De plus en plus de médecins se réveillent face aux scandales de la politisation de la science médicale. C’est inacceptable, ce n’est ni raisonnable ni souhaitable pour les patients qui seront les premières victimes de cette folie.
Caroline Vandermeeren, docteur en biotechnologie, se dit « effrayée de constater les prémices d’une dérive grave dans une société démocratique : l’ingérence du pouvoir dans la communication scientifique ».
Mesdames, Messieurs,
Je souhaiterais adresser cette lettre à la population, aux politiques, aux médias et au monde scientifique, en ma qualité de citoyenne, de bioingénieur en microbiologie industrielle, de docteur en biotechnologie, et de membre de la communauté des travailleurs du secteur biotechnologie belge depuis plus de 12 ans.
Je suis effrayée de constater les prémices d’une dérive grave dans une société démocratique : l’ingérence du pouvoir dans la communication scientifique.
J’ai lu ce jour une interview de Mr Bouchez, président du MR.
Dans cette interview, il recommande aux scientifiques de faire valider leurs communications par le pouvoir politique, prétendant ainsi vouloir éviter de générer de la confusion parmi la population.
Je pose à tous cette question: dans quel type de société les scientifiques doivent demander la permission du pouvoir pour publier les conclusions de leur travail ?
Cette politisation de la « communication scientifique » est en train de décrédibiliser le travail de milliers de scientifiques engagés et intègres, créant insidieusement un sentiment de suspicion dans la population.
L’indépendance des scientifiques est un principe aussi fondamental dans une démocratie représentative que la séparation des pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire et la liberté d’expression.
On a vu dans l’histoire à quoi peuvent mener les dérives de ce type. On se souviendra par exemple de la mise à l’index des thèses de Copernic sur la rotation de la terre autour du soleil, et de la condamnation de Galilée à la prison à vie après avoir dû abjurer ses théories.
Cette sortie de Mr Bouchez est la goutte d’eau dans le vase de mon intégrité citoyenne et scientifique.
Depuis plusieurs semaines déjà, je suis interpellée par le contenu des rapport officiels édités par Sciensano à propos de l’évolution de la crise du Coronavirus.
J’ai le plus grand respect pour les scientifiques et experts de Sciensano, à qui on demande d’analyser des données biaisées, incomplètes et limitées.
Je n’arrive pas à concevoir que ces mêmes scientifiques aient pu publier ces données dans le format de ce rapport, libres et indépendants.
Les scientifiques publient les données pour soutenir leurs thèses, et cet objectif ne peut être atteint que si la présentation aide à la compréhension. Or, depuis les premiers rapports, la présentation des résultats est faite de telle manière à rendre impossible l’interprétation et la contradiction des décisions politiques.
Ne présenter qu’une partie des données, utiliser des échelles différentes entre graphes, introduire de nouvelles analyses qui soutiennent opportunément les décisions politiques du jour (ou à venir), ce sont autant de méthodes qui ne relèvent pas de la science, mais de l’éthologie et des techniques d’influence.
Je dénonce cette pratique. Tous les scientifiques du pays devraient la dénoncer.
C’est d’une iniquité manifeste, insidieuse, qui décrédibilise les experts en leur faisant jouer un rôle qui n’est pas le leur.
Je vous propose un petit florilège pour illustrer mon propos :
1. Depuis le premier rapport, les données sont mises en graphe en utilisant des axes d’unité différente (p.ex. Distribution des cas confirmés par tranches de 10 ans, distribution des décès par tranches de 25/20/10 ans)
2. L’évolution de la tendance des cas confirmés ne peut être pertinente que si les données sont illustrées par date de prélèvement. La tendance étrange du graphique (baisse le week-end, augmentation en début de semaine) ne peut s’expliquer qu’à la condition que les prélèvements soient réduits le week-end ou classés par date d’analyse !
3. Certaines données n’ont toujours pas été publiées alors qu’elles sont certainement disponibles (ex : comorbidité associée aux décès, distribution des personnes en soins intensifs,…)
4. Depuis le 15 avril, on distingue décès en hôpital et en maison de repos, précisant le taux de cas réellement confirmés pour ces derniers
5. Depuis le 16 avril, on a introduit les données des tests sur les résidents et le personnel soignant en maison de retraite.
6. Dans le rapport du 16 avril, on trouve le graphique de la distribution des hospitalisations par tranche d’âge.
Nous assistons impuissants à des dérives inquiétantes.
Il est dangereux de permettre une ingérence politique dans la communication scientifique.
Aucun argument sociétal ne peut prévaloir dans un état de droit au respect de l’indépendance des pouvoirs et de la science.
Ce n’est pas aux scientifiques de plier leurs conclusions aux besoins des politiques
C’est le rôle des politiques d’exploiter les données pour soutenir leurs décisions et leurs communications !
À chacun son rôle, à chacun ses responsabilités.
Caroline Vandermeeren, docteur en biotechnologie.
Photo d’illustration : Georges-Louis Bouchez, président du MR.
21 avril 2020