Voici le premier article d’une série concernant les fausses études scientifiques qui ont été publiées dans le monde, que ce soit dans les domaines de la sociologie, des sciences dures comme l’électronique ou tout simplement la médecine.
Deux chercheurs et une essayiste ont piégé plusieurs revues scientifiques en leur fournissant des articles scientifiques aux sujets absurdes pour remettre en cause leur processus de relecture.
Encore un canular qui bouscule la recherche scientifique. Aux États-Unis, trois personnes ont réussi à faire publier dans plusieurs revues de sociologie des articles de recherche entièrement inventés, aux conclusions ridicules, afin de démontrer, selon eux, le manque de rigueur de ces revues.
Au total, sept articles sur les 20 écrits par le trio ont été acceptés par des revues, passant l’obstacle redouté des comités de lecture censés vérifier la rigueur académique des articles.
Des articles « à la mode politiquement »
Cette fois, les faux articles ont en commun des sujets de société explosifs : le genre, le racisme ou la sexualité, ce que les auteurs du canular appellent les « études de griefs ».
L’une d’elles, publiée en mai dans la revue « Gender, Place & Culture » et finalement retirée, prétendait étudier la culture canine du viol dans les parcs à chiens, en tirant des parallèles avec les hommes. Une autre analyse, pourquoi un homme se masturbant en pensant à une femme sans son consentement commet une agression sexuelle. Un papier était une réécriture féministe d’un chapitre de « Mein Kampf » d’Adolf Hitler.
La recherche actuelle mise en doute
Certains articles étaient des essais, mais quelques-uns affirmaient se reposer sur des données, comme des entretiens, ce qui est en théorie vérifiable. C’était le cas d’ une étude sur l’impact de l’usage d’un godemiché anal par des hommes hétérosexuels sur leur transphobie.
« Si notre projet démontre une chose, c’est qu’on ne peut pas faire confiance à la recherche actuelle dans ces disciplines », dit James Lindsay. Mais le but du projet, selon lui, est de « réformer » ces disciplines, et non de les détruire.
« Ils ont montré que lorsqu’on propose une étude bourrée de données fausses, elle peut être publiée. Mais on le sait depuis des décennies », dit Ivan Oransky, du site Retraction Watch, qui observe les rétractions d’articles scientifiques de leurs revues.
D’autres universitaires « déçus »
Les problèmes de qualité ou de fraude ne sont limités ni aux sciences humaines, ni aux revues peu cotées. Même les plus grands journaux scientifiques doivent régulièrement retirer des articles proposés par des chercheurs parfois célébrés.
Les deux autres piégeurs sont Peter Boghossian, professeur de philosophie à l’université de Portland, et Helen Pluckrose, rédactrice en chef du site AreoMagazine.com, site qui a publié un récit détaillé de la supercherie.
L’éditrice par intérim de la revue de philosophie féministe « Hypatia », Ann Garry, s’est dite « profondément déçue ». « L’idée que des individus soumettent des travaux académiques frauduleux viole de nombreuses normes académiques et éthiques », écrit-elle.
Roberto Refinetti, chef de la revue « Sexuality & Culture », a expliqué que l’article sur les godemichés avait été relu par trois universitaires, « dont aucun n’a soupçonné un canular ». Selon lui, l’affaire souligne le manque d’intégrité des auteurs, et non de la revue.
Des normes de transparence
Il existe des milliers de revues scientifiques dans le monde. Des organisations ont établi des normes de transparence, mais leur adoption par les organes de publication est très variable.
Dans les sciences humaines, communiquer la retranscription d’entretiens pose des problèmes de confidentialité, explique David Mellor, du Center for Open Science. Mais « nous encourageons le plus de transparence possible », dit-il.
Nicholas Mazza, éditeur du « Journal of Poetry Therapy », lui aussi piégé, était jusqu’à présent plus focalisé sur le plagiat, mais désormais, « je vérifierai l’authenticité des auteurs/institutions », écrit-il.
Photo d’illustration : James Lindsay et Helen Pluckrose, deux des trois universitaires auteurs du canular, ont réussi à faire passer sept faux articles dans des revues scientifiques. Capture d’écran YouTube/Mike Nayna
Le Parisien
AFP
5 octobre 2018