Vive la liberté d’expression démocrateuse : la moindre petite critique fût-elle légitime et utile expose son auteur à la censure, voire l’exclusion définitive. C’est une excellente leçon pour les autres qui devront désormais faire très attention avant de l’ouvrir…
Le politologue Thomas Guénolé a été remercié par la station de radio RMC, où il tenait une chronique dans la matinale animée par Jean-Jacques Bourdin, a révélé Arrêt du Images. En cause : un billet, diffusé mardi 17 novembre, évoquant des dysfonctionnements présumés de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) lors des attentats du 13 novembre, notamment au Bataclan. Des affirmations qui ont depuis été contestées, par le ministère de l’intérieur notamment.
« BOYCOTT PUNITIF »
Pour M. Guénolé, l’affaire est grave : RMC aurait réagi à un « boycott punitif » de la part du ministère, à des « pressions proches d’une censure ». Le chroniqueur affirme au Monde que l’e-mail reçu de la direction de la rédaction de la radio invoque les conséquences de sa chronique pour le travail de ses collègues : « Le ministère et tous les services de police invités à l’antenne depuis mardi ont refusé de venir sur RMC en raison des inexactitudes de ta chronique. La plupart des sources policières de nos spécialistes se sont tues depuis mardi », selon le courriel.
Au ministère de l’intérieur, joint par Le Monde, on dément toute « consigne » : « Il n’y a pas eu de boycott organisé des forces de l’ordre, mais un mouvement d’humeur de gens blessés qui n’ont pas envie d’intervenir sur RMC et de faire plaisir à cette station », admet-on, tout en pensant que « les choses finiront par rentrer dans l’ordre » entre la radio et la police. Le ministère a demandé un démenti, mais pas la tête d’un chroniqueur, ajoute-t-on.
ÉVOCATION DE LA DÉMISSION DE CAZENEUVE
Dans la chronique incriminée, M. Guénolé disait : « Le 13 novembre, les brigades d’intervention manquaient gravement d’hommes et de moyens. » « Quand les fusillades éclatent, il n’y a que trois fonctionnaires de garde ce soir-là à la BRI », ajoutait-il, soutenant ensuite que lors des interventions, certains policiers avaient manqué de gilets pare-balles lourds. Et que le manque de personnels à la BRI avait obligé des agents de la Brigade anticriminalité (BAC) à intervenir, alors que ce n’était pas leur vocation.
Aujourd’hui, le politologue se défend en assurant s’être « distancié » des faits, dans ses propos, évoquant en début de chronique les « accusations de dysfonctionnements qui s’accumulent dans la presse », même si, dans le passage en question, il ne citait pas de source particulière. Il rappelle aussi qu’en conclusion, il demandait une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur ces questions. Si ces faits étaient avérés, les responsables des forces de police, ainsi que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, devraient démissionner, disait M. Guénolé.
AGENTS DE « GARDE » OU « D’ASTREINTE » ?
« RMC dit que j’ai porté des “accusations graves, non vérifiées”, mais la construction de ma chronique était de dire qu’il fallait les vérifier », se défend-il encore.
Cette chronique a été vivement contestée, notamment par la conseillère spéciale de Bernard Cazeneuve, Marie-Emmanuelle Assidon, sur Twitter. Dans les échanges, Thomas Guénolé a reconnu s’être appuyé sur un article de la publication professionnelle La Lettre A, sans le citer. S’il a admis à un moment sur Twitter que l’article était « faux », M. Guénolé insiste aujourd’hui sur « l’absence de démenti officiel, à sa connaissance ».
Selon lui, les syndicalistes policiers – qui ont rappelé qu’une quinzaine de fonctionnaires de la BRI était en fait « d’astreinte » ce soir-là – n’ont pas invalidé l’information sur les trois agents de garde. De son côté, La Lettre A a indiqué au Monde qu’elle « maintient qu’il y avait bien trois fonctionnaires de garde au siège de la BRI au 36 quai des Orfèvres après 20 heures, ainsi que le mentionnait [la] brève qui n’a fait l’objet d’aucun démenti malgré de nombreuses sollicitations auprès de la Place Beauvau. Douze autres policiers de la brigade étaient d’astreinte, mais à leur domicile. » Au ministère, on affirme surtout que « la BRI est intervenue dans des délais normaux ».
« EDITORIALISTE GRANDE GUEULE »
Dans un récent portrait, Libération décrivait M. Guénolé comme un « politologue pressé », par ailleurs consultant pour un cabinet de conseil. Il s’y disait « ni de droite, ni de gauche et anti-FN ». Après être intervenu dans les médias comme politologue, notamment sur le centre et la droite, il est devenu récemment chroniqueur, plutôt engagé et touche-à-tout. Il a signé un livre sur les banlieues.
En licenciant M. Guénolé, RMC (qui appartient au groupe NextRadioTV, également propriétaire de BFM-TV) ne risque-t-elle pas de donner l’impression de se plier aux arguments du ministère de l’intérieur, en pleine période d’état d’urgence ? Une source au sein de la radio affirme que les chroniques de M. Guénolé avaient déjà suscité des critiques en interne. Ce que M. Guénolé ne conteste pas : « On me dit que je donnais trop mon opinion dans mes chroniques. Certes, il y a eu d’abondantes discussions et tensions sur le contenu de mes chroniques, mais c’était dans le cadre de la relation d’un éditorialiste grande gueule et d’un rédacteur en chef. »
A RMC, une source souligne elle qu’avec Jean-Jacques Bourdin, Hervé Gattegno ou Les Grandes Gueules, la station ne saurait être taxée de complaisance.
Alexis Delcambre et Alexandre Piquard