Le Colonel Mohammed Samraoui, opposant algérien en exil nous livre dans cet entretien exclusif la lecture qu’il fait de la situation politique qui domine le pays, notamment après le scrutin du 10 mai dernier.
Radjef Said : Bonjour mon colonel, quatre mois après le scrutin du 10 mai, quelle projection portez vous sur les rapports de force qui dominent la scène politique nationale ? Plus globalement, quelle est la situation dans le pays ?
Colonel Mohammed Samraoui : Les rapports de force n’ont pas changé, Bouteflika comme il l’avait promis en 1999 est là pour rassurer et conforter le pouvoir militaire qui détient toujours l’exclusivité dans toutes les prises de décision. Les résultats du scrutin que certains voudraient à tout prix interpréter comme la victoire d’un clan sur un autre ne sont au mieux que le reflet de rivalités d’antichambres entre seconds couteaux et des signaux forts à ceux qui auraient été tentés par des pronostics liés au printemps arabe. Ils sont l’expression même de la non vie politique en Algérie où les jeux de rôles se résument à des permutations au sein d’une même broche. Le tout étant de préserver le statu quo et la suprématie du militaire.
Les taux de participation lamentablement bas, la victoire de beaucoup de listes FLN avec à peine 5% des voix sont autant d’éléments qui renseignent une fois de plus que le pouvoir ne s’encombre plus d’essayer de simuler une vie politique, bien au contraire il en est presque à s’enorgueillir, cela lui permet d’avilir encore plus sûrement tous ceux qui s’aventurent encore sur le terrain politique des élections.
RS : Selon vous, pourquoi face à cette situation chaotique que vous décrivez les élites restent-elles dispersées et peinent-elles a se rassembler ?
MS : Il faut qu’on définisse clairement la notion d’élites avant de répondre à la question car beaucoup de ceux qui se présentent comme tels sont apparus sur la scène publique et ont été portés à des postes clés parce que justement ils se sont non seulement identifiés à la dictature, mais ont appelé les chars pour assurer la continuité et la préservation du pouvoir.
Ils se faisaient appeler éradicateurs en référence à la lutte anti-terroriste et anti-islamiste mais on voit bien aujourd’hui que cette mouvance qui pioche dans toutes « colorations politiques » (de gauche, de droite et même islamisto-conservatrices) n’a pour seul objectif que de servir et de défendre le pouvoir des militaires y compris dans son expression la plus criminelle en s’érigeant aujourd’hui par exemple, comme les défenseurs de Khaled Nezzar contre toute poursuite judiciaire pour crime de guerre.
Les autres élites, faute de liberté d’expression, faute d’une presse indépendante, faute d’un cadre politique agissant sans les interférences du DRS, faute d’engagement politique clair et sincère, au mieux ne peuvent s’exprimer que dans le cadre des libertés académiques « autorisées », c’est-à-dire sans audience véritable et donc sans impact ; nos élites lorsqu’elles ne sont pas directement recrutées par le DRS et ses relais, ont majoritairement succombé aux privilèges quand elles n’ont pas été neutralisées en amont par la peur d’une répression féroce et aveugle d’un pouvoir criminel qui torture, assassine et emprisonne.
Pour le reste, ces 20 ans de mensonges, de manipulations et de répression ont eu raison de toutes nos capacités morales et intellectuelles et l’incompétence qui règne de pair avec la vassalité à travers toutes les charpentes de la société a étouffé les élites en propulsant la médiocrité, le brigandage et la prévarication partout où la résistance par la simple réflexion pouvait sévir : l’école, les universités, les partis….la rue
RS : Dans ce cas, quels sont les risques d’une explosion sociale incontrôlée et surtout appréhendez vous un scénario à la libyenne, étant donné la crise financière qui menace de plus en plus l’Union Européenne ?
MS : Les risques d’une explosion sociale ne sont jamais nuls, mais qu’on s’entende bien, des émeutes sur fond social, l’Algérie en connaît depuis plus de dix ans, elles sont à chaque fois l’expression plus d’une colère que d’une volonté réelle de changement et cela le pouvoir l’a compris et ne cesse de jouer avec la carotte et le bâton.
Quant au scénario libyen appliqué à l’Algérie, il faut bien mesurer que l’Algérie n’est pas la Libye en terme de richesse, de démographie et surtout d’inimitié envers l’OTAN et l’occident. Quoi qu’on dise Kadhafi a payé le prix d’une souveraineté qu’il voulait pour son pays et pour les pays Africains, il l’a compris trop tard et a cru pouvoir le réaliser, comme tout autocrate sans associer son peuple.
L’Algérie est un pays sans souveraineté, notre gouvernement ne peut même plus s’exprimer à propos d´événements se passant sur ses frontières, encore moins agir, pourtant et malgré toutes ces servilités (Africom, placements de la rente pétrolière en bons du trésors US, ouverture sauvage aux marchés, dévaluation du Dinar …) les multinationales ne contrôlent pas totalement nos puits et Sonatrach qui a des vues par exemple sur le Sahel continue de gêner les hégémonies et les appétences de ces groupes qui dictent les politiques et les guerres.
Un scénario à la libyenne ou à la syrienne n’est pas impossible mais pas dans l’immédiat et surtout pas avec l’opposition algérienne dans sa configuration actuelle, aussi bien celle de l’étranger marquée du sceau islamiste-FIS que celle de l’intérieur souvent noyautée par le DRS (lorsqu’elle n´est pas le fruit de ses laboratoires) et imprégnée par l’idéologie anti-islamiste. On comprend mieux d’ailleurs pourquoi il est essentiel pour la survie du pouvoir de maintenir cette version dévoyée de la réalité algérienne, à savoir qu’il n’y a de débat, de combat politique et de choix pour ce peuple que dans ce manichéisme : les islamistes ou les militaires. Toute option intermédiaire est vouée à l’abjection et condamnée à l’opprobre. Le cas du « contrat de Sant’ Egidio » en est la parfaite illustration.
