
Voici le mode d’emploi de création de secte dans les moindres détails. Le problème c’est que cette secte soit capable d’infiltrer un entreprise stratégique comme EDF (nucléaire…) qui vaut des milliards d’euros et qui intéresse bien des nations ennemies (espionnage : imaginez une seule seconde que ce monsieur soit un sayan au service d’un commanditaire ?). Ce qui est par ailleurs choquant, c’est la fragilité des élites françaises qui se laissent abuser par le premier pitre, venu leur parler de spiritualité ! C’est le prix à payer lorsque l’on a détruit la vraie spiritualité.
Le nouveau boss d’EDF, Jean-Bernard Lévy, aurait ouvert une enquête discrète sur ce coach omniprésent.
« Monsieur le Président, monsieur Gutmann souhaite vous voir. » En cet après-midi d’août 1993, Loïk Le Floch-Prigent étrenne son nouveau bureau de patron de Gaz de France. Quoi de plus normal que Francis Gutmann, qu’il remplace à la tête du groupe gazier, vienne le saluer. Surprise ! C’est un homonyme que sa secrétaire fait entrer. « Bonjour, je m’appelle David Gutmann, et je suis conseiller en synthèse », lance avec aplomb le visiteur. Loin d’être flanqué à la porte, l’inconnu parvient à capter l’attention du big boss. « Il m’a fait un exposé très confus sur ses méthodes, avant de me donner son avis sur le potentiel de chacun des cadres dirigeants du groupe, nous confie l’ancien P-DG d’Elf . Cela a fini par éveiller mon intérêt. »
Le Floch-Prigent n’était pas le premier à se faire envoûter. Voilà plusieurs décennies que ce gourou discret, adepte de dynamique de groupe et de psychanalyse, joue le confident et le coach des haut gradés de groupes d’énergie : GDF, mais plus encore EDF et ses filiales ERDF (distribution) et RTE (transport). Une sacrée performance, dans une entreprise publique truffée de polytechniciens a priori peu férus de sciences molles. Pourtant, via sa société Praxis International, où officient aussi ses fils Michaël et Raphaël, David Gutmann, 65 ans, organise des séminaires collectifs d’une semaine à l’intention des ingénieurs. Et régulièrement, en séance privée avec ces dirigeants, il passe des contrats de conseils individuels payés (par l’entreprise) entre 30.000 et 50.000 euros par an et par tête.
Dans son bureau feutré du VIIe arrondissement de Paris, où ne manque qu’un divan, Gutmann écoute leurs confidences, les fait parler de leur vie privée, distille des conseils, donne son avis sur les aptitudes de chaque membre de la hiérarchie. Un sacré pouvoir, qui en fait un homme redoutable et redouté. Même quand ils sont haut gradés, ses ennemis ne dénoncent qu’en chuchotant ce qu’ils considèrent comme une manipulation mentale. Il est vrai que l’homme en sait très long sur le petit monde clos des dirigeants d’EDF (ils sont plusieurs centaines), ses féodalités, ses clans, ses jalousies et ses haines, et cela depuis des lustres.
David Gutmann raconte lui-même comment tout a commencé. « J’étais encore à Sciences po lorsque j’ai fait la connaissance, en 1969, de Paul Delouvrier, alors président d’EDF. » De fait, le grand commis de l’Etat siégeait au conseil de direction de l’école, où le futur gourou y représentait son syndicat étudiant. Son diplôme en poche, agrémenté d’un master en droit public, notre homme entre en 1974 à la SICS (Société internationale des conseillers de synthèse), fondée après la guerre par des pionniers de la prospective afin de prêcher la bonne parole auprès des patrons, en pleine période de reconstruction. Ses contacts au sein de l’état-major vont permettre au jeune consultant de décrocher plusieurs contrats avec EDF GDF et de prendre rapidement du galon au sein de la société de conseil. « A partir de 1981, j’ai commencé à organiser un séminaire cinq fois par an pour une centaine de chefs d’unité du groupe au centre de formation de Dourdan », précise-t-il. Mais après avoir débuté sa propre analyse (ce qui lui permettra de devenir lui-même plus tard psychanalyste), David Gutmann finit par trouver les méthodes de la SICS trop étriquées. Pas assez d’inconscient là-dedans. « Par souci d’efficacité, j’ai voulu mêler la psychanalyse aux dynamiques de groupe », explique-t-il. Son inspirateur ? Le médecin psychiatre britannique Wilfred Bion, pionnier du genre au début des années 1960. Mais, pour développer cette méthode, il lui faut être maître chez lui. Le pas est franchi en 1989, avec la création de Praxis International.
