Les parents ayant vécu cet enfer savent de quoi il retourne. Nicole Delépine décrit parfaitement le comportement de ces médecins froids dont la suffisance n’a d’égal que leur discours stéréotypé, monolithique, parfois méprisant dès que l’on manifeste la moindre velléité de comprendre et de s’interroger ou d’émettre le moindre doute sur la pertinence du choix thérapeutique. Ils se font même insistants pour tenter d’arracher l’adhésion des parents à un essai thérapeutique douteux, le tout dernier venant d’outre-Atlantique et dont les effets secondaires sont catastrophiques. Le cri d’alarme de Nicole doit être entendu par les pouvoirs publics si l’on veut vraiment que l’oncologie française, actuellement sinistrée, retrouve ses lettres de noblesse et devienne efficace au grand bonheur des patients, des parents et de la nation.
Cri d’alarme, appel au secours de cancérologues pour leur liberté de prescription.
À titre d’exemple, les guérisons des cancers des os de l’enfant sont plus rares aujourd’hui qu’il y a 20 ans, il n’y a plus de choix thérapeutique et l’amputation revient à la mode (comme la peine de mort ?).
Il y a 30 ans les cancers des os de l’enfant guérissaient encore rarement et les patients étaient le plus souvent amputés. Et puis entre 1980 et 1990 l’inventivité des chirurgiens et l’amélioration des schémas de traitement mis au point aux USA à la fin des années 1970 nous permit de guérir près de 90% des malades en leur gardant leur membre. Ils nous rendent visite maintenant avec leurs enfants.
Mais ce bonheur du cancérologue pédiatre s’avéra fugace. Que s’est-il passé ? Actuellement je vois passer dans mon unité avec désespoir des parents venant chercher du secours car leur enfant est déclaré perdu, bon pour les soins palliatifs et la mort. Pourtant il était curable quelques mois plutôt avec un “bon traitement”. Dans la dernière semaine j’en vis trois différents avec toujours le même scénario. Découverte du cancer, inclusion dans un essai thérapeutique en cours, explication des médecins sur le “protocole” de traitement proposé et présenté comme la seule possibilité de traitement sans jamais évoquer les autres schémas ayant fait leur preuve et publiés depuis une vingtaine d’années. Le rouleau compresseur de la pensée unique qui passe en médecine par le mythe des essais thérapeutiques et au moins des traitements uniformisés est en marche. Rage et désespoir ! Comment ébaucher une prise de conscience, une révolte, une réversion du phénomène ?
Comment dans un système supposé libéral faire comprendre à nos responsables politiques que trop de réglementation tue la sécurité tant recherchée, tue l’inventivité, la créativité, tue l’espoir, désespère les médecins dont les suicides sont aussi fréquents qu’à France Telecom et in fine, tue les patients. La médecine de notre pays est stérilisée, les progrès ne pourront venir que de l’étranger.
Le chemin actuel est automatique, on ne le “pense” plus. Tu es médecin généraliste, radiologue, rhumatologue ou pédiatre. Tu reçois un patient suspect d’être atteint d’une tumeur osseuse et tu l’envoies immédiatement dans l’hôpital pédiatrique du coin. Là, il sera pris en charge rapidement : examens scanners IRM et tout et tout, le plus souvent biopsié. Le patient et sa famille seront pris dans un tourbillon tragique bien rodé et quelques jours plus tard, ils seront informés que le patient doit être confié au centre référent de cancérologie pédiatrique local et que bien sûr, il n’y en a qu’un seul. Circuit fléché, obligatoire, rassurant et sans bavures, sans choix, sans réflexion. Seulement des automatismes. Ni le médecin, ni la famille n’imagineront à ce stade de la maladie que plusieurs types d’approche sont possibles et qu’elles devraient être exposées au patient, ne serait ce que pour respecter le libre choix du malade inscrit dans la loi !
