Le discours d’Éric Zemmour à la convention de la droite de ce week-end n’était rien d’autre qu’un appel à la guerre civile contre la minorité musulmane française, un appel au massacre et au chaos, diffusé par LCI, la succursale de TF1 !
Pour l’historien, spécialiste de l’immigration en France, le polémiste utilise la même grammaire identitaire que l’écrivain antisémite Édouard Drumont.
Il pointe la responsabilité des chaînes de télévision qui lui accordent une tribune.
Le discours prononcé par Eric Zemmour à la « convention de la droite » samedi et sa retransmission intégrale, et en direct, sur la chaîne LCI, ont suscité une indignation compréhensible. Ce qui est surprenant néanmoins, c’est que beaucoup semblent découvrir aujourd’hui en quoi consiste le fonds de commerce de ce journaliste polémiste et de ceux qui le soutiennent.
Comme à son habitude, le polémiste a prononcé un discours de haine reprenant les grandes lignes de l’histoire identitaire qu’il ressasse dans ses livres. Pour ceux qui n’auraient pas encore compris, le message est politique : « Nous devons être conservateurs de notre identité » et plus loin « la question identitaire du peuple français précède toutes les autres ». Alors que le mouvement des gilets jaunes avait replacé les inégalités économiques et sociales au premier plan, ce rassemblement avait pour but de séduire un électorat socialement hétéroclite qui fait encore défaut à l’extrême droite. Voilà pourquoi Zemmour affirme dans son discours que « cette question de l’identité est aussi la plus rassembleuse car elle réunit les classes populaires et les classes moyennes et même une partie de la bourgeoisie ».
La spécificité de son discours repose sur sa grammaire identitaire qui présente la situation de la France sur un mode tragique (« Vous avez raison d’avoir peur ») mobilisant un récit (emprunté à la rubrique des faits divers qu’il généralise) centré sur deux principaux personnages : la France (la victime) et l’Islam (l’agresseur). Ainsi les attentats islamistes annonceraient une « guerre de civilisation » risquant de transformer le pays en une « République islamique française ». Toute la vision du passé et du présent est organisée à partir de ce clivage central par emboîtement de couples antagonistes : étrangers-français, musulmans-chrétiens, progressistes-conservateurs, universalistes-nationalistes.Rhétorique complotiste
Une autre règle fondamentale dans la rhétorique zemmourienne consiste à inverser les relations entre dominants et dominés : les minorités (musulmans, féministes, homosexuels) sont accusées d’exercer leur domination sur le « nous Français » auquel l’auteur s’identifie lui-même. Ce « nous » lui permet notamment d’enrôler sous sa bannière des « ouvriers blancs » punis aujourd’hui, dit-il, parce qu’ils ont profité autrefois de la colonisation.
Étant donné que la France est une victime, et qu’Eric Zemmour parle au nom de la France, il faut logiquement qu’il persuade son public qu’il est lui aussi une victime. Humilié par l’élite universitaire et brimé par les médias qui l’empêchent de s’exprimer, le polémiste reprend à son compte la rhétorique complotiste qui vise à dénoncer l’« appareil de propagande qui réunit télévision, radio, cinéma, publicité ». Il va même jusqu’à parler de « dictature » en comparant notre démocratie à une forme nouvelle de « totalitarisme », alors même que son discours est retransmis en direct par LCI et que CNews s’apprête à lui redonner une chronique quotidienne.
La multiplication des scandales dans lesquels Eric Zemmour a été impliqué depuis une quinzaine d’années explique aussi sa posture de victime, de façon à ce qu’il apparaisse comme celui qui dit tout haut ce que le peuple pense tout bas. Des pamphlétaires comme Zemmour n’existent effet qu’à la condition d’entretenir constamment le feu de la polémique. Voilà pourquoi dans son discours de samedi, il s’en prend à la minorité qu’il appelle «LGBTQ, X, Y, Z» ; et à Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, qu’il présente ironiquement comme le « sommet de la distinction française ».
Si Zemmour a besoin de faire scandale, il doit cependant éviter les condamnations par la justice qui ternissent son image. Pour cela, le journaliste recourt à « la rhétorique du demi-mot » dans le prolongement des « petites phrases » de Jean-Marie Le Pen. Comme lorsqu’il reprend ses attaques contre la justice sans toutefois contester explicitement les condamnations qui l’ont frappé. Ou quand il évoque la thèse du « grand remplacement » de l’écrivain Renaud Camus, qu’il ne reprend jamais explicitement à son compte tout en annonçant le « remplacement d’un peuple par un autre peuple ». Les islamistes s’apprêtant à « coloniser la France », Zemmour pose la question…Gérard Noiriel vient de publier le Venin dans la plume. Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République, La Découverte, 252 pp., 2049, 19 €.
Photo d’illustration : Eric Zemmour lors de la «convention de la droite», samedi à Paris. Photo Denis Allard pour Libération
Historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
1er octobre 2019