La conception de la création ex-nihilo issue d’interprétations religieuses ou mythologiques a longtemps été battue en brèche par les esprits empiriques. Les Romains disaient déjà ex-nihilo nihil fit, c’est-à-dire “rien ne vient de rien”. À partir du XVIIIe siècle, le mouvement scientifique en vint à considérer que seuls les transformations de la matière génèrent les formes et les font varier. “Rien ne se perd, rien ne se créer, tout se transforme”, disait Lavoisier, s’inspirant d’Anaxagore. Aujourd’hui, les choses se sont inversées, la science moderne est clairement devenue ex-nihiliste.
Mais revenons au point de vue religieux. On peut tout à fait être croyant et ne pas être ex-nihiliste, et considérer comme en islam que tout procède de l’être divin et que tout y retourne (en précisant au passage que tout procède de Dieu excepté Lui-même, c’est en cela qu’Il est unique). Selon ce point de vue, les créations naturelles ne sont pas créées ex-nihilo, elles procèdent de l’être divin, elles ne procèdent donc pas de rien. Et cette procession n’est pas scientifique, elle est morale. Le don de la vie est un acte moral comme tout don, ce n’est pas un acte scientifique. La science ne pourra donc jamais élucider la création naturelle et encore moins la reproduire. Vouloir coûte que coûte voir un processus scientifique dans une procession morale n’est rien d’autre qu’une perversion de l’esprit, la plus radicale. Une perversion qui a amené les scientifiques à considérer, avec la physique quantique en particulier, la physique de l’infiniment petit, que la matière n’est que du vide structuré, et que, par conséquent, les différents objets empiriques, naturels ou non, sont formés ex-nihilo, à partir du vide, à partir de rien.
Badiou, qui se croit malin en écrivant : “le mot “vide” est le nom propre de l’être”, est finalement l’idiot utile de l’oligarchie bancaire et financière qu’il prétend combattre.
Le philosophe Alain Badiou, un des derniers métaphysiciens considère pourtant lui aussi que l’être lui-même est du vide multiplié, Badiou dit précisément : “multiplication de l’ensemble vide”, en reprenant la théorie cantorienne des ensembles. Et cette multiplicité inconsistante de l’être devient consistante par des opérateurs logiques, logique transcendantale, en particulier celle du “compter-pour-un”, à chaque degré de formation (d'”apparition”, écrit Badiou) de cette consistance. La multiplicité consistante, et ainsi toutes les formes que nous percevons, se forment donc bien ex-nihilo, à partir de rien, du vide, de “l’ensemble vide”, selon Badiou, dont toute la philosophie stérile peut se résumer ainsi : la procession du rien. Cette conception ex-nihilo, cette idéologie ex-nihiliste, les scientifiques la partagent au demeurant avec les banquiers, qui eux aussi désormais créent la monnaie ex-nihilo, à partir de rien… le bien nommé “quantitative easing” nous le montre suffisamment !… Voilà donc les deux sources capitales, scientifiques et bancaires, qui fondent le système nihiliste (ex-nihiliste) mondial, un système qui n’est mû que par la structuration du vide. La télévision, la robotique tous azimuts, la bourse, la banque sont des exemples parfaits de la structuration du vide, à laquelle nous participons tous de gré ou de force. Mais à force de structurer du vide, au seul profit d’une hyperclasse, en ignorant les contradictions et le chaos planétaires qui découlent de la croissance sans limite de cette structuration folle, on arrive à la destruction radicale généralisée du vivant, réduit lui-même à une structuration du vide, du rien… toujours au seul profit d’une oligarchie. Certes, le déploiement frénétique des images et des simulacres, masque l’être, et c’est un grand malheur, mais ce malheur n’est rendu possible que par un malheur encore plus grand, celui d’identifier l’être au vide, au rien. Badiou, qui se croit malin en écrivant : “le mot “vide” est le nom propre de l’être”, est finalement l’idiot utile de l’oligarchie bancaire et financière qu’il prétend combattre.
Vous allez me dire, comment prouver que les créations naturelles sont le fait d’une procession morale, et non d’un processus scientifique ? Les merveilles de la nature résonnent d’une telle harmonie qu’elles suscitaient chez les anciens Grecs l’interrogation philosophique. Platon et Aristote voyaient dans l’émerveillement le point de départ de la philosophie. “Car cet état qui consiste à s’émerveiller, est tout à fait d’un philosophe ; la philosophie, en effet, ne débute pas autrement…”, dit précisément Platon dans un passage du Théétète. C’est donc la perception d’une insondable harmonie qui suscite la recherche du Souverain bien, cause de cette harmonie, un Souverain bien que les penseurs grecs vont tenter de saisir par l’intellect en s’essayant à la formulation de vérités immuables… immuables comme l’harmonie naturelle. Aujourd’hui, la destruction moderne radicale de cet émerveillement a entraîné la mort de la philosophie. Mais pour peu que nous soyons de bonne foi, nous pouvons percevoir cette procession morale, cette procession du bien, du Souverain bien dans l’harmonie divine des créations naturelles. Nous pouvons la percevoir sans pouvoir pour autant la prouver scientifiquement à celui qui dit ne pas la percevoir, par mauvaise foi. On ne peut effectivement pas prouver à autrui l’intuition en nous du divin, on peut seulement exprimer celle-ci… on peut même l’exprimer philosophiquement, en supposant qu’il y a des oreilles qui entendent la philosophie.
Pour briser la modernité avant qu’elle ne nous détruise complètement, dans son aveuglement nihiliste, il s’agit donc de substituer la procession du bien à la procession du rien, en retrouvant la perception de la procession morale, et en agissant, chacun à son échelle, à partir de cette perception et selon celle-ci, en pensée comme en acte. Inversement, “vivre” modernement consiste exactement à agir à partir de la mort de ladite perception, et selon cette mort.