Voici le mode de fonctionnement du monde d’aujourd’hui, fondé surtout sur l’immense hypocrisie de la société occidentale qui fait encore une fois merveille. Pendant que l’on vous fera peur avec des histoires de virus du sida, d’ébola et d’on ne sait quelle autre épidémie mortelle, les grands industriels des boissons alcoolisées sont en train de massacrer des nations entières en les transformant en alcooliques, en armées d’ivrognes avec tout ce que cela comporte comme désastre social et sanitaire, spécifiquement sur la jeunesse, mais pas seulement !
Il est vrai qu’il n’y a rien de tel que le recours à l’amusement de la télévision et l’alcoolisation des masses pour fabriquer des populations dociles, serviles voire zombiées !
Une population jeune en pleine croissance, un pouvoir d’achat en hausse… Le continent est un eldorado pour les géants du secteur qui ne reculent devant rien.
Au Kenya, des milliers de sachets en plastique éventrés jonchent constamment les rues de Nairobi, la capitale, comme les fossés des routes qui sillonnent le pays. On peut lire ceci sur l’emballage : « Konyagi, spirit of the nation » (« l’esprit de la nation »). Konyagi est une marque de Gin, dont la teneur en alcool est de trente-cinq degrés. Vendue en bouteille, cette boisson est aussi distribuée en sachet plastique. Une version moins onéreuse et donc très appréciée au Kenya, où le PIB par habitant était de 1.678 dollars en 2017.
Le slogan présent sur les sachets ou les bouteilles Konyagi est visible partout et imprègne les esprits. Du bourrage de crâne pour consommateurs et consommatrices d’alcool. C’est exactement cette stratégie que développent les grands groupes de spiritueux en Afrique, continent où la consommation de bière ou d’alcool fort connaît la plus forte croissance.
Contrairement à l’Europe ou l’Amérique du Nord, le marché est très loin d’être arrivé à saturation dans la région. Les géants du secteur abreuvent donc les populations de publicité tapageuse et commercialisent des breuvages moins onéreux qu’en occident, pour conquérir un public dont le pouvoir d’achat est en hausse dans les grands centres urbains, mais reste limité.
Quatre géants règnent en maîtres
Dans son rapport de 2017 sur les risques sanitaires de l’alcool en Afrique, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’inquiétait de la hausse de la consommation à risque. « Le continent africain fait face à un risque croissant de la consommation nocive d’alcool et ses effets désastreux. Il n’y a pas d’autre produit de consommation aussi largement disponible que l’alcool qui entraîne autant de morts prématurées et de problèmes de santé. Il y a deux caractéristiques majeures qui permettent de décrire le paradoxe de la consommation d’alcool en Afrique : un haut niveau d’abstinence dans certains pays et un haut volume de consommation avec des conséquences sanitaires et sociales sévères dans d’autres pays», note l’OMS.
Sur le continent, la consommation d’alcool est bien plus faible dans les pays à forte majorité musulmane où la vente d’alcool est très encadrée, et l’achat d’alcool très mal vu socialement. En Afrique du Nord, en Somalie ou au Soudan, les débits de boissons sont trop faibles pour intéresser les grandes multinationales du marché des spiritueux. C’est plutôt dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne qu’Heineken, Carlsberg, AB InBev et Diageo (propriétaire de la vodka Smirnoff) déploient un marketing agressif pour séduire des millions de consommateurs et consommatrices potentielles.
Ces quatre brasseurs détiennent 93% du marché de la bière sur le continent, écrit le journaliste néerlandais Olivier Van Beemen, auteur du livre Heineken en Afrique (éditions Rue de l’échiquier), tout récemment traduit en français. Dans cette édifiante enquête sur les mauvaises pratiques du brasseur hollandais, il rappelle que Heineken a commencé dès la fin du XIXe siècle à expédier des casiers de bière vers les comptoirs européens le long des côtes. Mais c’est en 2005, avec la nomination du dirigeant van Boxmeer à la présidence du conseil du groupe, que l’entreprise brassicole fait de l’Afrique son nouvel eldorado. À partir de cette date, « Heineken injecta des dizaines de millions dans de nouvelles brasseries, notamment à Lubumbashi (RD Congo), Sedibeng (Afrique du Sud), Addis-Abeba (Éthiopie) et Abidjan (Côte d’Ivoire) ».
Marketing sauvage
La forte croissance du marché a mis l’eau à la bouche des fabricants de breuvages alcoolisés. « Ils ont soif de nouveaux débouchés, car les marchés en Europe ou en Amérique du Nord deviennent saturés. Les industriels de l’alcool regardent donc en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie… où il y a toujours beaucoup de gens qui ne boivent pas et la population y est jeune et en pleine croissance. Dans certains pays de ces régions, le niveau de vie augmente », explique Charles Parry, directeur de l’unité de recherche « Alcool, tabac et autres drogues » à l’université de Cape Town en Afrique du Sud.
Parmi ces marchés émergents, l’Afrique est particulièrement ciblée par les géants du secteur. La corruption, la faiblesse de certains États, le manque d’éducation d’une partie de la population permettent aux multinationales de pénétrer le marché à l’aide de campagnes de publicité sans filtre, extraordinairement violentes. Dans Heineken en Afrique, Olivier Van Beemen raconte par exemple qu’en 2006 au Nigeria, une filiale du brasseur de bière industriel a fait appel à 2.500 prostituées pour convaincre des clients de boîtes de nuit ou de bars de consommer leur marque de bière, en leur faisant croire que cette bière augmenterait leur attrait sexuel.
« La publicité pour la bière envahit les rues »
Le long des grandes artères de Bamako, Nairobi ou Brazzaville, les pancartes immenses à l’effigie de marques de bières se succèdent et vendent les boissons à l’occasion de compétitions de football ou de concerts qu’elles sponsorisent. En Côte d’Ivoire, « depuis l’arrivée en 2016 du groupe néerlandais Heineken, qui a brisé le monopole détenu depuis soixante ans par la Société des limonaderies et brasseries d’Afrique (Solibra), propriété du groupe viticole français Castel, la publicité pour la bière envahit les rues », rapportait l’AFP en 2016. Ce que nous confirme Alain Tahi, président de la Fédération des associations des consommateurs actifs de Côte d’Ivoire. « La publicité se multiplie dans les rues et il n’y a aucune indication sur le fait que l’alcool est interdit aux mineurs », se désole-t-il.
À Kinshasa, des quartiers entiers sont repeints en bleu, la couleur de la marque Primus. Au Nigeria, nombreux sont les fans de foot qui ne parlent pas de l’UEFA Champions League mais de la Heineken Champions League, raconte Olivier Van Beemen dans son livre. « Chez nous, le nom de la marque est programmé à l’écran pendant la diffusion des matchs. Ça marche de manière fantastique pour eux ! Ils profitent qu’il n’y ait pratiquement pas de limitations. On ne peut pas imaginer tout ce qui est possible ici », se désole Ifedapo Adeleye, un spécialiste en marketing nigérian interrogé par le journaliste néerlandais […]
Camille Belsoeur – Slate