Logiquement, EDF va devenir son principal client. Pierre Delaporte, le polytechnicien qui préside alors le conseil d’administration du groupe, est séduit par son approche originale. Tellement enthousiasmé qu’il devient, au risque de générer un conflit d’intérêts, administrateur de Praxis International, et qu’il le restera jusqu’à son décès en mars 2014, plus de vingt ans après avoir quitté EDF. Ainsi cautionné au plus haut niveau, David Gutmann n’a eu aucun mal à capter l’oreille des barons les plus ambitieux. Pierre Daurès, ingénieur des Ponts et Chaussées, ancien patron de la centrale du Bugey, directeur du personnel et des relations sociales puis DG d’EDF entre 1998 et 1999, est devenu un inconditionnel. Tout comme l’X Michel Francony, président jusqu’en 2010 d’ERDF, qui donne aujourd’hui des conférences au sein de l’IFSI, le Forum international de l’innovation sociale piloté par Gutmann. Et, surtout, Jean-Louis Mathias, actuel président d’EDF Energies nouvelles. Exdirecteur du personnel devenu numéro 2 du groupe sous la présidence de Pierre Gadonneix, ce polytechnicien a toujours été un indéfectible soutien du gourou.
« Lorsque j’étais directement sous ses ordres, raconte une ancienne cadre dirigeante, il insistait pour que je rencontre « David » en tête à tête et que je m’inscrive à l’un de ses séminaires. » Elle s’est prêtée au jeu, mais pas longtemps. Partie pour une semaine avec sa petite valise dans un centre de Jouy-en-Josas, cette surdiplômée a craqué dès la première matinée. « Je me suis retrouvée avec une centaine de personnes debout pendant des heures dans une grande salle vide et non chauffée, fin novembre, à attendre qu’il se passe quelque chose. » Le but de l’opération ? Sans doute étudier le comportement des participants, révéler un leader potentiel ou une personnalité rebelle. Parmi les anecdotes des séminaires Praxis figure aussi l’épisode de cette participante qui avait surgi en tenue d’Eve à une séance de lâcher-prise. « Elle avait un peu pété les plombs, c’est un cas isolé », tempère David Gutmann.
Certains responsables, formatés par les grandes écoles d’ingénieurs, reconnaissent toutefois avoir apprécié ces dynamiques de groupe. « J’y ai beaucoup appris, affirme ainsi l’X Thierry Bonnet, ancien patron de la centrale de Fessenheim puis directeur de la production. J’ai suivi des stages sur l’autorité et le leadership, où l’on voit que, pour être un manager efficace, il ne faut pas toujours se limiter au rationnel. »
Plus prosaïquement, certains dirigeants ont compris qu’un passage chez Praxis pouvait accélérer leur ascension. « Au fil des ans, David Gutmann a réussi à créer une sorte de petite secte interne, qui manipule les esprits et défend sans scrupule les intérêts de ses membres », fulmine un opposant. D’autres évoquent même, sans preuve formelle, le rôle occulte qu’il pourrait jouer dans des appels d’offres. Ainsi lors de ce contrat de 1 milliard d’euros passé l’an dernier pour la fourniture à EDF de 58 moteurs Diesel « d’ultime secours ». Une obligation imposée par l’Autorité de sûreté nucléaire après la catastrophe de Fukushima. Mais ce marché a échappé au consortium Alstom-MAN Diesel & Turbo France, techniquement le plus solide au dire d’un expert indépendant, au profit de deux autres. Un choix qui fait l’objet d’une plainte pénale déposée par un partenaire du groupe écarté. Quel rapport avec David Gutmann ? Pierre-Franck Chevet, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, très discrète sur ce dossier, est un bon client du gourou. Reste que ses ennemis n’ont aucune preuve de son intervention éventuelle.
