Quand on pense que des professeurs de médecine se suicident, de très fortes personnalités, des brutes de travail dont certains sont impressionnants d’intelligence, on se dit que la machine est vraiment brisée. Imaginez une seconde ce que cette même mécanique de harcèlement peut produire sur une jeune infirmière inexpérimentée ?!!
Encore une fois, c’est ce qui arrive quand l’argent devient roi et quand de ridicules chefaillons administrateurs deviennent plus puissants que des professeurs… Tout ceci, vous l’aurez compris, au détriment de la qualité de soins et donc des patients que vous êtes ou serez un jour.
Un an après le suicide du professeur Mégnien, les plaintes de soignants pour harcèlement se multiplient. Marisol Touraine a reçu vendredi le rapport de l’IGAS sur cette affaire.
“Alors qu’une information judiciaire a été ouverte pour harcèlement moral, les proches de Jean-Louis Mégnien ont créé une association de lutte contre la maltraitance au sein de l’hôpital public.” (Martin Colombet)
Le week-end dernier, les amis du cardiologue Jean-Louis Mégnien, qui s’est défenestré le 17 décembre 2015, se sont rassemblés sur les lieux du drame à l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris. “Nous étions une trentaine venus pour honorer sa mémoire”, relate son fidèle copain Philippe Halimi. Ce chef du service de radiologie, “témoin impuissant” du “harcèlement qui a conduit à la tragédie”, déplore qu’aucun membre de la direction de l’établissement, ou du siège des hôpitaux parisiens, n’ait passé une tête à la petite cérémonie.
« L’attitude de la directrice a été préjudiciable à notre collègue »
Un an après le suicide, la colère des proches collègues du professeur Mégnien, qui ont fondé une association de lutte contre la maltraitance au sein de l’hôpital public, est loin d’être apaisée. Sans doute parce que les deux magistrats parisiens chargés de l’information judiciaire ouverte en avril pour harcèlement moral n’ont pas encore terminé leurs investigations. Sans doute aussi parce que les protagonistes du drame travaillent toujours ensemble dans le grand bâtiment de verre et de béton.
Martin Hirsch dénonce “des propos inacceptables”
Ces derniers temps, la colère a éclaté au grand jour dans les colonnes du Quotidien du médecin. Se voyant reprocher par un patron d’hôpital et responsable syndical de mener une “chasse aux directeurs”, l’Association Jean-Louis Mégnien a rejeté cette accusation de portée générale tout en enfonçant le clou sur le cas particulier qui a conduit à sa création : “L’attitude de la directrice a été hautement préjudiciable à notre collègue décédé.” Cette réponse en a entraîné une autre, de Martin Hirsch. Dans une lettre à la ministre de la Santé, le numéro 1 des hôpitaux parisiens la presse de “faire cesser des propos inacceptables” et la somme de rendre public un rapport de l’Igas qui dédouanerait la directrice de l’hôpital Pompidou. Les deux parties se retrouvent donc dos à dos, comme au lendemain du suicide : l’une accuse la directrice, l’autre l’assure de son soutien indéfectible. Le fait que les résultats de cette enquête administrative – reçue ce vendredi par la ministre Marisol Touraine – n’aient pas été dévoilés a sans doute contribué à ranimer les braises, à l’approche de la date anniversaire du décès. D’autant qu’une synthèse, révélée en septembre, avait bien pointé un certain nombre de manquements, tant du côté de la commission médicale d’établissement, l’instance qui représente les médecins et gère de facto leurs carrières et désaccords, que de la direction, incapable de bien régler le conflit et de prendre la mesure de la souffrance endurée par Jean-Louis Mégnien.
« Un risque de passage à l’acte »
“Tout le monde dit être très attristé par le décès de Jean-Louis mais, un an après, dans ce dossier nous sommes toujours dans le déni”, soupire Philippe Halimi. Le professeur de radiologie se reprend : “Enfin, ce n’est plus tout à fait vrai. Notre action a libéré la parole.” À en croire l’association, plusieurs centaines de médecins ou soignants auraient porté plainte pour harcèlement dans toute la France, faute de trouver une écoute auprès de leurs directions. Parmi ces dossiers, une quinzaine, particulièrement brûlants à cause “d’un risque de passage à l’acte”, ont même été signalés au ministère de la Santé.
“Ce risque a longtemps été mal mesuré”
Chargé de la question des “ressources humaines” au sein de la commission médicale d’établissement qui représente les médecins des hôpitaux parisiens, Rémi Salomon reconnaît que le suicide de Jean-Louis Mégnien a été “un électrochoc” : “Nous n’étions pas très bons en matière de prévention des risques psychosociaux. C’est désormais une priorité.” Même constat d’une directrice d’hôpital en province : “Il y a de nombreux cas de harcèlement à l’hôpital.
« Un problème structurel : le pouvoir exorbitant de l’administration »
Ce risque a longtemps été mal mesuré car les médecins ne sont pas gérés directement par les directions, comme les infirmières ou les personnels des cuisines. Les promotions, comme les conflits, se règlent entre médecins. En cas de crise, les syndicats de praticiens hospitaliers ne jouent pas leur rôle de soupape car ils ne sont pas représentés au niveau de l’hôpital.”
Quelles sont les causes du mal qui gangrène les équipes hospitalières ? “Le drame de notre ami a mis au jour un problème structurel : le pouvoir exorbitant de l’administration. Il faut un rééquilibrage au profit des gens de terrain”, dénonce Philippe Halimi. Dans son sillage, certains médecins réclament une refonte de la gouvernance hospitalière mise en place par la loi Bachelot de 2009. Promoteurs et détracteurs de cette réforme, médecins de base ou chefs d’établissement, jusqu’au président de la Fédération hospitalière de France et élu (LR), Frédéric Valletoux, tous incriminent le régime sec auquel sont soumis les hôpitaux et qui met équipes et directeurs sous pression.
Anne-Laure Barret – Le Journal du Dimanche.