Alors que je sortais du parc Monceau où j’aime aux prémices du soir répandre mes rêveries au gré des feuilles mortes et des senteurs de terre mouillée, j’aperçus cinq ombres étranges qui ricanaient.
« Laisse tomber les Philippines, les meilleures c’est les Thaïlandaises ! », fit Patrick Benneguigui que je reconnus. Des gros rires envahirent la sortie du parc. Je m’approchais d’eux et reconnus en plus de Patrick, Meyer Habibi, Richard Malkak, Eli Chouraki et Philippe Caverivyère.
Je leur adressai ces quelques paroles.
« Faut-il sacrifier sa vie à son destin, ou sacrifier son destin à sa vie ? ».
« Fais-ce que tu veux, le facho, nous on va voir les putes », fit Patrick, déclenchant le rire gras des quatre autres.
« Voilà la plus profonde misère chez l’homme : ne pas supporter d’être frustré de la vie mais se foutre éperdument d’être frustré de son destin », ajoutai-je.
« On comprend rien à tes salades moisies. En tous cas, le destin des Palestiniens c’est de mourir », répondit Meyer de toute sa morgue bedonnante.
« Évidemment. What else, renchérit Richard d’un sourire jusqu’aux oreilles pointues. Le Mashiah est arrivé. Et il va éradiquer tous les Palestiniens et tous les ennemis d’Israël. C’est fini le vivre-ensemble ».
« Même le survivre-ensemble c’est fini. On va pas vous le dire trois fois. Allez, prends-toi une thaïlandaise, ça ira mieux », me lança Eli.
À cet instant, des éclairs illuminèrent le firmament et le tonnerre déchira les cieux. Nous levâmes nos regards vers les nuages sombres et la foudre frappa brutalement trois fois sur la tête d’Eli, trois fois sur celle de Patrick, trois sur celle de Richard et trois sur celle de Meyer. Les quatre corps prirent feu et furent carbonisés jusqu’aux cendres. À l’immense stupéfaction de Philippe qui, poing levé, se mit à crier comme un possédé : « À mort Israël, vive la Palestine ! ».
Tous ces événements étranges ne m’éclairaient pourtant pas sur mon destin. Je le cherchais toujours en arrivant sur une petite place. Une ombre passa derrière moi, et un type m’apostropha. « J’ai vu tout à l’heure ce que vous avez fait ! Vous êtes un démon ! Vous avez fait descendre la foudre sur quatre Juifs. Vous êtes un démon antisémite !», me cria-t-il. Je le pris pour un fou, évadé d’un asile psychiatrique, et sans un mot repris mon chemin. Le type me poursuivit et leva sur moi une barre de fer. Le fer attira la foudre et… BOUM !
Complètement bouleversé par tous ces événements extraordinaires, je m’attablai à un café pour retrouver mes esprits. Un rabbin rentra après moi et vint s’asseoir à une table voisine de la mienne. C’était le très inspiré Rav Ron Chayah. « On peut parler ? », me dit-il anxieux. Je lui fis signe que oui, et il vint s’asseoir à ma table.
« Êtes-vous le Mashiah ?», me demanda-t-il à voix basse en jetant des regards inquiets autour de lui.
« Pas à ma connaissance… », lui répondis-je simplement.
« Moi je pense que si… Que va-t-il arriver à Israël ?… », dit-il de plus en plus inquiet.
« Messieurs…, vous désirez ?», fit la serveuse en arrivant à notre table. Le rabbin sursauta et bredouilla, « un double whisky… sec… ». Je commandai un thé à la menthe et la serveuse repartit en nous embaumant de son parfum.
« Alors… Israël ?… », insista-t-il toujours à mi-voix.
« La terre va trembler dans tous le pays… seuls les justes survivront… », commençai-je.
« Quand ? QUAND ! », s’écria-t-il en pleine panique.
Je bus une gorgée de thé et me tus un instant sous les regards éplorés du Rav. On vit alors passer providentiellement dans la rue Philippe Caverivyère toujours criant poing levé la mort d’Israël. « C’est imminent », fis-je gravement en baissant les yeux. « Sauf si… », murmurai-je. « Sauf si quoi ? Quoi ! », gémit le rabbin au bord des larmes. « Mais il faut que vous m’aidiez… pour accomplir cette mission, si c’est ce que vous voulez… », fis-je à mi-voix. « Bien sûr ! Je vous le demande ! Vous aurez tout ce que vous voulez !», tressaillit de joie le rabbin en larmes.
« D’abord un compte en banque aux Îles Caïmans, quelques dizaines de millions d’euros… une grande maison à Saint-Jean-Cap-Ferrat, avec du personnel qualifié… féminin… des thaïlandaises de préférence… expertes en massage… j’ai un mal de dos intenable… », marmonnai-je, alors que la serveuse arrivait avec notre commande.
« Aucun problème ! », répondit le rabbin en engloutissant son whisky.
« Une fois que je serai bien installé à Cap Ferrat, je vous donnerai la suite des instructions… mais il faut faire vite », conclus-je en prenant ma tasse de thé.
« Aucun problème ! Je vous contacte très vite !», me lança-t-il en se levant après que je lui ai laissé une adresse e-mail sur un bout de papier qu’il me tendit.
Quelques semaines plus tard, alors que je sirotais face à la mer infinie un thé glacé devant la piscine d’une grande maison à Saint-Jean-Cap-Ferrat, au rythme délassant d’un massage du dos, on sonna à la porte. C’était le Rav qui venait me rendre visite.
