccord… Alors comment analyser cette opposition – vu le contexte, assez fracassante – entre liberté médicale et politique de santé publique ?

 

Le communiqué de l’IHU
On commence par le communiqué de ce dimanche 22 mars de l’Institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée, signé par le staff : Pr Philippe Brouqui, Pr Jean-Christophe Lagier, Pr Matthieu Million, Pr Philippe Parola, Pr Didier Raoult, Dr Marie Hocquart.
Epidémie à coronavirus Covid-19
« Dans le contexte actuel de la propagation de l’épidémie à coronavirus Covid-19 sur le territoire français et dans le monde.
« Conformément au serment d’Hippocrate que nous avons prêté, nous obéissons à notre devoir de médecin. Nous faisons bénéficier à nos patients de la meilleure prise en charge pour le diagnostic et le traitement d’une maladie. Nous respectons les règles de l’art et les données les plus récemment acquises de la science médicale.
« Nous avons décidé :
« Pour les tous les malades fébriles qui viennent nous consulter, de pratiquer les tests pour le diagnostic d’infection à Covid 19 ;
« Pour tous les patients infectés, dont un grand nombre peu symptomatiques ont des lésions pulmonaires au scanner, de proposer au plus tôt de la maladie, dès le diagnostic :
– un traitement par l’association hydroxychloroquine (200 mg x 3 par jour pour 10 jours) + Azithromycine (500 mg le 1er jour puis 250 mg par jour pour 5 jours de plus), dans le cadre des précautions d’usage de cette association (avec notamment un électrocardiogramme à J0 et J2), et hors AMM.
« Dans les cas de pneumonie sévère, un antibiotique à large spectre est également associé.
« Nous pensons qu’il n’est pas moral que cette association ne soit pas inclue systématiquement dans les essais thérapeutiques concernant le traitement de l’infection à Covid-19 en France. »
La réplique de l’ARS
L’ARS a répliqué auprès de l’AFP qu’ « en phase épidémique, le principe est de ne plus tester systématiquement », les tests étant réservés « aux personnes fragiles présentant des symptômes et risquant de développer des complications, aux trois premières personnes présentant des symptômes dans les structures médico-sociales, aux personnes hospitalisées et aux professionnels de santé présentant des symptômes ». Et conclure « Pour tous les autres, la seule règle, c’est le confinement ».
Et donc ?
J’ai précisé que le débat c’était « liberté médicale contre politique de santé publique », entendue comme politique d’État, car les praticiens de l’IHU entendent défendre à la fois la liberté médicale et la santé publique. Une telle situation sanitaire appelle des réponses de l’État, mais comment les médecins gardent-il leur rôle dans cette politique d’Etat ?
Regardons les problèmes les uns après les autres. La situation est délicate, très tendue, avec des données médicales rares et contradictoires, aussi je ne ferai référence qu’aux dispositions législatives et réglementaires.
1/ Communication
A partir de demain lundi, les patients pourront être testés au sein de l’Institut, mais pour aujourd’hui dimanche, la question est le communiqué.
Depuis un mois, le Professeur Didier Raoult, depuis l’Institut, communique beaucoup, et à destination du grand public. On imagine bien que dans quelques bureaux ministériels, où l’on rêve d’une  France au cordeau, cela chagrine.
Le texte de référence est l’article R. 4127-13 CSP :

  • « Lorsque le médecin participe à une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public. Il doit se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire, soit personnelle, soit en faveur des organismes où il exerce ou auxquels il prête son concours, soit en faveur d’une cause qui ne soit pas d’intérêt général. »

Les médecins n’ont pas droit à la publicité, du style je suis meilleur et moins cher, mais ils ont le devoir de participer à l’information du public. C’est le cas. L’appréciation des communications et interviews du professeur Didier Raoult doit respecter ces quelques mots : des données confirmées, la prudence et le souci des répercussions des propos auprès du public.
Dans le contexte tendu que nous vivons, le Professeur Raoult doit tenir compte de tous ces éléments et en particulier des répercussions auprès du public, pour ne pas éveiller des attentes irréalistes, mais il doit aussi se donner les moyens de se faire entendre. C’est son devoir.
Et chaque fois, il s’exprime en mettant en avant les publications scientifiques, l’expérience des équipes, et un background scientifique de premier plan. Il souligne qu’il parle de faits, d’observations médicales, et non pas d’approches médiatiques, de politique ou de prédictions.
2/ Liberté de diagnostic
Avant de traiter, il faut diagnostiquer, d’où les tests. Le gouvernement a une opinion… « pas de tests systématiques », mais très honnêtement, on sait que cette opinion est liée au fait qu’il s’est laissé déborder, et qu’il est dans l’incapacité d’assurer les tests de masse, lesquels ont fait leur preuve en Corée du Sud ou à Taïwan. Les chiffres sont là : la France est l’un des pays où l’on teste le moins. Et comment agir médicalement si on ne fait pas le diagnostic, c’est-à-dire s’il n’y a pas de test ?
La décision de l’IHU est une réponse au Docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS : « Pour prévenir les infections et sauver des vies, le moyen le plus efficace est de briser les chaînes de transmission. Et pour cela, il faut dépister et isoler. Vous ne pouvez pas combattre un incendie les yeux bandés. Et nous ne pouvons pas arrêter cette pandémie si nous ne savons pas qui est infecté par le virus.  Nous avons un message simple pour tous les pays : testez, testez, testez ».
L’IHU ne défend pas le dépistage généralisé mais il s’est donné les moyens de répondre au large besoin qu’il a identifiés, à savoir tester tous les patients atteints de fièvre qui se présente. L’ARS soutient que ce n’est pas aux patients de se déplacer mais au médecin généraliste… Mais que feraient de plus les médecins généralistes alors que le test est rendu disponible à Marseille ? Quant aux patients qui se présenteraient par curiosité, je pense que l’équipe leur réservera un accueil lui aussi soigné…
S’agissant du diagnostic, l’IHU est donc parfaitement en phase avec le texte de référence qui est l’article R. 4127-33 CSP :

  • « Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés. »

3/ Liberté de prescription
La prescription sera l’affaire des médecins consultés, après examen, mais les médecins signataires s’avancent en préconisant de manière nette un traitement, et chacun sait que la position gouvernementale est beaucoup plus prudente, pour ne pas dire très réservée sur ce traitement.
La question est donc la liberté de prescription et ses limites.
Dans leur communiqué, les praticiens évoquent le valeureux serment d’Hippocrate, mais du point de vue juridique, nous avons dû consistant.
Le premier texte l’article L. 162-2 CSS qui donnent un cadre très pertinent à l’indépendance des médecins :

  • « Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d’installation du médecin ».

En appui, il faut citer le très solide article R. 4127- 8 CSP qui définit la notion de liberté de prescription.

  • « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance.
  • « Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins.
  • « Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

D’accord, mais le protocole national n’est pas achevé !
Or, depuis quand un médecin doit-il abdiquer de ses libertés de diagnostic et de prescription, par rapport à un protocole national ? La jurisprudence est claire pour dire que même les recommandations de la Haute autorité de santé n’ont qu’une valeur indicative, et que le médecin peut se référer à des expériences internationales dès lors qu’elles sont étayées.
C’est le sens de la limité posée par l’article R. 4127-39 CSP :

  • « Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. »

4/ Prescription hors AMM
Ici vient un problème clé, qui à n’en pas douter justifie les freins qu’a posé le gouvernement : il faut prescrire « hors AMM ». Kezaco ?
Un médicament n’est pas un produit comme un autre, et pour qu’il soit vendu, il doit bénéficier d’une décision administrative appelée « l’autorisation de mise sur le marché (AMM) ». Or tout le problème est que les médicaments préconisés, qui sont bien connus, ne prévoient pas utilisation pour ce virus, par hypothèse. D’où ces quelques mots du communiqué « et hors AMM ».
À cela, rien d’illégal.
De tout temps, la jurisprudence avait établi qu’il fallait concilier le cadre réglementaire de l’AMM, une sorte de droit commun, avec d’autres utilisations, dès lors qu’elles sont scientifiquement étayées et qu’il n’y a pas de traitement AMM efficace. Cette jurisprudence était excellente, et elle a été entérinée par la loi avec l’article L. 5121-12-1 CSP. Cet article prévoit la possibilité de recommandations dérogatoires prise par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), mais à défaut, la loi a préservé la fameuse liberté du médecin, une liberté raisonnée et responsable : le médecin peut prescrire hors AMM s’il juge le traitement «  indispensable, au regard des données acquises de la science, pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient ».
C’est donc l’AMM qui fait flipper le gouvernement, et c’est la connaissance scientifique des praticiens de l’IHU qui les guide.
5/ Et si ce traitement n’était pas le bon ? 
Question valable, en effet. Pour que la responsabilité soit engagée, il faut une faute ayant causé un préjudice.
Un échec mettrait-elle en évidence une erreur – décision prudente et attentive, mais qui s’avère inappropriée  – ou une faute – décision imprudente ou négligente. Le critère est celui « des données acquises » de la science, notion qui serait fort discutée vu que nous voyons s’étaler des divergences d’avis entre experts. Et pas de doute qu’en parallèle de la communication de cette équipe, il y a un travail de fond, avec maintes références, publications, réunions… La dissonance avec les consignes ministérielles, elles mêmes peu étayées, n’est pas un critère solide.
Il y a une prise de risque, car les essais sont normalement plus longs. Mais dans la situation actuelle, avec une autorité publique peu convaincante dans son action, cette gestion du risque doit inclure la possibilité d’une réponse face à ce qui est bien une errance médicale publique.
Et puis, et surtout, quel serait le préjudice en cas d’échec ? Je ne trouve rien de bien clair sur ce point. Une simple perte de chance de n’avoir pas eu recours à d’autres traitements, qui eux-mêmes n’ont rien d’évident ? Les risques, assez limités semblent-ils, sont connus, et surveillés. La préconisation de ce traitement est liée à un bilan et une consultation, donc individualisée. Y-a-t-il des aggravations, des complications, des risques de séquelles sérieuses ? Beaucoup va se jouer sur le suivi médical, l’observation clinique des effets.
Au final ?
Une équipe, dont la notoriété est établie par la qualité de ses travaux, qui travaille à partir de données cliniques objectives et d’expériences étrangères, définit un plan logique et assumé dans le cadre de sa liberté et la prescription.
La question n’est pas de savoir si cette équipe a juste ou non, mais pourquoi les autres ont faux, en abdiquant de leurs libertés de diagnostic et de prescription.
Je garderai comme un mauvais souvenir ces médecins crispés et prétentieux des plateaux télé, qui en réalité meublent l’espace avec le discours de la peur et de l’ordre, en attendant un protocole national qui se substituera à leur raisonnement et à leur responsabilité. Croient-ils…

22 mars 2020

 

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