Nous découvrons à la lecture de cet article l’identité d’un 3e homme qui aurait joué un rôle dans la propagande mise en place juste après l’assassinat de Lounès Matoub le 25 juin 1998. Comme par hasard, lui aussi, Mohcine Belabbas, à l’instar de Nordine Aït Hamouda ou Saïd Sadi, font tous partie du RCD ! Le témoignage de la sœur de la victime qui a pu faire réaliser discrètement une analyse balistique, est cinglant de gravité. D’ailleurs, comment expliquer qu’aucune enquête n’ait été diligentée, dans cette affaire, par les services de l’État, de même qu’aucune étude balistique n’ait été faite ?! Pourtant, cela n’a pas empêché la direction du RCD d’accuser immédiatement les islamistes, avant même que le décès n’ait été constaté et déclaré par l’hôpital ! De plus, pourquoi menacer son épouse et lui faire signer le PV d’un témoignage rédigé par un tiers ? Sans oublier le point capital ayant trait à la date de délivrance du visa octroyé par les autorités consulaires françaises, bien avant le retour en Algérie de la victime, car si Lounès Matoub avait été informé de la délivrance du visa, il aurait tout simplement demandé à son épouse de le rejoindre en France, sans même qu’il ait à se déplacer. Bref, tout dans cette histoire glauque ne pouvait résulter que de magouilles. La sagesse populaire des villages de la Kabylie qui scandaient à l’unisson, le jour même de l’assassinat du chanteur : « Pouvoir assassin », conforte cette analyse !
Voici une tache noire dans la nouvelle Algérie : son système judiciaire. Surnommée « la justice téléphonique » par les Algériens, elle désigne un appareil aux ordres des généraux et du président, capables d’envoyer n’importe quel quidam au trou, sur un simple coup de fil.
C’est dans ce labyrinthe qu’a été précipitée l’affaire du chanteur kabyle, Lounès Matoub, assassiné le 25 juin 1998, en Kabylie. Il était tombé dans une embuscade terroriste – en pleine journée – et exécuté sur la route de son village natale – Beni Douala -, en présence de sa femme, Nadia et ses deux belles sœurs, grièvement blessée.
C’est un épisode noir de la décennie rouge-sang. Mais, surtout, l’une des affaires les plus kafkaïennes dans l’histoire du pays. Puisque 23 ans plus tard, toujours aucune piste fiable pour coffrer les tueurs, aucune expertise sérieuse sur sa voiture criblée de balles, le corps du chanteur n’a jamais été autopsié, ses vêtements ont disparu, sa Mercedes noire jamais été mise sous séquestre et les douilles d’un 9mm et d’un 37mm et même d’un 35 mm n’ont pas été ramassées pour être expertisées.
Coup d’État
Tout est brouillé. Mais l’affaire, hachée d’incohérences, bute sur l’obsession des autorités algériennes, qui ânonnent encore le discours mille fois répété durant ces années 90 : la mort de Matoub n’est en aucun cas un assassinat politique, mais juste un meurtre attribué aux islamistes armés, qui sévissaient durant cette période. À la barre, les coupables défrayent la chronique : au moins dix barbus, mais pas les vrais auteurs.
Cette affaire concentre en elle toute l’horreur de cette période, avec ses charniers et ses mensonges. Mais depuis ce mois de juin 1998, la fiction n’a fonctionné que sur les jobards, qui ont tourné contre Matoub les accusations du « blasphème ». La rue des grandes villes kabyles, de façon épisodique, n’a jamais cessé de réclamer l’urgence d’une enquête sérieuse, souvent au « cri de pouvoir assassin ».
En première ligne, Malika et Nadia Matoub, la sœur et la veuve du chanteur. Depuis plus de deux décennies, elles se battent pour obtenir la vérité. Récemment encore, Malika s’est fendue d’un communiqué à l’adresse des autorités algériennes. Avec une requête claire : ouvrir le dossier et procéder à la reconstitution des faits, « qui doit prendre en compte les incohérences de l’affaire » et « en finir avec les conclusions grand-guignolesques pondues aux coins d’une table ». Alors qu’il s’agit d’un « assassinat politique ».
C’était aussi le diagnostic du journaliste Michel Despratx, qui s’est rendu en Kabylie, en 1999, pour enquêter. Son reportage, « Matoub, la grande manip », diffusé sur Canal+, accuse clairement les militaires et les gendarmes, « venus le jour même, sur les lieux du crime, pour dévier la circulation et demander aux habitants de rester chez eux ».
Un officier du Maol – des militaires dissidents, présentés comme « la boite noire » des services algériens – lui a ensuite déballé le fond de l’affaire et lui a expliqué que la décision de cet assassinat est prise dans ce qu’il appelle « le cabinet noir », dans lequel semblent trottiner les décideurs du pays.
Une seule raison, affirme le Maol, la mort de Matoub devait servir de marchepied pour déclencher des émeutes en Kabylie et « évincer l’ancien président, Liamine Zeroual, alors honni par le système ». Un coup d’Etat, donc…
Une obsession islamiste douteuse
Le résultat de ce documentaire a permis d’en savoir beaucoup, notamment sur les responsables du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), un petit parti Kabyle, proche de l’ancien chef des services de renseignement algériens, le général Mohamed Médiane. Ils sont soupçonnés d’avoir préparé l’attentat et d’avoir assuré le service après-vente.
À compter du jour même de l’assassinat, ses Big Boss ont lancé une violente offensive pour orienter les conclusions de l’enquête. Dès le 28 juin, Saïd Saadi, le président du parti avait déboulé dans la plupart des grands titres pour colporter « l’évidence » de la thèse islamiste de l’attentat. Il a commencé dans le JDD et il n’avait jamais cessé ensuite de récidiver dans les manchettes algériennes. Un seul mot d’ordre revient en boucle : « Lounes a été tué par le groupe islamiste de Hassen Hattab ».
Certes, la direction du parti déteste les barbus, mais à ce stade de l’affaire Matoub, l’enquête de police n’avait même encore débuté. Et la plus grande partie de la population kabyle se montrait carrément hostile aux hypothèses hâtives.
…
(Article modifié, le 26 janvier 2022)
25 août 2022