Enfin, il ne faut jamais oublier que les généraux algériens ont fait ce que ni Kadhafi ni Bachar n’ont été en mesure de conduire, n’ont-ils pas mené une guerre contre leur peuple pour « protéger » l’occident ? Et cela, la France qui aurait pu, pour reprendre les propos d’un dafiste, avoir une république islamique à une heure de Marseille, ne saurait l’oublier.
RS : Dans ce cas, que faire ? Que faudra t-il faire pour en finir avec cette option « du tout sécuritaire » qui expose l’avenir du pays à tous les dangers et à tous les risques de démembrement de l’unité nationale ?
MS : I l n’y a pas de formule magique, c’est au peuple de se prendre en charge, de réaliser sa force, d’en découdre avec la peur, la revendication par la colère et la casse et de comprendre que ce pouvoir de criminels qui tue l’espoir n’est pas aussi puissant qu’on l’imagine.
Le peuple doit sortir des logiques de tutelles, aussi bien celles du pouvoir que celles des partis. Il est temps que les Algériens se réapproprient leur pays et comprennent que seul un état puissant et souverain pourra les aider.
Je dois malheureusement ajouter que la liberté a un prix, elle ne s´offre pas, il faut donc agir avec un bon dosage de sagesse et de détermination, savoir guider le peuple pour ne pas verser dans la haine, la violence et la vengeance,…, en un mot assumer une responsabilité sans arrière-pensée et sans calcul en vue de sortir le pays du marasme et le remettre sur la voie ébauchée par l´appel du 1er Novembre.
Il est vrai qu´à long terme, si aucun sauvetage n´est entrepris, si les gangs s´érigent en alternative, si l´informel prend le dessus sur l´état, si l´injustice et la corruption ne cessent pas, il est à craindre que les foyers de tension que l’on connaît ça et là risquent de mener à un démembrement de l´Algérie. La menace est bien réelle et nous avons l’obligation d´agir avant qu´il ne soit trop tard. Le seul remède est que les opposants sincères mettent leurs divergences idéologiques de côté et s´assoient autour d´une table en vue d´élaborer un projet consensuel qui n´exclura aucun Algérien et qui respectera les diversités algériennes.
RS : Accepteriez-vous de vous asseoir avec d’autres forces politiques dont vous ne partagez pas la philosophie d’existence pour faire accélérer l’option d’un changement pacifique ?
MS : Il n’est pas question d’un cercle d’amis mais de l’avenir d’un pays et d’une nation pour laquelle nos parents sont morts.
La seule condition que je pose est qu´aucun participant de quelque force politique que ce soit ne doit imposer ses vues, en se considérant comme représentant de Dieu ou comme le dépositaire de la Révolution, nonobstant le fait que ceux qui ont cautionné, couvert et encouragé le crime, ceux dont la seule philosophie a été de terroriser ce peuple et de le rabaisser ne peuvent prétendre à la participation à une œuvre de redressement.
On ne fait pas de politique avec ceux qui ont été portés et maintenus par les chars, ceux qui ont mis le pays à feu et à sang, manipulé et créé des groupes armés, détruit l’économie du pays et tué l’espoir de toute une jeunesse.
RS : J. Attali, dans son dernier ouvrage ou il s’est inquiété de l’avenir des pays du tiers-monde et des pays émergents, a posé cette lancinante question : « Qui gouvernera demain le monde ? ». Que vous inspire cette interrogation ?
MS : Attali sait que les prédateurs de la planète sont une poignée de plus en plus réduite et de plus en plus soudée. Les états sont appelés à perdre de plus en plus de souveraineté et les élus des nations occidentales, présidents compris, risquent de devenir de simples fonctionnaires chargés d’appliquer les instructions et les injonctions de supra-banques, de supra-armées, voire d’un supra-état, c’est dans cette configuration que les plus « faibles », pas seulement au sens économique, sont sans doute appelés à disparaître, sous la botte d’une gouvernance régionale déjà choisie. Pour comprendre l´idée d´une gouvernance mondiale, il serait nécessaire de s´étendre sur les origines des sociétés secrètes comme la franc-maçonnerie, les « Illuminatis » ou les « Skull and Bones », qui soutiennent toutes le principe d´une suprématie élitiste.
L´ouvrage « Le pouvoir occulte américain » d´Anthony Sutton est très révélateur sur les familles fortunées qui dictent la politique des États-Unis et qui ont la mainmise sur les postes clés de l´administration, des finances et de la politique US. Comme par hasard toutes ces élites qui prônent une gouvernance mondiale, affichent aussi un attachement inconditionnel au sionisme mondial. Or, aujourd’hui, l´OTAN est devenue le bras armé de ce pouvoir occulte.
Par ailleurs, il est utile de souligner que le même lobby poussé par le goût du sang qui a financé les deux guerres mondiales, n´est autre que celui qui est derrière la création de l´état de l’Israël, qui prêche le choc des civilisations, qui a envahi et pillé l´Irak et qui impose des marionnettes lorsqu’il juge que tel ou tel régime est hostile à ses intérêts.
Et si l´on ajoute le contrôle total des médias, le rôle des « spin doctors » dans la justification et la banalisation de tel ou tel crime (droit d´ingérence, atteinte á ceci ou cela, et tutti quanti…) alors oui, il y a de graves menaces qui pèsent sur les pays qui ne se plient pas aux diktats des cartels de la finance et du pétrole.
Entretien réalisé par Radjef Said.