« C’est pour quoi ? », lui demandai-je dans un demi-sommeil. « Mais enfin voyons, la suite des instructions !», tonna-t-il avec énervement.
« Ah oui… ! Alors écoutez… primo, il faut rendre leur terre aux Palestiniens… revenir à la situation d’avant 1917… », commençai-je. « Disons 1967 », me coupa le Rav. « 1917 », fis-je inflexible. « Allez 1947, on coupe la poire en deux », négocia le rabbin. « 1917. C’est la volonté du Seigneur », assénai-je.
Le rabbin était agité et tournait autour de moi tout en lorgnant la masseuse. « Bon ok, ça va pas être facile… quoi d’autres ? », fit-il visiblement énervé. « Ensuite, il faudra dédommager les Palestiniens de tous les préjudices subis », continuai-je calmement. Le Rav s’arrêta net. « Vous vous foutez de ma gueule, c’est ça ?! », lâcha-t-il les yeux rouges de colère. « Comme vous voulez… c’est pour vous… c’est à votre demande… on peut en rester là, si vous le souhaitez… et il arrivera ce qu’il arrivera… la décision vous appartient… », répondis-je sereinement.
Le Rav se tourna vers la mer et la contempla longtemps en se mordant les lèvres. « Je commence à douter que vous soyez le Mashiah… », me lança-t-il sans se retourner. « Faites comme vous voulez… vous êtes libre », fis-je en sirotant mon thé glacé. « Il me faudrait une preuve irréfutable », ajouta-t-il toujours sans se retourner. « Pour ça, il faut aller près de la mer, en bas », fis-je sereinement. « Ok, pas de problème », dit-il avec une petite lueur d’espoir dans les yeux. Je lui demandai de m’attendre un moment, le temps de m’habiller. Monté à l’étage, après avoir refermé la porte de la chambre derrière moi, j’appelai un ami dans les parages pour lui demander un petit service : mettre un message dans une bouteille et la placer au bord de l’eau à un endroit précis que je lui indiquai, entre deux gros rochers. Le message à mettre dans la bouteille était le suivant : « Souviens-toi de Jacob le juste et tu sauveras sa postérité ».
Je rangeai mon téléphone mobile dans un tiroir et sortis enfin de la chambre pour rejoindre en bas le Rav impatient dans le vestibule. « Allons-y », lui dis-je en ouvrant la porte. L’air était doux et frais et le ciel d’un bleu immaculé. Et j’avais les crocs. « On pourrait manger un bout chez Christiane, avant, non ?», lui dis-je. « Non mais vous vous foutez de ma gueule, c’est pas possible !», s’étrangla-t-il. « Ok, comme vous voulez. Elle fait un rôti de veau exquis ».
Après une dizaine de minutes de marche sur la pente rocailleuse, où le Rav faillit tomber à plusieurs reprises, nous arrivâmes enfin au bord de l’eau. « Grâce à Dieu », fit-il en mettant enfin les pieds sur du sable. Je lui demandai de bien regarder partout, en me dirigeant nonchalamment vers le lieu convenu en regardant le ciel. Le Rav regardait partout comme un aliéné. Je m’arrêtai enfin entre les deux gros rochers toujours en regardant le ciel et en respirant à plein poumon l’air marin.
« Là !!! », s’écria le Rav devenu fou en apercevant la bouteille. Il l’agrippa en trempant au passage sa robe de rabbin, ouvrit la bouteille et y introduisit prestement ses doigts pour récupérer le message. Je m’approchai bouche bée, feignant la stupéfaction. Il lut le message à voix haute et tomba genoux à terre en pleurant. Je lui pris le message des mains pour le lire, fort heureusement mon pote n’avait pas fait de fautes d’orthographe ni ratures, il était là le miracle !
Je restai là sans rien dire, attendant que le Rav se relève. Il s’essuya enfin le visage inondé de larmes et se releva. Il m’assura qu’il suivrait toutes mes recommandations et nous fîmes un tour par chez Christiane, dont le rôti de veau fut mythique. « Allez, je vous offre le repas ! », me lança-t-il en dégustant le fromage. « Non, c’est moi », objectai-je. « J’insiste ! », s’exclama-t-il. Et il se produisit un miracle, le rabbin talmudo-kabbaliste paya l’addition à un Goy.
L’histoire tourna mal pour lui lorsqu’il revint en Israël. Il raconta le miracle de la bouteille partout. Il lut le message dans toutes les rues de Jérusalem en brandissant le papier venu de Dieu !… Mais les réactions furent hostiles. Bon nombre de rabbins proches du Pouvoir considéraient les recommandations messianiques du Rav Ron Chayah comme complètement insensées, certains y voyaient même un péril mortel. Et puis ce qui devait arriver arriva, un jeune ultra-sioniste fanatique lui tira une balle en plein cœur. J’appris la triste nouvelle de sa mort alors que je m’apprêtais à entrer dans ma piscine. Le soleil était au zénith. Je posai mon mobile et mon thé glacé avant de m’enfoncer dans l’eau fraîche et limpide en pensant à mon singulier bienfaiteur parti trop tôt. Les jours qui suivirent, je fis élever une stèle au milieu des rochers : « Au regretté Rav Ron Chayah ». J’envoyai bien sûr quelques milliers d’euros à sa famille, et tout le reste aux Palestiniens.
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