« Il existe bien des chemins de recherche, mais la recherche est toujours la même. Ne vois-tu pas que les chemins qui conduisent à La Mecque sont divers, l’un venant de Byzance, l’autre de Syrie, et d’autres encore passant par la terre ou la mer ? La distance de ces chemins à parcourir est chaque fois différente, mais lorsqu’ils aboutissent, les controverses, les discussions et les divergences de vues disparaissent, car les cœurs s’unissent », Rûmî (Le livre du dedans, XXIII).
En face de la multiplicité instable et passagère, n’existe que l’Unité immuable ; en face de l’indéfinité de mensonges, ne se trouve qu’une Vérité ; en face de l’uniformité sous-qualitative, ne se dresse que la Forme qualitative ; en face de l’indifférenciation chaotique de la matière inerte, n’est vital que l’Esprit différenciateur ; en face du mouvement de désunion vers le bas, n’est possible que l’union vers le haut ; en face de la globalisation terminale du « Nouvel Ordre Mondial », n’est véridique que le pérennialisme de la « Tradition primordiale ».
Plus précisément, notre monde contemporain, celui du matérialisme laïc et du pseudo-universalisme ordomondialiste, faute d’un principe supérieur fédérateur, tend à l’indifférenciation, à l’indistinction, à la dislocation et à la division de tout (peuples, pays, religions, familles, individus) ce qui aboutira in fine à une fade purée socio-historique générale : état mondial, bouillon de cultures, mafias éphémères, tous contre tous, bain de sang, bouillie anthropologique, hybridations génétiques, robot-prêtre, femme-à-barbe, zombies, foule de clowns, homme-masse, enfant-soldat, pensée unique, bug du cerveau, Alzheimer, euphorie dépressive, machines à suicide, etc. sont au programme du grotesque carnaval général à venir, qui s’apparentera à la maudite et confuse Tour de Babel biblique.
Or, à nos yeux, l’unique solution sérieuse que l’on peut apporter à ce cauchemar collectif futur, prévu et préparé de longue date, est de nature individuelle et spirituelle, question de vie ou de mort. Bien entendu, nous ne parlons pas ici d’un individualisme égocentrique ou d’un isolationnisme défaitiste mais bien d’un retour sur soi, d’une connaissance active de soi-même — qui, dans un monde traditionnel, est normalement assurée par l’initiation et ses rites de passage sélectifs, mais qui fait défaut aujourd’hui —, d’une métanoia, soit d’une lutte intérieure victorieuse, seule est apte à élever l’individu vers l’universalisme véritable et à le persuader « d’aimer son prochain comme soi-même ».
Il n’est donc pas question ici du « vivre ensemble » hypocrite, ni du communautarisme à la sauce anglo-saxonne, ni du multiculturalisme acculturé, ni du « New Age » prônant une mensongère « élévation de conscience », ni de la constitution de réseaux sociaux (ou plutôt asociaux) virtuels, mais uniquement de la volonté individuelle de devenir un « homme différencié » du troupeau aveuglé, d’incarner une véritable élite, ontologique non pas économique, c’est-à-dire devenir un homme (ou une femme bien entendu) de qualité non de quantité, de se renforcer plutôt que se dissoudre. La pratique d’une religion n’est absolument pas exclue dans notre perspective, seulement il s’agira prioritairement de s’en servir comme d’une discipline quotidienne et comme une base de travail intellectuel.
Dés lors, même s’il y aura « beaucoup d’appelés mais peu d’élus » comme l’affirme Jésus, il importe de connaître sa nature propre, de s’auto-gouverner et d’intégrer en soi-même les grands principes universels (qui sont rappelés avec insistance dans tous les enseignements traditionnels) afin que ― si Dieu le veut et si nous faisons partie des rares survivants de la catastrophe mondiale qui s’approche à grands pas ― nous puissions transmettre (rappelons que le mot « tradition » provient du latin tradere) le témoin à la génération du prochain cycle : faire ce qu’il y a à faire, sans attendre d’aide extérieure et sans égard aux fruits de ses actions.
Plus trivialement, chaque homme, au lieu de projeter des changements collectifs illusoires à travers des pseudo-idéologies, des pseudo-partis ou des pseudo-organisations (dont le nombre ne fait qu’augmenter de façon exponentielle de nos jours), ne doit pas se dédouaner des ses responsabilités personnelles et est invité à agir sur sa propre sphère d’influence (fusse-t-elle très petite et composée de quelques personnes), à se concentrer sur le peu de « manettes » qu’il a encore à sa disposition : il faut donc que l’individu tente de se gouverner lui-même, qu’il essaie de se redresser ontologiquement (par exemple en visant à devenir un mari aimant, un bon père, un ami fidèle, un producteur utile… etc.), d’être acteur de sa courte et précieuse existence plutôt que de se déresponsabiliser au sein des diverses économies de pensée offertes par un quelconque groupe et fantasmer des améliorations sociétales qui n’arriveront pas.
