La Cour de Cassation vient de rendre légal un crime, celui d’acheter un être humain, un bébé à l’étranger car sa vente est interdite en France. Ceci est l’exemple type de la politique du fait accompli. Sauf que dans ce cas précis, il serait également semblable en vertu de la même logique, de ramener 3 kilos de cannabis de Californie et de les vendre ou les consommer en France ! Ramener de l’argent sale et le placer tranquillement sur son compte bancaire !
Cette décision est absurde du point de vue intellectuel, légal, moral, éthique… Elle marchandise l’homme et l’humilie en le rabaissant au statut de vulgaire marchandise commercialisable. Rappelons qu’il est interdit de vendre des organes en France mais vous avez le droit d’acheter un bébé en Inde et d’en faire votre… fils !
La Cour de Cassation s’est prononcée ce mercredi en faveur de l‘adoption par le « parent d’intention » des enfants nés de GPA à l’étranger, ouvrant la porte au développement et à la reconnaissance de cette pratique.
Adeline le Gouvello, avocat à la Cour, décrypte une décision juridiquement contestable.
La Cour de Cassation vient de se prononcer dans quatre affaires qui posaient deux questions essentielles: celle de l’adoption par le « parent d’intention » de l’enfant né par GPA à l’étranger et celle de la transcription de l’acte de naissance étranger sur les registres d’état civil français de l’enfant né par GPA, mentionnant la « mère d’intention » comme étant la mère. Opérant un revirement de jurisprudence, elle considère désormais qu’un contrat de gestation pour autrui ne fait plus obstacle à l’adoption. En revanche, elle s’oppose à la transcription intégrale de l’acte de naissance et n’autorise qu’une transcription mentionnant le père mais non pas la mère d’intention. Dans le prolongement de ses arrêts du 3 juillet 2015, la Haute Juridiction adopte ainsi un raisonnement qui écarte toute référence et réalité du recours à la GPA pour ne se placer que sous l’examen de la conformité des actes de naissance à une « réalité » biologique.
Il est donc fait abstraction de la partie essentielle de cette réalité: l’existence d’un contrat de gestation pour autrui et d’une mère porteuse. Sur le plan juridique, la solution est incohérente et permet de valider une pratique prohibée, vidant de toute substance l’interdiction prévue par la loi.
Comme chacun le sait, le contrat de gestation pour autrui est nul (article 16-7 du Code civil), cette nullité étant d’ordre public. Le recours à cette pratique est ainsi interdit en France, sanctions pénales à l’appui. La nullité signifie que l’acte est considéré comme n’ayant jamais existé et il ne peut donc produire aucun effet.
Parallèlement à ces dispositions, le célèbre adage français «fraus omnia corrumpit» (la fraude corrompt tout) a toujours empêché qu’une situation créée en fraude à la loi puisse avoir des effets juridiques. Jusqu’aux arrêts du 3 juillet 2015, la Cour de Cassation avait fermement appliqué ces principes: pas de conséquences juridiques possibles pour une situation créée en fraude à la loi française en matière de GPA. Ainsi, tant la transcription que l’adoption suite à une GPA étaient refusées. Cette solution ne faisait qu’appliquer le droit et était parfaitement cohérente: à l’instar de l’assuré qui endommagerait lui-même son habitation pour venir réclamer ensuite à ses assurances une indemnité réparatrice des dégâts causés (fraude à l’assurance), les commanditaires d’une GPA ne pouvaient demander une validation des effets de la GPA (transcription à l’état civil de l’acte de naissance, adoption par le conjoint) après avoir eux-mêmes créé une situation contraire à la loi.
Cette solution ne portait pas atteinte aux droits des enfants, bien au contraire: la filiation de ces enfants existait, établie par des actes étrangers. Ils pouvaient vivre avec le couple qui avait sollicité la GPA et pouvaient même hériter de ses parents dits « d’intention ». Toutefois, la filiation établie à l’étranger ne pouvait être transcrite en France ce qui entraînait une certaine lourdeur administrative mais qui incombait nécessairement aux adultes, contraints de solliciter les services d’état civil du pays de naissance de l’enfant dès qu’ils avaient besoin de l’acte de naissance. C’était bien la moindre des difficultés alors qu’ils avaient délibérément contourné la loi française en toute connaissance de cause des risques et des effets encourus. Seulement, les adultes souhaitaient une reconnaissance officielle par la France, validant ainsi et gommant le détournement de la loi qu’ils avaient opéré. Pari réussi aujourd’hui puisque la Cour de Cassation à l’encontre de tous les principes rappelés ci-dessus valide les effets de ce processus.
