Le chiffrage de contrats lors des visites officielles de présidents ou de premiers ministres relève du sport national.
En Inde comme en Arabie Saoudite, au Qatar comme en Égypte, l’Élysée et Matignon se sont fait une spécialité de l’addition de torchons, serviettes, missiles Scalp, usines de désalinisation, Rafale, EPR, création de JV plus ou moins fumeuses et de projets dans l’hôtellerie ou les déchets. L’objectif est clair : arriver à un montant qui claque, si possible en dizaines de milliards. La visite officielle d’Emmanuel Macron en Inde du 9 au 12 mars n’a pas fait exception à la règle. Encore une fois, le décompte officiel des accords signés (13 milliards d’euros) s’avère défaillant. Notamment le gros morceau, un prétendu contrat « de 12 milliards d’euros » pour Safran.
De quoi parle-t-on exactement ? Une compagnie aérienne indienne, SpiceJet, a effectivement signé un contrat lors de la visite du président français, pour la fourniture et la maintenance sur 10 ans de moteurs Leap pour ses 155 Boeing 737 MAX. Mais la traduction qu’en a fait l’Élysée est doublement fausse. D’abord, le montant est erroné : le contrat est de 12,5 milliards de dollars, soit 10,15 milliards d’euros au cours actuel du dollar, et non 12 milliards. Surtout, le contrat ne concerne pas que Safran. L’accord SpiceJet a en fait été signé avec CFM International, une coentreprise à 50-50 entre Safran et l’américain GE, au sein de laquelle les deux partenaires conçoivent chacun 50% du moteur.
Facture gonflée de 57,7%
Pour avoir la véritable part de Safran, il faut donc diviser par deux la somme de 10,15 milliards. Cela donne la somme, déjà plus que respectable, de 5,075 milliards d’euros. On est loin des 12 milliards promis : l’Elysée a gonflé la facture de 57,7%. D’autre part, si Safran en produira bien 50%, les moteurs seront probablement assemblés aux Etats-Unis au sein de l’usine GE de Lafayette, dans l’Indiana. Chez CFM, les moteurs destinés aux Boeing sont, en effet, le plus souvent assemblés aux Etats-Unis, pour être plus proches des usines de Boeing près de Seattle. Ceux destinés à Airbus sont en général assemblés à Villaroche, près de Melun.
Ajoutons également que le contrat était, de toute façon, promis à CFM. Pourquoi ? Parce que les avions concernés par le contrat, les monocouloirs 737 MAX de Boeing, sont motorisés en exclusivité par le Leap de la JV franco-américaine, à l’inverse du concurrent A320neo d’Airbus, […]
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