Très rare article à être publié dans la presse occidentale, qui revient sur la situation dramatique que vivent les citoyens algériens – hirakistes – militants des droits de l’homme et de la liberté d’expression qui se retrouvent en prison avec de lourdes peines pour simplement avoir posté un message sur les réseaux sociaux demandant plus de démocratie, moins de pillage, de corruption et d’autoritarisme ! Au lieu de condamner ces dérives qui se multiplient depuis plus de 2 ans maintenant, sans oublier l’utilisation de la crise sanitaire pour restreindre encore plus les libertés, les autorités françaises par exemple continuent de fermer les yeux ! Emmanuel macron est incapable de condamner le régime Tebboune, bien au contraire, il le soutient pleinement. Ceci est encore une fois la démonstration de la grande hypocrisie démocratique parisienne qui, rappelons-le, ne rate jamais une occasion d’en faire des tonnes dès qu’un militant russe est emprisonné…
Pourtant, il aurait été possible de mettre un petit coup de pression sur Alger en lui demandant de lâcher du lest et de ne pas aggraver la situation locale; mais ce n’est pas le cas. Tout ceci finira malheureusement très mal comme c’est le cas aujourd’hui au Sri Lanka ou comme ce fut le cas dans de très nombreux pays dans le monde, l’histoire est toujours là pour nous le rappeler.
Une chape de plomb paralyse le pays ! Des centaines de prisonniers politiques croupissent dans les geôles de « L’Algérie nouvelle » dans des conditions déplorables.
Leaders politiques, militants associatifs, universitaires, journalistes, avocats…, nul n’est épargné par la vague de répression qui n’a pas fait dans le détail. Parmi les victimes : sept femmes. Même pendant les années sombres de la dictature du parti unique, jamais palmarès aussi lourd n’a été affiché avec autant d’arrogance. Leur seul crime : exprimer pacifiquement des opinions critiques contre le pouvoir ou ses dirigeants, ou défendre un projet politique alternatif non homologué par les gardiens du temple.
Malgré des dossiers vides, les accusations donnent froid dans le dos. L’inculpation de « terrorisme et atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité du territoire » contre des militants pacifiques qui n’ont pas usé de violence ni préconisé son usage, est mise en branle avec une incroyable légèreté ; elle vise des activistes du « Hirak » sur les réseaux sociaux, mais surtout des indépendantistes kabyles et des militants pour un État fédéral, respectueux des spécificités régionales, notamment culturelles et linguistiques.
Pour le 60e anniversaire de l’indépendance célébré par une imposante parade militaire, le président Abdelmadjid Tebboune a décrété une grâce présidentielle pour plus de 14 000 détenus, essentiellement des condamnés de droit commun, et « recommandé des mesures d’apaisement au profit des jeunes poursuivis pénalement et placés en détention pour avoir commis des actes d’attroupement et des faits connexes ». Depuis le 5 juillet, les familles de plus de 300 prisonniers d’opinion campent devant les pénitenciers, dans l’espoir de voir les militants retrouver la liberté. Pour l’instant, les libérations se font au compte-gouttes et les tribunaux continuent de prononcer de lourdes peines pour des délits politiques.
Chasser la langue française !
Ce retour vers les années de plomb n’a pas épargné la presse. Lors d’un débat télévisé avec des journalistes embarqués, le Président algérien avait exhibé les « 187 journaux du paysage médiatique national » comme un gage de « liberté d’expression et d’ouverture politique inexistante même dans les démocraties occidentales ! » Alors que Liberté, grand quotidien francophone, est acculé au sabordage, en avril dernier dans des circonstances opaques, alors qu’El Watan, autre quotidien francophone au ton relativement critique, risque de connaître le même sort, des dizaines de journaux-alibis, au tirage confidentiel, reçoivent plusieurs pages de publicité gouvernementale par jour. Ces publications appartenant aux clientèles du régime qui se prosternaient devant les portraits d’Abdelaziz Bouteflika, redoublent maintenant de férocité pour cracher au visage du président déchu en avril 2019, pour entrer dans les bonnes grâces des nouveaux maîtres du pays. Dans ce marché gagnant-gagnant qui défie la légalité, le procureur de la république pourtant si prompt à sévir contre des militants pacifiques, n’a pas osé ouvrir une information judiciaire pour détournement de fonds publics.
Au moment où le pays traverse l’une des phases les plus critiques de son histoire tourmentée, les forces rétrogrades qui ont investi l’appareil d’État tentent de ranimer une vieille guerre idéologique pour faire diversion et conforter leurs positions dans les institutions. Après le boycott des législatives du 12 juin 2021 par l’opposition démocratique, le parlement est dominé par l’alliance des clientèles du régime avec les islamistes domestiqués, qui ont exigé des concessions idéologiques contre leur ralliement.
