Il est difficile de croire à un changement de dernière minute quant à la nature et l’aspect que prendra cette visite présidentielle, surtout à ce niveau protocolaire au sommet des deux États. Ce n’est pas la première fois, du reste, qu’Alger est embarrassé lorsqu’un président étranger souhaite s’y rendre. Angela Merkel en a fait les frais et a été priée in extremis de renoncer à son voyage en raison de l’indisponibilité permanente du Président algérien, son avion ayant dû rebrousser chemin. La fameuse alacrité dont avait fait état le « docteur » François Hollande quant à l’état de santé de Bouteflika a été très mal perçue par les Algériens, à la limite même de l’insulte à leur intelligence. Ce que demandent les Algériens et il importe que Macron et son entourage le comprennent une bonne fois pour toutes, est que la France officielle renonce sérieusement à la Françafrique et cesse définitivement de s’immiscer dans ses affaires intérieures en soutenant des marionnettes exécrées par le peuple.
L’Élysée a opté pour une visite « de travail et d’amitié ». Un format réduit alors que les dossiers ne manquent pas.
C’est peut-être un détail pour vous, mais vu d’Alger ça veut dire beaucoup.
En déplacement en Algérie ce mercredi 6 décembre, Emmanuel Macron n’effectue pas une visite d’État, la plus haute forme de contact diplomatique entre deux nations, mais une visite “de travail et d’amitié” selon le vocable utilisé par l’Élysée.
Ce n’est pourtant pas ce que les Algériens avaient compris après le discours de Jean-Yves Le Drian à l’ambassade d’Alger le 12 novembre. Après avoir évoqué ses souvenirs de « visite d’État » avec François Hollande sur le sol algérien, le ministère des Affaires étrangères avait expliqué que « le président français effectuera sa visite ici dans peu de temps », laissant ainsi entendre que ce serait sous ce régime protocolaire que le chef de l’État effectuerait son déplacement. D’autant que les prédécesseurs d’Emmanuel Macron ont tous honoré l’Algérie d’une visite d’État.
Aller vite
De l’autre côté de la Méditerranée, ce changement de pied n’a pas manqué d’être commenté et d’être associé à la santé d’Abdelaziz Bouteflika. « Cette requalification de la visite, qui a surpris nombre d’observateurs, permettra à l’hôte de l’Algérie de ne pas s’astreindre à un programme contraignant, qui mettrait mal à l’aise les autorités algériennes, compte tenu des difficultés évidentes du président Bouteflika d’assumer les charges d’un protocole laborieux et exigeant du fait de sa maladie », note le quotidien El Watan, qui ironise sur la « trouvaille sémantique » que constitue cette visite « de travail et d’amitié ».
Selon l’Elysée, ce format réduit s’explique surtout par la volonté de poursuivre la “séquence franco-algérienne”, entamée au mois de février par le candidat Macron, quand ce dernier avait qualifié depuis Alger la colonisation de “crime contre l’humanité”.
Autrement dit, il fallait profiter de la fraîcheur de ce souvenir, et donc, aller vite. « C’était important d’organiser rapidement cette visite pour montrer l’importance de pays pour la France et de nos liens », explique l’entourage du chef de l’État, tout en précisant qu’une visite d’État en bonne et due forme pourra avoir lieu « ultérieurement ». « Le président de la République est ouvert sur l’idée », explique-t-on encore.
« Dimension mémorielle » et culturelle
Pour souligner le caractère amical de cette visite, l’Elysée insiste sur la “dimension mémorielle” qui accompagne ce voyage. Emmanuel Macron se rendra notamment au Mémorial du martyr, érigé en 1982 à l’occasion du 20e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, pour y déposer une gerbe en fin de matinée.
Malgré ses désaccords passés avec le président sur la question coloniale, le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin, petit-fils d’un tirailleur algérien ayant combattu pendant la seconde guerre mondiale puis comme Harki durant la guerre d’Algérie, sera du voyage. Autre membre de la délégation présidentielle « réduite » et illustrant la « dimension mémorielle » du voyage, l’historien Benjamin Stora, spécialiste de la guerre d’Algérie et des décennies qui ont suivi.
L’Élysée insiste également sur la dimension culturelle, soulignant les « liens humains » qui unissent les deux pays. Ce qui se ressent dans la délégation présidentielle, où figurent le réalisateur natif d’Alger Alexandre Arcady et le jeune cinéaste franco-algérien Damien Ounouri. Idem côté élus. La sénatrice socialiste Samia Ghali et la députée LREM Fadila Khattabi (présidente du groupe d’amitié France-Algérie à l’Assemblée) seront du voyage.
Emmanuel Macron déjeunera avec plusieurs personnalités algériennes connue dans l’Hexagone, à l’image du romancier Kamel Daoud. À noter la présence à ce déjeuner de Noureddine Benissad, président de la Ligue des Droits de l’Homme en Algérie. Peut-être l’occasion pour Emmanuel Macron d’évoquer le contexte algérien, à l’aune de la tension qui s’est exprimée récemment entre Alger et la presse française.
Les intérêts quand même
Ce déplacement ne va toutefois pas se cantonner à la seule visite de courtoise. L’Élysée considère que l’Algérie “représente un potentiel économique considérable, dans tous les domaines” et attire de ce fait “une concurrence internationale plus forte”, venant notamment des “entreprises chinoises”.
Le président de la République ne vient donc pas les mains vides. Il emmène dans ses valises “un mix de grosses boîtes et de start-ups”, souffle l’Elysée. Font ainsi partie du voyage Xavier Niel (patron de Free et actionnaire du HuffPost ndlr) ou Bruno Blin, président de Renault Trucks, ainsi que Racem Flazei, co-fondateur et président de la start-up LegalPlace ou encore Aicha Mokdahi, présidente d’Essilor Vision Foundation entre autres.
Autre dossier à l’ordre jour: « la sécurité régionale » liée au « Sahel et la Libye », deux dossiers qui préoccupent particulièrement Emmanuel Macron. Deux jours avant le départ, l’Élysée annonce la couleur. « La France souhaite aller plus loin dans la lutte contre les groupes actifs sahéliens », prévient l’entourage du chef de l’État, lequel ne restera que quelques heures sur le sol algérien, s’envolant le soir même pour le Qatar.
Reste à savoir si ce (très court) format sera suffisant pour obtenir de cette « visite de travail et d’amitié » autant que ce que permet une « visite d’État » de plusieurs jours.
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