Le foisonnement des hérésies
L’on assigne, dans la phobie du terrorisme, ce qui est une crainte pathologique nullement guidée par une raison ferme et un État fort soutenu par un peuple uni, un rôle aux hérésies, et chaque fois qu’un acte malsain est commis ou que l’intention en prend forme, chacun de crier au salafisme, à la radicalisation pour les Musulmans, à l’intégrisme pour les Chrétiens et si l’on tient, comme le refusait cependant l’illustre allemand, gloire de la philosophie et fort perspicace, Kant, le judaïsme pour une religion, si l’on nous permet ce néologisme, à je ne sais quelle rabbinade. À cet égard, les clercs ne remplissent point leur devoir envers les laïques, ces derniers demandant à être instruits ou guidés et les premiers, en ayant l’obligation.
Or, depuis le début des massacres d’Orient, y compris ceux perpétuellement commis en Palestine colonisée, essaimés en Occident et appelés à se développer sous l’action de forces occultes, deux attitudes également fausses se manifestent, la plus grossière s’en prenant aux religions, à l’Islamisme surtout, et la plus perverse, qui est propre aux semi-savants, est de rejeter toute conduite immorale ou extravagante comme hérétiques relativement à un dogme ou une foi que l’autorité religieuse veut défendre. Ainsi entend-on dire, ce n’est pas de l’islam, c’est du salafisme, par exemple, ou ce n’est pas de l’islam, mais du chiisme etc.
Or les dogmes, à parler philosophie ou le langage de la Raison, ne sont pas naturels, que ce soit en science, en politique ou en théologie, — car il y a des dogmes nécessairement partout où des erreurs sont dénoncées et redressées comme un tuteur le fait d’un arbre fruitier –, mais réfutent ou retaillent dans des proportions admissibles par la même Raison humaine, des excès produits par cette même Raison boursouflée. Aussi, chaque confession a t-elle un nombre important de sectes jugées hérétiques par une orthodoxie qui n’aurait sans elles jamais pu se construire.
C’est donc un excès de la liberté humaine qui rêve qu’elle court alors qu’elle est endormie, ou une marche d’enfant qui tombe et que la raison adulte relève ; mais où sont nos clercs adultes ?
L’on entend ainsi dire de telle gamine de l’Est français, qui se voyait naguère suspectée de “terroristophilie”, comme on devrait dire puisque l’on grécise le langage avec les phobies et les philies, parce qu’elle veut partir en Arabie saoudite pour y étudier la condition féminine, et qui, nouvellement convertie, ne veut plus serrer la main des hommes, ou s’habille d’une mode qu’elle croit naïvement ancestrale, ne laissant apparaître que ses jeunes mains, qu’elle est visiblement salafiste. Elle l’admettrait aussi. Ce Salafisme cependant, quoique musulman en effet, n’est pas autre chose que ce qu’un dogme orthodoxe qualifierait d’hérésie, j’entends un dogme énoncé par une autorité supérieure ayant fait ses preuves, mais il ne suffit pas de le dire, encore faut-il le démontrer par des connaissances assez vastes, et une jurisprudence aussi approfondie. Ce genre de situation semble faire défaut aux religions contemporaines où l’on s’accuse mais ne se corrige pas en faisant une synthèse, un juste milieu que le peuple fidèle pourra comprendre comme la santé se règle sur l’élimination d’excès souvent opposés entre eux. C’est ce qui a fait que des Aristote et des Platon ont été appelés par le Christianisme et l’Islamisme à leur secours pour fortifier un raisonnement éclairant les forces et les faiblesses d’une attitude bornée, quoique de bonne foi. Et ceci durera autant que l’espèce humaine éloignée des rives de la barbarie.
Pareille vie spirituelle générale fait maintenant défaut, et nous sommes entrés dans une phase d’américanisation religieuse où les sectes s’agrègent les unes aux autres dans une coexistence agressive, subsistent ensemble en affaiblissant le degré de profondeur morale de la foi livrée aux apparences fuyantes. C’est ce chaos général que l’on nomme une liberté, alors qu’elle favorise et l’anarchie et la violence individuelle parce que l’imagination devient une folle du logis, comme le disait le Père Malebranche au 17e siècle
En fait, la liberté saine suppose une discussion et un débat théologique permanent, ce qui a favorisé la hauteur de vue de nos voisins d’outre-Rhin en écartant longtemps le péril terroriste et révolutionnaire. L’un d’eux, le génial Leibniz, dont les erreurs étaient elles-mêmes fécondes, redit dans une lettre à une correspondante philosophe, — tant les femmes étaient alors instruites dans l’élite véritable — cette formule traditionnelle : il faut des hérétiques, “oportet haereseos esse”, car ils permettent à la Raison de travailler sur des formes affirmées, sinon la Foi demeure inerte comme un étang qui offre des choses peu agréables et souvent, comme dans les nouvelles de Georges Sand sur son pays berrichon, un lieu favorable aux mauvais esprits plus actifs qu’on ne le croit généralement et causant les terreurs nocturnes, paralysant les corps, prisons de l’âme !
L’hérésie n’est pas une fausseté absolue ou une absurdité, mais un choix, selon le mot grec, de tenir un aspect particulier pour la vérité générale. C’est donc un excès de la liberté humaine qui rêve qu’elle court alors qu’elle est endormie, ou une marche d’enfant qui tombe et que la raison adulte relève ; mais où sont nos clercs adultes ?