Le viol en islam : non, il ne faut pas quatre témoins
Depuis l’éclatement du scandale Tariq Ramadan, bon nombre d’imams, de personnalités publiques et d’autres commentateurs musulmans se sont exprimés pour soutenir l’islamologue accusé de viols et d’agression sexuelle. Pour le défendre, ils continuent de citer le verset coranique réclamant quatre témoins en cas d’adultère ou de fornication :
« Ceux qui lancent des accusations à l’encontre des femmes chastes et qui n’apportent pas avec eux 4 témoins, fouettez-les de 80 coups de fouet. » [Coran 24, 4]
Même dans les cas de viols ? Oui, même dans les cas de viols, selon Hani Ramadan. En effet, dans un prêche prononcé peu après l’annonce des plaintes visant son frère, le Directeur du Centre islamique de Genève avait martelé qu’il était formellement interdit d’accuser quelqu’un de viol sans produire quatre témoins oculaires de l’agression.
Ainsi, cette exigence, quasi impossible à satisfaire, prive d’office les victimes de viol du moindre espoir de justice. Pire encore, si elles ont eu l’outrecuidance de se plaindre, elles se verront infliger une dure punition, faute d’avoir réuni ces fameux quatre témoins.
Est-ce vraiment la réalité de l’islam ? Allah a-t-il exigé que quatre personnes témoignent dans des affaires de viol ?
Loin de moi l’idée de vouloir décourager ceux qui croient farouchement à l’innocence de celui qui, pourtant prédicateur marié, a reconnu une relation de séduction (1), et le défendent violemment. Après tout, chacun ses causes, chacun ses combats. En revanche, ce qui est très grave, voire répréhensible, c’est d’essayer de tordre le sens des versets coraniques dans le but de dédouaner un proche ou celui que l’on admire.
« Ceux qui dénaturent le sens de Nos versets (le Coran) ne Nous échappent pas » [Coran 41,40]
Dans un contexte plus général et afin que les victimes de crimes sexuels ne renoncent pas à dénoncer leur(s) agresseur(s) ni à la justice, il apparaît crucial d’apporter des éclairages sur la condition des « quatre témoins ».
En islam, le viol n’est pas de la fornication
Faut-il encore le rappeler : le viol, à savoir la « contrainte à un acte sexuel, par force, surprise, menace, ruse ou plus largement, sans son consentement », représente une forme de cruauté que l’islam punit sévèrement.
En effet, les savants musulmans considèrent le viol comme un crime entrant dans la catégorie de la hiraba c’est-à-dire le vol à main armée, le terrorisme ou le fait de répandre la terreur. Par conséquent, ne s’agissant ni de fornication ni d’adultère, il n’est pas nécessaire de rassembler quatre témoins pour prouver que le crime s’est produit :
Le juriste médiéval Zahiri Ibn Hazm définissait les auteurs de hiraba comme :
« ceux qui terrorisent les gens sur les routes, avec ou sans arme, le jour ou la nuit, dans des zones urbaines ou dans des espaces ouverts, dans le palace d’un calife ou dans une mosquée, avec ou sans complices, dans le désert ou dans un village, dans de grandes ou petites villes, avec une ou plusieurs personnes…de sorte que les gens craignent d’être tués, volés, ou violés (hatk al ‘arad) […] »
Cette définition fut appuyée par les juristes Malikites :
Par exemple, Al-Dasuqi, un juriste Malikite, a soutenu que si un homme forçait une femme à avoir des rapports sexuels, son acte était considéré comme de la hiraba. En outre, le juge Maliki Ibn ‘Arabi avait raconté l’histoire d’un groupe attaqué et du viol d’une femme dudit groupe. À ceux qui affirmaient que le crime ne constituait pas une hiraba, car aucun vol n’avait été commis ni d’armes utilisées, Ibn ‘Arabi avait répondu avec indignation que la hiraba des parties intimes était pire que la hiraba impliquant le vol d’argent, et qu’il valait mieux être victime de vol que de viol ».