Face à la flambée des prix des fruits et légumes et aux queues interminables pour un sachet de lait, le ministre du Commerce a décidé… d’arabiser son département, donnant ainsi le top départ à une réaction en chaîne qui va contaminer toutes les administrations. La dernière mesure en date émane du ministère de l’Éducation nationale : « chasser la langue française de l’école et la remplacer par l’anglais » ! Les discours de haine et les provocations à caractère raciste tentent d’attiser les antagonismes ethniques et régionalistes. En toute impunité. C’est dire la puissance des parrains occultes qui tirent les ficelles dans l’ombre, et protègent les nervis chargés de mission.
Sauver le pays ou sauver le régime ?
Dans cette dérive risquée, les patriotes en peau de lapin qui ont déclaré la guerre, 60 ans après l’indépendance, contre « la France, ennemi d’hier et d’aujourd’hui », vont faire contrition devant ses représentants consulaires pour obtenir un visa longue durée, ou une place au Lycée français d’Alger pour leurs enfants. Dans un livre publié il y a quelques mois, un ancien ambassadeur de France à Alger révèle la duplicité des dirigeants algériens, et lève partiellement le voile sur les contreparties qu’il exigeait de ses obligés. Mais il se gardera de donner des noms pour préserver un puissant levier de manœuvres lors de négociations futures, notamment sur le gaz.
Loin du pays de cocagne du journal télévisé, l’Algérie réelle des couches populaires qui tirent le diable par la queue est au bord de l’implosion. Dans un climat social dégradé et de répression tous azimuts, sur fond d’impasse politique et de menaces à ses frontières, le pays fonce droit dans le mur. Avec la flambée des prix des produits alimentaires, tous les ingrédients préliminaires à des « émeutes de la faim » sont réunis. Il suffira alors d’une étincelle fortuite, d’une provocation téléguidée ou d’un fait divers anodin pour déclencher la déflagration fatale.
Dans cette course folle vers le néant, le chef de l’État et le chef d’État-major des armées qui jouent en duo la partition autoritaire, sont face à un choix binaire : sauver le pays en lâchant du lest, ou sauver le régime au prix d’une grave fracture nationale. Stopper la machine infernale par des mesures d’apaisement, ou précipiter le chaos par la fuite en avant dans la répression.
Ces mesures d’apaisement, revendiquées par l’opposition et les associations de défense des droits de l’Homme, passent par la libération de tous les détenus d’opinion, le respect des libertés fondamentales et de l’État de droit, l’ouverture des champs politique et médiatique.
Arabo-islamisme rétrograde
Pour le pouvoir, c’est d’abord une opération de survie. Vivement contestés dans la rue, au printemps 2019, par le « Hirak », les « décideurs » ont réussi à maintenir le régime à flot en jetant par-dessus bord les éléments les plus discrédités par la corruption. Deux Premiers ministres, plusieurs ministres et une trentaine de généraux tombés en disgrâce après la chute du président Bouteflika, ont été condamnés à de lourdes peines et jetés en prison. À la faveur de la pandémie de Covid-19, la répression fera le reste pour neutraliser l’impressionnant mouvement populaire, qui, pour la première fois, avait rassemblé les islamistes et les laïques autour d’un même slogan : « pour un État civil et non militaire ». Malgré l’espoir suscité par la phase d’euphorique convivialité qui a révélé l’Algérie plurielle dans la communion et le civisme, le « Hirak » n’a pas réussi à imposer un projet alternatif. La nécessaire réflexion qui devait donner du sens aux grandes marches n’a pas eu lieu, en raison de la démission de l’élite intellectuelle. Les questions de pouvoir, mises en avant par les franges activistes du mouvement, notamment les islamistes domestiqués, ont fait le jeu des conciliabules de l’ombre et des compromis d’appareils, au détriment des libertés et des droits citoyens. Dans cette séquence historique qui aurait pu infléchir le destin du pays vers la démocratie, la mobilisation populaire aura joué, en fin de compte, le rôle d’idiot utile d’un coup d’État clanique dans le sérail. « L’Algérie nouvelle », chantée par le discours officiel, se présente désormais comme un retour vers le passé, sous les oripeaux de l’arabo-islamisme le plus rétrograde : autoritarisme politique, arabisation au pas de charge, islamisation des mœurs…
Avec la guerre d’Ukraine, l’augmentation des prix du pétrole et du gaz va permettre à l’Algérie de renflouer les caisses et de voir l’avenir avec optimisme ; le sursaut économique de la dernière chance peut sauver l’essentiel de ce qui rassemble encore les Algériens, pour peu qu’existe la volonté politique. Dans ce défi existentiel, la responsabilité du chef de l’État et du chef d’État-major des armées est engagée en première ligne…
Analyse d’Arezki Aït Larbi,
Correspondant à Alger
9 juillet 2022