Une société civilisée et intelligente ne sombrerait jamais dans ce genre de dérive, d’autant qu’il s’agit ici du viol de la mémoire des défunts qui sont instrumentalisés pour faire toujours plus de fric, ils n’ont rien demandé ! Ils ont beau inventer l’intelligence digitale la plus rapide, ils ne feront que tourner au rond autour de leur abyssale médiocrité.
D’autant que ce type de proposition commerciale va rendre fous les parents qui viennent de perdre un enfant, V. Hugo en a fait les frais avec les délires spiritistes à la perte de sa petite Léopoldine (le choix de l’image à la une est parlant). Ne pas réussir à faire le deuil est très dangereux pour la santé mentale des vivants, c’est un fait. Mais le business n’en a que faire de ces risques pour la santé publique, d’autant que les conseils ordinaux garants de l’éthique sont tous corrompus, ou presque, il suffira de glisser un p’tit billet pour faire publier n’importe quel rapport favorable.
Autrefois, nos souvenirs des défunts se limitaient à des photographies, des vidéos et des objets.
Aujourd’hui, des entreprises comme Forever Voice, Project Elysium ou HereAfter AI changent la donne. Forever Voice, par exemple, recrée des voix à partir d’enregistrements vocaux des défunts, permettant des conversations post-mortem. De son côté, Project Elysium utilise la réalité virtuelle pour créer des rencontres numériques avec des êtres chers disparus. HereAfter AI offre une expérience d’échange avec des chatbots alimentés par des souvenirs et des histoires des défunts, offrant une continuité de conversation.
Le sujet a toujours fait l’objet de fantasme. La série “Upload” (2020) explore un futur où la mort n’est pas une fin mais un transfert. Les individus peuvent “s’uploader” (i.e. transférer son corps et sa conscience) dans un après-vie numérique accessible aux vivants via réalité virtuelle. Cette série de science-fiction nous transporte dans une réalité alternative où le concept de mort est flou et malléable.
Mais désormais, les avancées technologiques dépassent la fiction et les exemples de créations mettant en scène nos défunts se multiplient. En juin dernier, on a ainsi pu découvrir une nouvelle œuvre des Beatles, créée grâce à l’intelligence artificielle pour l’utilisation de la voix de John Lennon. Dans son émission “Hôtel du temps”, Thierry Ardisson proposait d’interviewer des personnalités décédées grâce à la technologie. Dalida et Coluche n’ont pas séduit, l’émission s’est arrêtée après deux épisodes.
Les frontières éthiques de la remémoration
Cette possibilité s’étend au grand public : en Corée, grâce à l’utilisation de la réalité virtuelle, une mère endeuillée a eu l’occasion de dire adieu à sa fille décédée grâce à la reproduction de sa présence sous la forme d’un avatar numérique. Au Japon, l’innovation technologique permet même de “dîner” avec un proche décédé grâce à la réalité augmentée. Ces rappels numériques vivants dépassent la simple mémoire pour proposer des interactions nouvelles.
Toutes ces avancées nous confrontent à des dilemmes éthiques profonds et complexes, incluant des questions relatives au consentement, à la véracité et à la finitude de la vie.
Aussi, l’aspect commercial de la douleur ne peut être ignoré. La mort est une expérience universelle, et le désir de se reconnecter, même de manière artificielle, avec un être cher disparu peut être irrésistible. Mais à quel coût ? Si certaines entreprises opèrent avec compassion et empathie, d’autres pourraient voir une opportunité lucrative d’exploiter le chagrin des individus. Où se situe la limite entre fournir un service précieux et profiter de la vulnérabilité des personnes endeuillées ?
Santé mentale et deuil artificiel
Au-delà des dilemmes éthiques, se pose une question fondamentale : quel impact ces technologies ont-elles sur la santé mentale des vivants et sur le processus naturel de deuil ?
Le deuil, avec ses étapes de choc, déni, colère, résignation et acceptation, est un parcours émotionnel nécessaire pour guider l’individu à travers la douleur de la perte et vers la guérison. Les interactions artificielles peuvent entraver cette progression, en créant un lien de dépendance où l’endeuillé est tenté de s’accrocher à une représentation numérique plutôt que d’accepter la réalité de la mort.
Cette “renaissance numérique” viendra brouiller les frontières entre la réalité et le souvenir. Des psychologues mettent en garde contre les risques de dépendance à ces outils, retardant la résolution du deuil ou pire, le faisant régresser. L’hyperattachement à une version numérisée d’un être cher pourrait entraîner un isolement, une détresse prolongée ou une incapacité à vivre pleinement dans le présent. Pire, l’individu pourrait rester bloqué dans une phase particulière du deuil, par exemple le déni. Cette stagnation aurait des effets dévastateurs sur sa santé mentale, empêchant la personne de vivre pleinement sa vie, d’établir de nouvelles relations ou même de se souvenir de la personne décédée avec sérénité et acceptation.
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Photo d’illustration : En Corée, Jang Ji-sun interagit avec une version numérique de sa fille Nayeon, décédéé en 2016, grâce à la réalité virtuelle.
16 août 2023