En effet, la Cour indique que, désormais, la GPA réalisée à l’étranger ne fait pas obstacle à l’adoption de l’enfant par l’époux du père. Dans son communiqué, explicitant son raisonnement, la Cour de Cassation précise qu’elle tire les conséquences de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Selon elle «ce texte a pour effet de permettre, par l’adoption l’établissement d’un lien de filiation entre un enfant et deux personnes de même sexe, sans aucune restriction relative au mode de procréation». Les termes de ce communiqué sont stupéfiants car le Conseil Constitutionnel, saisi en 2013 et devant répondre à l’argument selon lequel la loi risquait de susciter le recours à des pratiques interdites, en fraude à la loi française, avait indiqué «qu’il appartient aux juridictions compétentes d’empêcher, de priver d’effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques» (Décision 17 mai 2013, §58). Force est de constater que la plus Haute Juridiction compétente expose exactement l’inverse de ce que préconise le Conseil « des Sages »… Elle opère en outre un détournement de l’adoption qui est faite pour donner des parents à un enfant qui en a été privé par les malheurs de la vie, non pour couronner un processus de création d’enfant volontairement privé de mère pour satisfaire un désir d’adultes. Dès lors, on ne peut que constater que la Cour de Cassation n’est plus garante de la protection des droits des enfants.
Concernant la transcription de l’acte de naissance, la Cour a jugé que ce dernier pouvait être transcrit partiellement à l’état civil français, en ce qu’il désigne le père mais pas en ce qu’il désigne la mère d’intention puisqu’elle ne l’est pas dans la réalité. La mère d’intention n’a en effet pas accouché de l’enfant, elle ne lui a pas donné la vie. Elle est seulement partie au contrat de gestation pour autrui la liant à la mère porteuse et prévoyant que celle-ci abandonne ses droits au profit de la «mère» d’intention. Les juges considèrent que ce refus de transcription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant dès lors que les autorités françaises n’empêchent pas ce dernier de vivre «en famille», et dans la mesure où la prohibition de la GPA par la loi française poursuit un but légitime de protection des enfants et des mères porteuses.
Si l’on peut se féliciter d’une telle motivation, on s’interroge sur la raison pour laquelle la Cour ne poursuit pas le même raisonnement à l’égard du père pour lequel elle continue d’accepter la transcription de l’acte. Car si le but de la loi prohibant la GPA est légitime et que le refus de transcription ne porte pas d’atteinte disproportionnée aux droits des enfants, pourquoi refuser d’appliquer les principes de droit en ce qui concerne le père qui a fourni ses gamètes? Le seul principe d’une «réalité biologique» utilisé par la Cour ne peut suffire: on ne peut faire abstraction du fait qu’une pratique illégale a été utilisée pour établir ce lien de filiation. Il n’y a aucune raison de ne pas tirer les conséquences juridiques de ce contournement de la loi.
En outre, le recours à l’argument de la réalité biologique est pour le moins paradoxal : les juges l’invoquent pour valider les effets de la GPA à l’égard du père biologique mais l’écartent pour transcrire partiellement l’acte de naissance et valider l’adoption par le « parent d’intention », évacuant sans état d’âme la mère biologique qui a conçu et/ou porté l’enfant. La transcription partielle qui va être effectuée ne mentionnera en effet aucune mère alors que cet enfant est forcément né d’une femme et l’adoption sera faite en considérant que l’enfant n’a pas de lignée maternelle ou, s’agissant d’une adoption simple, que la mère y a « consenti »…
À utiliser des principes qu’elle adapte à son gré, le Cour de Cassation rend le droit incohérent. Désormais, seul le législateur permettra de garantir efficacement la protection des droits des enfants puisque les juges y ont renoncé. Il est donc plus que temps qu’il intervienne et […]
Adeline le Gouvello – le Figaro