Lundi en fin d’après-midi, le plus incroyable de tous les incroyables arriva dans les froides désolations de l’automne, les oppositions avaient enfin voté une motion contre le gouvernement du Temple maçonnique. Je jubilai de cette brèche miraculeuse dans la matrice des raisonnements impossibles, assis à la terrasse d’un café, entrevoyant déjà l’horizon des possibles enfin libéré, quand soudain un type déclama : « Ô mon âme, n’aspire pas à la vie éternelle, mais épuise le champ du possible ! ». Je me retournai et vis un homme vêtu d’une toge grecque et en sandales appuyé contre un arbre. Hagard, le teint livide, il avait l’air sacrément perdu mais sans perdre pour autant sa dignité. Interloqué, je m’empresse vers lui.
« Est-il du champ du possible que vous veniez à ma table ? », lui demandai-je aimablement.
Il reçut ma proposition avec soulagement et nous rejoignîmes ma table.
« Ne seriez-vous pas le sublime poète grec Pindare ? », lui dis-je.
« Sublime… ? N’exagérons pas. Oui, c’est moi », me confirma-t-il.
« Voulez-vous boire quelque chose ?», lui demandai-je quand il sursauta brusquement en voyant passer une voiture.
« Pas d’inquiétude. C’est un véhicule qui avance avec un carburant fossile liquide, le pétrole, dont la combustion produit l’énergie qui actionne un mécanisme qui met finalement en mouvement les roues que le conducteur dirige à sa guise », lui expliquai-je.
« Tout à fait fascinant ! », dit-il effaré.
« Vous buvez quelque chose ? », le relançai-je.
« Oui… Quel est ce… breuvage noir fumant, au parfum si apaisant… sur la table voisine ?… », me demanda-t-il.
« Du café, ça vient d’Afrique ; je vous en commande une tasse », pris-je l’initiative en faisant signe à la serveuse afin de passer la commande. Entra alors dans le café un type portant trois masques et une visière par-dessus. Je reconnus, malgré l’extravagance de tout cet attirail, Michel Onfray. Pindare, abasourdi, l’observa en me lançant un regard interrogateur. Je lui expliquai que ce sale type était un imposteur se faisant passer pour un grand philosophe, un grand sage, tout en ayant une peur maladive de la mort. « Mais précisément, le sage est celui qui a vaincu la peur de la mort ! », s’esclaffa Pindare. J’acquiesçai d’un sourire et d’un haussement de sourcils.
« Ce que vous disiez sur le champ du possible et la vie éternelle, est intéressant mais la vie éternelle ne fait-elle pas elle aussi partie du champ du possible ?… », lui dis-je.
« Pas con ce que vous dites… Mais au demeurant, vous voyez bien que tout est périssable autour de nous, même les étoiles… il n’y a pas de vie éternelle, en tous cas pas pour les hommes », me répondit-il en regardant un singe se balancer aux branches d’un arbre français. « Il est rigolo ce singe », commenta-t-il d’un sourire amusé.
« C’est un singe hybride à poils longs, une espèce assez répandue dans nos contrées : le Conversano. Mais revenons au sujet de l’éternité… Il y a de l’éternité mais en nous. L’imagination est un indice d’éternité, un indice d’absolu car elle ne dépend d’aucunes causes ni conditions, ni du temps ni du lieu ni de la matière, absolument rien ne la limite puisqu’elle est absolument libre, puisqu’on peut imaginer absolument tout ce que l’on veut. L’imagination témoigne donc d’une vie souveraine et éternelle en nous », lui dis-je alors qu’il s’amusait à jeter au singe des cacahuètes, que la serveuse avait servies avec le café et mon thé à la menthe.
« l’imagination meurt pourtant avec le corps… », dit-il en continuant de lancer des cacahuètes au macaque qui se rapprocha de lui et qui, d’un bond, monta sur notre table. Je pris une poignée de cacahuètes et les lui lançai assez loin pour qu’il ne nous emmerde plus.
« L’imagination ne peut pas mourir avec le corps puisqu’elle ne dépend pas de lui, puisqu’elle est absolument libre de toute détermination », dis-je au grand poète en sirotant mon thé à la menthe.
« Il n’y a aucune preuve qu’elle survit après la mort du corps », dit-il en goûtant son café avec plaisir et en observant un cancrelat qui semblait nous épier.
« C’est un cafard particulièrement nuisible, une espèce assez rare dans nos contrées, l’ÉrikZemour, qui s’obstine à usurper, à souiller et à empoisonner tous les idéaux… Mais revenons à la preuve de la survivance de l’imagination que vous me demandez ; cette preuve existe, c’est une preuve ontologique et logique, que je vous ai déjà donner », insistai-je.
« L’imagination est trop agitée pour être éternelle… », fit-il en écrasant la blatte avec sa sandale et en chassant son cadavre d’un revers du pied.
« En se déployant souverainement, l’imagination fait entrevoir à notre âme la vie éternelle… le déploiement artistique participe de ce déploiement… le chemin pour y parvenir est une ascèse, un cheminement mystique… la vie éternelle précède l’Être », lui dis-je alors qu’il se retournait encore.
« Tiens, en parlant d’être, je n’ai jamais vu des êtres aussi répugnants !… », fit-il au passage de Meyer Habibi et de son chien Estrozizi. Pas rasé, bedaine velue proéminente faisant craquer les boutons de sa chemise, Habibi faisait promener son clébard Estrozizi, qui se mit tout à coup à farfouiller frénétiquement des excréments abondants au pied d’un arbre avec son museau. Après quelques longues minutes de farfouillage, comme pour revendiquer la force de son ouvrage, le chien releva fièrement sa gueule barbouillée de merde sous le sourire de son maître.
« Lui, c’est un démon dégénéré qui se réjouit d’exterminer des enfants par dizaines de milliers… », lui expliquai-je alors que la nuit commençait à tomber.
« Je vous souhaite bien du courage sur votre chemin ascétique au milieu de l’enfer désormais déchaîné ici-bas… Quant à moi, je retourne à Athènes, à mon époque, la vôtre est décidément trop abjecte pour moi », dit-il en me saluant de la main alors qu’une hyène blanche claudiquant passa au loin. Avisant la mine copieusement dégoûtée du poète, j’expliquai à celui-ci que cet animal égalitaire et réconciliateur en apparence était effectivement dégoûtant à crever. Le noble poète s’éloigna alors vers l’arbre devant lequel il était apparu, s’appuya contre l’arbre, puis, dans un halo de poussière cosmique traversé d’éclairs, disparut en me saluant de la main une dernière fois. Un barbu patibulaire passant par là, troublé par le phénomène, sortit subitement un couteau de boucher et tenta de poignarder la silhouette évanescente du poète immortel en criant des incantations religieuses, avant que la foudre de Zeus le terrasse tout net. Provoquant tumulte et confusions autour de l’homme au couteau. Un petit attroupement s’ensuivit. Puis le firmament s’éclaira d’une lumière inhabituelle et des paroles célestes résonnèrent pleines de gloire insondable dans les langueurs froides de l’automne finissant : « Deviens qui tu es ».
Pour suivre l’auteur :
https://gab.com/LotfiHadjiat_Le_Vrai
http://leblogdelotfihadjiat.unblog.fr
————————
https://mobile.twitter.com/Lhadjiat (le compte est lisible mais il m’est impossible d’y publier).