Ce qui est sûr en tout cas, c’est que les dirigeants d’EDF ont fini par se méfier de l’influence occulte exercée sur leurs cadres par l’électron libre. « Je suis un homme de terrain, et je n’ai pas besoin de gourou », avait prévenu Henri Proglio en prenant la présidence d’EDF en 2009. Il avait d’ailleurs confié une enquête discrète sur le sujet à son conseiller spécial, Jorge Mora. Mais il faut croire que le gourou avait de solides défenseurs, puisqu’il a fallu quatre ans pour que Praxis soit blacklisté, via une note interne du 15 février 2013 signée par le secrétaire général, Alain Tchernonog. Ce qui n’a pas empêché David Gutmann de maintenir ses relations personnelles avec plusieurs barons du groupe. De plus, RTE, dirigé par l’X-Mines Dominique Maillard, proche de David Gutmann, est toujours cliente de sa société de conseil. Ce qui agace les administrateurs salariés CGT de cette filiale d’EDF. Dans leurs récents bulletins, ils s’interrogent ouvertement sur le rôle du dirigeant de Praxis, « éminence grise de nos dirigeants », « conseiller de l’ombre » qui exercerait un « management parallèle » et un « contrôle occulte » sur l’électricien national. « Quel est l’objet de ces formations qui allient psychanalyse et religion ? », interrogent dans leur édito les cégétistes siégeant au conseil de surveillance de RTE.
Peut-être finiront-ils par obtenir une réponse : selon une source interne, Jean-Bernard Lévy, le tout nouveau patron d’EDF, aurait demandé une enquête sur le mystérieux coach à son directeur de l’intelligence économique, Christophe Rastouil. Ancien patron du service action de la DGSE, ce général au visage taillé à la serpe n’est pas le genre à se laisser marabouter.
L’influent réseau de Praxis :
50 c’est le nombre de dirigeants d’EDF que le gourou David Gutmann a coachés en direct.
30 le nombre de groupes français (dont la SNCF, Gaz de France, Arcelor, La Mondiale, les 3Suisses, Sephora, Galeries Lafayette, Groupe Amaury) que Praxis International a conseillés, en plus d’EDF.
Les dates clés de son ascension : il a posé ses jalons il y a 40 ans
1970 : Rencontre Paul Delouvrier, président d’EDF, au conseil de Sciences po.
1971 : Invité à l’inauguration des Renardières, centre de recherche d’EDF.
1975 : Consultant pour EDF, à travers la SICSSociété internationale des conseillers de synthèse., dont il devient directeur.
1989 : Fonde Praxis International, dont EDF sera le principal client.
2013 : EDF met fin aux nouveaux contrats, sauf ceux des filiales RTE et ERDF
Ils donnent des conférences avec lui :
Jean Bergougnoux, ex-directeur général d’EDF, ex-président de la SNCF.
Jean François Millat, ex-responsable ressources humaines et relations sociales d’EDF.
Pierre Franck Chevet,président de l’Autorité de sûreté nucléaire, ex-directeur général de l’Energie.
Michel Francony, ex-président d’ERDF (Electricité Réseau Distribution France).
Florilège de ses expressions favorites :
A priori : la meilleure façon d’interdire « l’ad-venir »
Consensus : il n’y a que les c… qui ont en sus
Liée à la philosophie de l’altérité, l’articulation des complémentarités est un processus dynamique et complexe
L’homme n’aime pas le changement… sauf le bébé mouillé, c’est bien connu
Ici et maintenant : la dimension propre de la transformation
Liberté : la liberté réside dans le flux de l’inconscient au conscient
Complémentarité(s)… ou quand autre rencontre manque… et vice versa bien sûr…
Olivier Drouin