La parismatchisation. Autre dérive nabienne, cette prétention à être ami de Lucette (à vérifier et surtout à relativiser, et quand bien même, depuis quand les proches sont-ils les meilleurs garants du sens des textes d’un auteur ?), à opposer au mépris affiché pour les céliniens trop rivés sur les textes. Il faut dire que ce qui est intéressant chez Céline, c’est son œuvre, pas sa vie en elle-même. Se gargariser d’avoir fréquenté un proche de l’écrivain est vraiment une mesquine arrogance
de midinette littéraire, typique de la parismatchisation nabienne. Un homme dont la vie est exemplaire et intéressante s’appelle un héros, et Céline n’en est pas un, c’est un écrivain. L’intérêt pour son existence et la relation entre son existence et son œuvre est donc une erreur sur tous les tableaux.
Une pitoyable tentative de réhabilitation conformiste (de Céline par Nabe). Le comble pour celui qui se présentait comme l’un des écrivains les plus politiquement incorrects il y a encore une dizaine d’année ! Le côté haineux et virulent (antisémite) des pamphlets céliniens ne représenterait que sa part poétique. Nabe confine ainsi l’écrivain au pur styliste. Confinement politiquement correct d’ailleurs. Nabe nous répondrait que de cette manière il va au delà de ceux qui marquent une séparation entre le Céline génie littéraire du Voyage et le Céline antisémite, ce qui serait l’enjeu réel. Mais cela n’a rien à voir, car cette dernière distinction ne tient pas une seule seconde à quiconque est doté d’un minimum de sens commun et a parcouru un minimum diverses œuvres de Céline. Cette distinction en vigueur sur les plateaux télé (génie littéraire pour certaines œuvres / méchant antisémite pour les pamphlets) n’est que l’expression de l’incompétence critique, de la veulerie politique et du conformisme moralisateur imposé par la pensée unique. Ce n’est même plus de l’erreur, c’est de la profonde stupidité. Nabe, lui, n’y tombe certes pas : son orgueil n’est quand même pas l’arrogance ultra-conformiste et quasi dictatoriale d’un BHL. Mais ce confinement
de Nabe au style, ce pur esthétisme littéraire est une manière de priver Céline de la part de vérité humaine qu’il voulait mettre dans ses œuvres et à laquelle chaque écrivain conduit toujours. Confinement au stylisme qui là encore sert l’admirateur égocentrique préférant citer le génie esthétique pour mieux s’en gargariser, que de rendre compte avec honnêteté et profonde réflexion (ce qui réclame plus d’humilité et d’effort) de la pertinence (éthique et épistémologique) de la
pensée de l’auteur.
Les pamphlets de Céline, ensuite, seraient « ovniesques » (comment créer pire néologisme tant au niveau du sens que de la forme ; à défaut, Nabe pouvait dire « insolite », « bizarre », etc. qui convenaient mieux, lorsqu’on parle français et qu’on se prétend écrivain), pas sérieux, pas raisonnés. Nabe a-t-il lu ces textes ? Où en passe-t-il sous silence la virulence authentiquement argumentative ? Un pamphlet est toujours parfaitement sérieux, sous les apparences parfois humoristiques, outrancières, allégoriques. Antisémitisme franchouillard de Céline ? Écrits « de pose », c’est à dire de mise en scène de l’auteur sous un costume artificiel, une posture feinte ?
Toujours cette conception poseuse et artificielle, chez Nabe, de l’auteur, du génie. Céline était un grand orgueilleux et il ne pouvait faire marche arrière, obligé de se plonger dans un antisémitisme qu’il n’avait lancé que par bravade ou maladresse ? Comment tomber dans un processus si perfide de diffamation de la nature même de Céline, l’écrivain comme l’homme ? Il suffit de voir attentivement, par exemple, l’interview par Louis Pauwels, qui le montre se définissant comme un
travailleur du verbe dont la seule prétention est celle de ne pas tomber dans la facilité poétique, de congédier les attentes triviales du public. Non, Céline n’était pas un orgueilleux.
Enfin, comble du scandale, Nabe fantasme un Céline conformiste anti-nazi ayant publié un pamphlet contre l’occupant. Voilà le rêve de Nabe : que Céline eût été un autre Aragon, un autre Jean Moulin littéraire, un autre écrivain adoubé par l’Histoire, justifié par la victoire des Empires américains et russes. Un Céline qui se serait joint à la meute de loups victorieux des nazis pour hurler à l’antifascisme facile, à la glorieuse résistance de 1944 (celle aux drapeaux coulissants). Un Céline pourfendeur de l’occupant raciste. Un Céline Licra-compatible, un Céline à la SOS racisme, un Céline qui aurait pavé la route pour le providentiel et généreux plan Marschall, plutôt que relayer les délires antisémites de Rosenberg. Un Céline
rangé quoi !
Céline aurait voulu écrire ce pamphlet sur la libération, non pour dénoncer les opportunistes (ce qui est évident par le titre que rapporte Nabe : « Le drapeau à coulisse », titre effectivement génial), mais pour vilipender les français, par nature « veules, lâches et collabo ». BHL n’aurait pas dit mieux. En fait, le Céline (fantasmatique) de Nabe n’était pas tant antisémite qu’anti-français. Nabe ou la lessiveuse qui lave plus conformiste que conformiste.