Pour l’école juridique Hanafi, le terme zina désigne des rapports sexuels illégaux, où le viol est qualifié de zina bil jabr pour indiquer le caractère forcé et non consenti, alors que la fornication et l’adultère sont qualifiés de zina bil ridha, ce qui indique le consentement. Bien que la terminologie utilise le mot zina, il existe néanmoins deux crimes catégoriquement différents, étant donné que le viol est traité comme un crime tazeer (discrétionnaire) par le juge et les poursuites sont fondées sur des preuves circonstancielles (preuves médicales, un certain nombre de témoins, ou autres preuves médico-légales). En d’autres termes, de façon très similaire au droit occidental contemporain dans le traitement de ces affaires.
Par conséquent, entretenir la confusion entre viol et fornication et/ou adultère revient à faire régner une forme d’oppression et d’injustice dans la communauté ; or, Allah interdit l’injustice et se l’est Lui-même interdite.
« Ton Seigneur, cependant, n’est point injuste envers ses serviteurs. » [Coran 41, 46]
En outre, c’est faire preuve d’inhumanité que d’exiger à une victime de viol déjà traumatisée et désorientée de réunir quatre témoins oculaires. D’ailleurs, qui pourrait assister à un viol, ne pas faire cesser ce viol, puis venir tranquillement témoigner devant la communauté ?
En islam, la femme violée est innocente et doit même être dédommagée !
Du vivant du Prophète [PSL], un violeur avait été jugé, puis puni grâce au témoignage de la victime qui avait identifié son agresseur. L’homme fut arrêté, puis présenté devant le Prophète [PSL] :
Hadith Sunan Abu Dawud, livre 38, n° 4366 :
[…] Ils l’amenèrent alors devant le messager de Dieu (paix soit sur lui). Lorsque le prophète s’apprêtait à donner sa sentence, l’homme qui avait attaqué (violé) la femme se leva et dit : « Messager de Dieu, je suis coupable ». Le prophète dit à la femme : « Pars, car Dieu t’a pardonnée ! » (Mais il dit quelques bons mots à l’homme). Quant à l’homme qui a eu des relations sexuelles avec elle, il dit : « lapidez-le à mort ! »
En plus d’être innocentée, la victime d’un viol a droit à un dédommagement :
Certains oulémas exigent que le violeur, en plus de cette sanction, dédommage sa victime en lui versant une somme équivalente à la dot que reçoivent, en général, les femmes dans son milieu.
L’Imam Malik, qu’Allah lui fasse miséricorde, a dit : « L’avis juridique que nous adoptons stipule que l’homme qui viole une femme, qu’elle soit vierge ou non, en plus de la peine qu’il doit subir, doit verser à sa victime une somme équivalente à la dot que reçoivent les femmes dans son milieu. Quant à sa victime, elle est exemptée de toute punition. » (Al-Mouwata’ tome 2, page 734)
Cheikh Soulayman Al-Bagi, qu’Allah lui fasse miséricorde, a dit : « La victime d’un viol a droit à une dot et le violeur à la sanction pénale (Al-Had).
L’islam est une religion de miséricorde qui ne tolère ni l’injustice ni l’oppression. Allah a révélé les versets du Coran afin de nous guider vers Lui et non pas pour en détourner le sens pour nos propres intérêts. Une victime de viol n’a donc pas à craindre de réclamer ses droits.
« … et crains l’invocation de l’opprimé même si c’est un Kafir (mécréant) car il n’y a pas de voile entre elle et Allah. » [Rapporté par Ahmad].
Alice
1 La présomption d’innocence de Tariq Ramadan ne doit pas être bafouée, il est important de le rappeler. Toutefois, lorsque l’on admet avoir entretenu une « relation de séduction » tout en étant marié, ne se rend-on pas coupable de quelque chose ? (surtout lorsque l’on prêche l’abstinence et la pudeur !). Allah ne nous a-t-il pas exhortés à ne pas nous approcher de la fornication ? Pourquoi diable les imams et autres moralisateurs prompts à défendre l’islamologue n’ont-ils pas condamné cette « relation de séduction » avec la plus vive énergie ? Qu’attendent-ils ? L’aveu est pourtant clair ! J’ajoute que cette (ces) relation(s) de séduction est (sont) à la base de tous les déboires que connaît Tariq Ramadan aujourd’hui, personne d’autre n’est à blâmer. « Fais ce que je dis, pas ce que je fais », quel bel exemple pour la jeunesse musulmane…