Des chiffres qui inquiètent et suscitent des questionnements légitimes. Comment peut-on expliquer que l’on puisse prendre de tels risques majeurs, juste pour combattre de façon tout à fait symptomatique de simples nausées ou des vomissements ? D’autant plus que l’effet de cette molécule n’a pas été déterminant et prouvé au-delà de l’effet placebo. C’est dire que le côté bassement mercantile l’emporte sur toute autre considération. C’est encore une fois la puissance de Big Pharma qui s’affirme et dicte ses règles. Pourtant dès 2011, l’Agence française du médicament (ANSM) avait informé du risque de mort subite les médecins et les pharmaciens. Pour se couvrir d’un point de vue légal, le laboratoire fabriquant cette molécule a aussi informé le corps médical du risque encouru. Encore faut-il que les prescripteurs prennent la peine de s’informer et de lire ces mises en garde souvent écrites en caractères microscopiques… N’est-ce pas le cas de la Biseptine, utilisé larga manu dans les maternités de France et de Navarre, en guise d’antiseptique que les médecins et sages-femmes recommandent d’appliquer sur le cordon ombilical, fraîchement sectionné, alors que la notice indique que l’utilisation de ce produit est contre-indiquée sur la peau des nourrissons et les muqueuses, à cause du risque de passage dans le sang. Primum non nocere — d’abord, ne pas nuire — est un principe de base en médecine. On doit d’abord s’assurer de ne pas nuire au patient avant tout acte de soin.
Les médicaments anti-nausée et vomissements à base de dompéridone, vendus notamment sous l’appellation Motilium (laboratoire Janssen-Cilag) mais également sous forme générique, pourraient être à l’origine de plus de 200 morts subites en 2012, selon une étude française. “Selon la synthèse de travaux épidémiologiques internationaux, l’utilisation de la dompéridone multiplie par 2,8 le risque de mort subite cardiaque, ce qui aboutit à une estimation de 231 décès en France en 2012 dans la population âgée de 18 ans et plus”, explique l’épidémiologiste Catherine Hill, qui a coordonné l’étude publiée dans la revue Pharmacoepidemiology and Drug Safety.
L’étude s’appuie aussi sur des travaux menés par la revue médicale indépendante Prescrire qui avait déjà fourni une première estimation “prudente” évaluant les décès entre 43 et 189. En se fondant sur les données de remboursements par l’Assurance maladie, Prescrire relève qu’environ 3 millions de personnes ont consommé en France de la dompéridone en 2012. Largement utilisée comme anti-nauséeux, la dompéridone a également été prescrite dans le passé pour traiter des ballonnements ou des brûlures d’estomac, et même pour stimuler la lactation.
Le Motilium est placé sous surveillance par les autorités sanitaires depuis plus de dix ans. Dès 2011, l’Agence française du médicament (ANSM) et le principal laboratoire concerné avaient informé du risque de mort subite les médecins et les pharmaciens. L’ANSM avait par ailleurs mis en garde contre l’usage du Motilium pour favoriser l’allaitement. L’an dernier, l’Agence européenne du médicament (EMA) a préconisé des restrictions d’utilisation en relevant que la dompéridone avait “clairement été associée avec un petit risque accru d’effets cardiaques potentiellement mortels”.
Une efficacité incertaine
Elle avait précisé que le risque était plus important chez les patients âgés de plus de 60 ans et chez ceux prenant des doses quotidiennes supérieures à 30 mg et avait recommandé de réserver le médicament exclusivement aux traitements des nausées et des vomissements. Pour la revue Prescrire qui milite pour son retrait du marché, “le danger mortel de la dompéridone” n’est pas justifié “par son efficacité […] incertaine au-delà d’un effet placebo”. Elle ajoute dans son dernier numéro que des médicaments comme la métopimazine (Vogalène ou générique) et le métoclopramide (Primpéran ou générique) sont “voisins de la dompéridone et sont dangereux aussi”.
À la suite de la réévaluation européenne, l’ANSM avait envoyé une lettre aux professionnels de santé visant à “minimiser les risques cardiaques” chez les patients en les invitant notamment à utiliser la dompéridone “à la dose efficace la plus faible, pour une période la plus courte possible” et ne dépassant généralement pas une semaine. Le Primpéran (et ses génériques), également utilisé pour combattre les nausées et les vomissements, a lui aussi fait l’objet d’une réévaluation européenne l’an dernier qui a abouti à des restrictions d’utilisation pour diminuer le risque “d’effets indésirables neurologiques et cardiovasculaires”.
- Source :
http://www.lepoint.fr
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