Le sujet de l’organisation par Big Pharma de la pénurie de médicaments afin d’augmenter ses profits a été traitée dans la conférence réalisée à Paris par monsieur Salim Laïbi le 1er juillet dernier. Il a parlé dans cette conférence de ce rapport sénatorial qui a été publié le 4 juillet et dont vous pourrez lire la note de synthèse de quelques pages en cliquant sur ce lien. Curieusement, quasiment aucun média n’en a parlé (hormis un article de Libération version Web), pourtant le sujet est extrêmement important et ces mêmes médias ont régulièrement parlé des pénuries de médicaments. Il aurait été judicieux de parler également du résultat de cette enquête afin d’expliquer ces anomalies et comment les éviter dans le futur.
Après une lecture attentionnée de ces quelques pages, il nous paraissait important d’en faire une synthèse en revenant sur les points forts mais également sur les points faibles d’un travail aussi important.
Premièrement, le constat est cinglant : les autorités françaises ont abandonné la fabrication du médicament et ont permis sa délocalisation à l’étranger rendant la France dépendante et extrêmement fragile. Tout le monde l’a constaté pendant la crise sanitaire du Covid-19 qui a démontré à quel point nous étions incapables de nous procurer des médicaments simples, des masques, des respirateurs ou concentrateur d’oxygène, du matériel d’hygiène… La France est passée de premier producteur européen de médicaments a plus rien. Lorsque les questions ont été posées à Big Pharma ainsi qu’aux cabinets de conseils privés, ils ont tous déclarés qu’ils étaient innocents de toute politique de délocalisation pour augmenter les profits. En d’autres termes, des usines gigantesques se sont retrouvées en Chine et en Inde par le pur produit du hasard.
Sur le graphique ci-dessus, la France comptabilisait environ 400 pénuries en 2014 avec une stabilité jusqu’en 2017 puis une explosion du chiffre puisque nous atteignons les 1800 pénuries en 2022 et plus de 2200 risques de ruptures ! La situation est véritablement catastrophique et se dégrade d’année en année, avec une absence totale de réaction des autorités de santé. En 2023, 37 % des Français affirment avoir été confrontés à une pénurie de médicaments. Parmi ces médicaments : des principes actifs extrêmement importants qui mettent en danger la santé des malades et ça peut aller de l’antibiotique à l’antidiabétique, les médicaments contre l’épilepsie, des anticancéreux…
Les causes sont connues de tous : délocalisation de quasiment toute la production vers l’Asie. Recours de plus en plus important à la sous-traitance. Une concentration de la production qui met en danger tout le monde en cas de problème comme les confinements Covid-19. L’utilisation de la technique du flux tendu avec impossibilité de mettre en place des stocks de sécurité. L’enquête revient également sur la stratégie commerciale de Big Pharma de mettre en avant uniquement les médicaments innovants extrêmement chers et d’abandonner les molécules matures. Selon le rapport, les industriels français envisagent d’arrêter la production de près de 700 médicaments importants !
Le rapport revient également sur l’absence de sanction de l’ANSM concernant ces industriels. Il y aurait eu seulement 8 décisions de sanctions financières entre 2018 et 2022 pour un total de 922 000 € ce qui est risible. Non seulement L’ANSM est incapable d’arrêter la commercialisation d’un poison comme le Mediator mais se rend complice d’homicides involontaires. De surcroît, elle est incapable de sanctionner Big Pharma quand celle-ci organise des pénuries.
Étant donné que la situation est dramatique, étant donné que nos gouvernants sont là pour saboter et détruire, en apprend que la pharmacie centrale de l’AP-HP est actuellement en cours de démantèlement ! Pourtant, son travail est essentiel dans la production de médicaments qui ne sont pas fabriqués par l’industrie. C’est cette même pharmacie centrale qui avait utilisé ses compétences pour produire des anesthésiques au curare pendant la grave pénurie de la crise sanitaire de 2020.
Après avoir réalisé ce constat, comme toujours, cette commission d’enquête a proposé des solutions qui sont encore une fois aussi absurdes qu’inutiles. En réalité, comme toujours, tout ce qui est nécessaire pour y remédier existe déjà dans la loi mais n’est pas appliqué ; nul besoin de créer d’autres mécanismes qui ne seront pas appliqués non plus. Pire encore, elle propose des solutions d’une rare stupidité comme garantir une sécurisation de l’approvisionnement par la négociation du prix de vente des médicaments. En d’autres termes, les prix seront élevés à condition de garantir les stocks, ce qui est du pur chantage. Ils ont même osé proposer des subventions pour la relocalisation de l’industrie en France ! L’État va encore faire des chèques de plusieurs centaines de millions d’euros à des multimilliardaires. En réalité, il suffit de faire voter une loi avec des sanctions de plusieurs centaines de millions d’euros en cas de pénurie pour y mettre fin immédiatement.
Il suffit d’écouter les déclarations contradictoires de l’actuel ministre de la Santé, François Braun, concernant les stocks de sécurité des médicaments pour comprendre que ce n’est pas lui qui prend ces décisions, c’est une évidence. C’est extrêmement grave car dans les médias, le 13 juin, il affirme que les industriels devront avoir 4 mois de stock puis devant la commission d’enquête il dit qu’il n’y a pas eu de prise de décision, ni de choix réalisé concernant ces fameux 4 mois de stocks ! En d’autres termes, le ministre de la Santé sait parfaitement qu’il ment lorsqu’il fait cette déclaration dans les colonnes du Parisien car dans les faits, face aux industriels, il est muet et docile.
La proposition la plus comique dans ce rapport d’enquête parlementaire reste l’affirmation que l’Europe peut être une solution pour contrer ces pénuries alors que la dernière crise sanitaire du Covid-19 nous a démontré l’inverse. Il faut croire que ces gens n’apprennent absolument rien de la vie et font toujours semblant de défendre ce projet européen mortifère. Il suffit de rappeler l’existence du marché de l’électricité européen qui nous oblige à acheter le kilowattheure d’électricité à 10 fois son prix pour démontrer à quel point tout ceci n’a absolument aucun sens si ce n’est pour appauvrir toujours plus les Français.
Big Pharma est le secteur industriel qui bénéficie du nombre le plus important d’incitations fiscales et d’aides publiques et de subventions en France. Le seul crédit d’impôt recherche est évalué à 710 millions d’euros selon le rapport. Le contribuable finance les recherches de l’industrie qui va nous revendre ensuite ces médicaments à des coûts extrêmement élevés et de surcroît en les fabricants à l’étranger créant du chômage en France ! Comment est-ce possible ? D’ailleurs, ce crédit d’impôt recherche a depuis longtemps été détourné de sa fonction puisque les industriels vont systématiquement acheter des découvertes réalisées par des start-ups afin de les commercialiser sans avoir cherché quoi que ce soit et encore moins de trouvé un quelconque remède. Ceci ne les empêchera pas, lors de leur bilan comptable annuel, d’inscrire ces achats dans la case crédit impôt recherche, ce qui est un mensonge grossier.
À la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, le Sénat a constitué une commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française. Face à l’augmentation exponentielle des signalements de ruptures, les autorités ont manqué de réactivité et d’anticipation. À l’issue de six mois d’enquête, la commission appelle à décloisonner les politiques du médicament, trop souvent menées en silos, à reconquérir une vision d’ensemble de la très complexe chaîne des produits de santé et à s’attaquer enfin aux causes profondes des pénuries.