Il y a quelques années, juste avant l’apparition du covidisme, l’accusation de complotisme terrorisait absolument tout le monde. Aujourd’hui, cette accusation risible est devenue tellement systématique qu’elle ne veut plus rien dire, tout le monde commence à comprendre. D’aucuns s’enorgueillissent d’être accusés de la sorte car c’est la preuve d’une bonne santé mentale car lorsque la Doxa vous attaque à ce point, c’est que vous ne pouvez qu’être dans le bon camp, avoir raison. On ne peut pas disqualifier des millions d’êtres humains qui réfléchissent – certains sont surdiplômés- par un simple mot creux qui n’a absolument aucun sens ni aucune base juridique. Il faut dire que les tenants de la Doxa n’ont absolument aucun argument, ils veulent juste imposer leur folie à la multitude.
« Élections truquées », manipulations : les relents complotistes se font entendre durant cette campagne électorale. Selon une étude menée au sein de la Fondation Jean-Jaurès en janvier 2019, la majorité des Français ne serait pas hermétique aux théories complotistes.
Sur dix énoncés jugés conspirationnistes proposés aux enquêtés, 65 % de la population adhèrerait au moins à l’un d’eux. Pourtant, la gravité du phénomène pourrait parfois être relativisée.
Alors que la France était parfois jugée particulièrement « anti-vaccin », plus de 80 % de la population s’est fait vacciner contre le Covid-19 à au moins une reprise.
Depuis les attentats de 2015, le terme est abondamment utilisé dans les médias notamment par les hommes et femmes politiques. Il devient aujourd’hui un problème public. De nombreux mouvements sociaux populaires sont affublés du qualificatif disqualifiant de complotiste. On pense bien sûr aux « gilets jaunes », et actuellement aux « anti-vax », « anti-pass-sanitaires/vaccinal » et très récemment au « Convoi de la liberté ». Son usage parfois excessif semble traduire une peur des élites envers un peuple jugé irrationnel, qui manque de vigueur intellectuelle.
Le philosophe Frédéric Lordon y décèle une « paranoïa des puissants » dans cette « obsession » pour le complot. Une ligne de démarcation semble claire entre les individus autoproclamés « rationalistes » et les autres jugés « obscurantistes ». Un vent de panique, accompagné d’un discours catastrophiste, semble être entretenu par certains politiques et journalistes qui placent les complotistes en ennemies de la démocratie qu’il faut combattre.
Les dirigeants politiques s’inquiètent du complotisme
Le président Emmanuel Macron considère que « le complotisme gagne du terrain et prend des formes de plus en plus extrêmes » et que par conséquent « la nation tout entière se mobilise pour opposer au complotisme le raisonnement éclairé ». Le principal coupable de cet état : Internet et les réseaux sociaux numériques qui permettent à tout un chacun de dire tout et n’importe quoi et qui ne sont pas suffisamment régulés. Dès lors, les journalistes et les politiques semblent s’attribuer un surcroît de légitimité en s’engageant dans une lutte contre les idées fausses (le « fact-checking ») afin d’éduquer la population.
C’est à partir de 2008 que des journaux vont créer des rubriques dans le but de démasquer les fausses informations : « Désintox » dans Libération et « Les Décodeurs » dans Le Monde, parmi les premiers. Ces rubriques vont progressivement se généraliser dans l’ensemble des médias.
Politiquement, la récente commission, mise en place le 29 septembre 2021, commanditée par le gouvernement, présidée par le sociologue Gerald Bronner, montre à quel point le sujet de l’obscurantisme à l’ère numérique devient préoccupant pour les élites.
La demande du président repose sur quatre points à développer que l’on peut lire en préambule du rapport :
- « établir un état de l’art […] sur l’impact d’Internet dans nos vies de citoyens »,
- « formuler des propositions dans les champs de l’éducation, de la prévention, de la régulation et de la judiciarisation des diffuseurs de haine »,
- « Proposer de nouveaux espaces communs de la démocratie »,
- « développer une analyse historique et géopolitique de l’exposition de la France aux menaces qui pèsent sur notre démocratie ».
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Ce que produit l’usage du qualificatif « complotiste »
Lors d’une interaction, le fait de qualifier l’autre de complotiste produit un effet : il place l’émetteur dans une position de supériorité intellectuelle, de sachant. Par conséquent, il disqualifie l’autre, qui est relayé dans une position d’infériorité, d’ignorant, de crédule, voire de paranoïaque qui menace l’ordre démocratique. L’attribution du qualificatif est « négative et péjorative ». C’est une « labellisation infamante », un « étiquetage social » qui vise à « stigmatiser » et à disqualifier, qui place l’autre dans le camp des « déviants » par rapport aux dits « normaux ».
Autrement dit, le qualificatif de complotiste est normatif, c’est-à-dire, qu’il induit une norme de pensée sur un sujet contre un point de vue déviant. Mais, bien que personne ne se revendique complotiste, le « stigmate » peut être retourné : celui qui l’emploi est considéré par la cible de l’invective comme crédule ou éventuellement complice.
En se parant d’un discours qui fait consensus pour les autorités scientifiques et politiques, l’individu qui accuse de complotiste est lui aussi disqualifié. Il est considéré à son tour comme ignorant, crédule et conformiste, qui suit les moutons et leur berger. Le terme apparaît au cours d’une discussion comme un nouveau « point Godwin ».
Cette notion non scientifique, développée par un avocat américain, désigne la probabilité importante lors d’une discussion qui se prolonge et qui devient véhémente, de faire référence aux nazis ou à Hitler. Recourir au qualificatif de complotisme, amalgame, polarise et ne permet pas de penser et d’argumenter. Il divise en deux camps ennemis et renforce les positions initiales de chacun. En ce sens, il biaise le débat public.
Un usage politique du complotisme pour disqualifier les adversaires
Politiquement, l’usage du terme disqualifie les discours des groupes sociaux d’opposition. Il produit souvent des amalgames. Par exemple, celui existant entre « anti-vax » et « anti pass vaccinal ». Il apparaît possible de critiquer l’obligation vaccinale tout en étant favorable à la vaccination consentie. De même, il est possible d’observer des réserves sur les lobbys pharmaceutiques et sur l’intérêt financier à vendre des vaccins sans tomber dans une forme d’irrationalité et de paranoïa. L’usage du qualificatif peut alors permettre de disqualifier toutes réserves et/ou contestations contre les progrès scientifiques et technologiques.
Un autre exemple peut être celui du développement de la 5G. Il est possible d’avoir des réserves, voire d’y être fermement opposé sans pour autant être complotiste. L’existence de nombreuses théories conspirationnistes sur le sujet, comme celle considérant que les antennes-relais affaiblissent le système immunitaire et seraient responsables des cas mortels fallacieusement attribués au Covid-19 sert de moyen pour disqualifier toutes critiques face aux potentiels dangers de cette innovation. Lorsque le président Macron disqualifie les opposants à la 5G en les qualifiant d’amish/complotistes, ils les accusent d’irrationalité.
Le risque est que toutes critiques et toutes oppositions tombent sous le coup de l’accusation de complotisme. Ceci a pour effet de « pathologiser » le débat public, de l’hystériser et d’empêcher tout avis contradictoire et toutes nuances.
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Photo d’illustration : Manifestation contre le pass sanitaire obligatoire pour accéder à la plupart de l’espace public, à Nantes, le 4 septembre 2021. Sebastien Salom-Gomis/AFP
28 mars 2022
*Sociologue, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)