Le médecin du centre sortira de son ordinateur “le protocole” correspondant à la maladie donnée, à son stade de développement etc. Le plus souvent, il s’agira d’un essai thérapeutique. Mais dans tous les cas le médecin prenant physiquement en charge l’enfant n’aura pas à réfléchir. Lobotomisé ou pas, il n’aura qu’à accepter les prescriptions de son robot ordinateur rempli par les hautes instances. Le patient sera présenté lors d’une réunion dite de concertation pluridisciplinaire (RCP) où siègent cancérologues, chirurgiens, radiologues et autres spécialités, où chaque participant vérifiera que le dossier présenté va bien être inclus dans le traitement préconisé là-haut, par les recommandations de la Haute Autorité de Santé. Pas Dieu mais presque. À ce stade, il n’y a plus de patient mais un dossier anonyme discuté à son insu et à celle de son médecin traitant. La décision tombera, sera transmise au patient rassuré a priori de tant de docteurs penchés sur son cas ! Il faudra beaucoup d’énergie de la part d’un médecin ou d’un chirurgien pour faire échapper le malade à une décision de RCP lui paraissant mauvaise. Le cas échéant, il devra s’en expliquer auprès des instances dans le dossier par écrit etc…
Vous patient, vous imaginez sûrement que la sécurité des patients voulue par nos gouvernants multipliant les contraintes administratives consiste à imposer des traitements éprouvés : et bien pas du tout. Vous pouvez lire dans les textes des recommandations pour les tumeurs osseuses malignes dont nous parlons ici “qu’il faut les inclure dans un essai thérapeutique”. Bien sûr, le mot “essai” signifie qu’on en connaîtra dans le meilleur des cas son résultat dans une dizaine d’années…
Et si vous médecin, vous résistez, que croyez vous qu’il arrivera ? Les médecins de l’Agence Régionale d’hospitalisation venus faire leur travail devront vérifier que vous participez bien à cette réunion régionale qui vous impose sans réflexion de votre part le traitement défini pour tous les patients dans une commission nationale chargée de cette maladie. Vous n’avez rien à dire, sinon vous serez éliminé du système.
Vous ne pouvez pas me croire ? Effectivement c’est impossible à admettre logiquement mais nous en sommes là en France en pleine folie dont beaucoup sont conscients mais sur laquelle il est bien difficile d’agir. Preuve en est le long parcours de notre unité depuis bien tôt 30 ans, semé d’embûches, de diffamations d’insultes directes et variées auprès des patients qui veulent nous rencontrer, de rumeurs de déviations sectaires etc. Or, qu’avons-nous commis comme crime de lèse-majesté : nous avons continué à appliquer à nos patients des schémas de traitement qui marchaient déjà et guérissaient 90% des malades. Ce jour, après 30 ans d’exercice de cette profession dans ce domaine, après que notre équipe ait accumulé une expérience irremplaçable dans ces maladies rares dont nous avons vu beaucoup de cas, que nous accule-t-on à faire au nom de la loi du plus fort, du plus introduit dans les salons, la faculté et les ministères ? Il faudrait aller demander avis aux nouveaux puissants qui tiennent les instances, dans quel essai nous devons inclure notre patient.
Quid de notre expérience auprès des enfants et des spécialistes rencontrés pendant ces décennies, traitant les mêmes pathologies que nous. Nous devons obéir les yeux fermés sinon nous n’aurons plus l’autorisation administrative de soigner les malades cancéreux.
Vous pensiez qu’après 15 ans d’études, le médecin, individu “réputé pensant”, pouvait réfléchir avec vous, patient, du meilleur traitement adapté à votre état physique. “fatal error” Illusion, il est actuellement enfermé dans un système verrouillé où tout est contrôlé venu de haut, il ne peut que modestement interférer dans votre traitement pour les petites choses mais absolument pas pour les décisions capitales comme quel type de chimiothérapie on vous proposera.
Et c’est là qu’on voit réapparaîre le lien avec le lobby pharmaceutique et tous leurs complices qui ne veulent pas laisser échapper un patient aux fameux essais qui vont permettre de rentabiliser ces drogues vendues à des prix inadmissibles fixés par le pouvoir … tout est lié évidemment…
Alors puisqu’il y a une campagne électorale proche, ne serait-il pas temps de poser la question de la liberté de prescription des médecins, y compris des cancérologues ? Les docteurs, au lieu de solutions individuelles comme la multiplication des suicides, les bagarres corporatistes pour considérations financières ou autres, les réflexions en aparté, ne feraient-ils pas bien d’informer haut et fort de la gravité de la situation pour la santé mentale des médecins et la santé physique des patients.
C’est en tous cas l’objectif que je me donne pour ne pas participer en conscience au plongeon de la médecine française pourtant si riche de potentialités, de médecins et soignants, et compétents et dévoués. Mais menottes aux poignets, c’en est fini de l’efficacité. Messieurs les politiques à vous de jouer.Nicole Delépine