En clair, à notre époque apostate, c’est avant-tout par ses propres moyens que l’être humain doit comprendre la raison de sa présence sur terre, il lui faut s’apercevoir qu’il ne représente qu’une simple goutte d’eau au sein de l’océan de la Possibilité universelle (qu’un des multiples rayons émanés du seul et unique Soleil intelligible, qu’un grain de sable dans le désert de l’Infini), et surtout, assumer fermement et impersonnellement sa mission commandée par Dieu : il n’a d’autres choix que de retrouver tout seul son unicité ontologique afin de parvenir à la compréhension et à la connaissance de l’Unité divine, se servir de son être personnel afin d’appréhender l’Être universel, à l’origine et à la fin de tout.
Une fois cet état supra-individuel réalisé, l’homme a l’occasion de regarder le monde avec un regard neuf et serein, il se voit dès lors intégré à la seule communauté d’âmes digne de ce nom (car indivisible et non-changeante), celle des gens de bonne volonté, des « Amis de Dieu », des « Sages » et des « Justes » qui est au-delà de tous les particularismes, qu’ils fussent spatio-temporels, ethnico-culturels ou politico-religieux.
Il en est strictement de même en ce qui concerne les peuples et les divers groupes humains, tous plus modernisés et fractionnés les uns que les autres à notre époque. En effet, comme l’a admirablement démontré l’œuvre de René Guénon, il devient urgent de constater qu’il y a une « Traditions primordiale » unifiant en amont l’ensemble des traditions particulières.
Cette unité fondamentale et transcendante de tous les phénomènes socio-religieux apparus dans les temps historiques a été reconnue par les plus grands esprits humains : elle correspond au « Verbe divin » de la tradition biblique, au Logos des Grecs, à la « Sagesse incréée » de saint Augustin, à la « Philosophia Perennis » de Leibnitz, ou encore à la « Prisca theologia » (l’Antique théologie) évoquée notamment par Plutarque et Aristote. Les différentes sacralités humaines s’apparentent donc à des exemplaires particularisés d’une seule et même Idée supérieure tenant lieu de modèle-type universel.
La reconnaissance — notamment et surtout par les représentants et les membres des grandes religions — de cet unique langage spirituel partagé par tous les peuples du passé et du présent, amenant à la compréhension de ses principes métaphysiques immuables, pourra selon nous seule permettre la reconstitution d’une véritable élite spirituelle et aboutir à une réconciliation par le haut de toutes les traditions humaines, aujourd’hui toutes diminuées et divisées.
Sortir du nombrilisme infécond, rétablir le sens des proportions et des hiérarchies, voir les points d’accord avant les divergences, et finalement s’accorder sur les vérités essentielles, tel est à nos yeux le chemin à suivre si l’on veut sortir victorieusement du sordide « village planétaire » proposé par nos pseudo-élites actuelles, qui entraînera l’humanité entière à sa disparition.
Nous terminerons ce court article en reproduisant, sans ordre particulier, certaines déclarations de nos illustres devanciers qui avaient bien reconnu, chacun à sa manière, l’unicité supra-humaine du genre humain et la vraie universalité de toutes les expressions particulières du Sacré.
– « Et encore qu’il puisse arriver qu’une idée donne la naissance à une autre idée cela ne peut pas toutefois être à l’infini, mais il faut à la fin parvenir à une première idée, dont la cause soit comme un patron ou un original, dans lequel toute la réalité ou perfection soit contenue formellement », René Descartes (Méditation troisième).
– « De même que tous les hommes sont semblables (encore qu’infiniment variés), de même toutes les religions, comme toutes les choses semblables, n’ont qu’une seule origine », William Blake (All Religions are one).
– « C’est un seul et même Dieu que d’un commun accord tous les Grecs et les barbares reconnaissent », Philon d’Alexandrie (De specialibus legibus II, 65).
– « Les coïncidences de la tradition dépassent la possibilité du hasard », Sir Arthur Evans (Journal of Hellenic studies).
– « Tu as été avec justesse l’Inspirateur de millions de religions. Tu as fait en sorte que chaque religion, par son splendide déploiement de traités, de disputations et de sciences, ait, comme principe et finalité, la vérité », Tâyumânavar (Hymne à Shiva).
– « Les brachmanes ou gymnosophistes sont aux Indes ce que les mages étaient en Chaldée, les kabbalistes chez les Hébreux, les philosophes chez les Grecs, les prêtres et les prophètes chez les Égyptiens », Athanasius Kircher (Oedipus Aegyptiacus, III).
– « Il y a donc une seule religion et un seul culte pour tous les êtres doués d’entendement et cette religion est présupposée à travers la variété des rites », Nicolas de Cues (De pace fidei).
– « Nous devons reconnaître l’unité de la pensée humaine face à l’Invisible. (…) Tout se passe comme si dans ce domaine, l’homme avait eu, dès son apparition sur terre, des certitudes immuables », Jean Servier (L’homme et l’Invisible).
– « En effet, dans la prodigieuse bigarrure des croyances du paganisme, il est à peine un dogme idolâtre qui ne s’adapte, par une de ses faces, à la vérité primitive, centre commun de gravitation. Et, soit que nous considérions ces croyances dans leur isolement ou dans leur ensemble, les faits sur lesquels elles appuient leur marche, semblent se présenter avec une mission pareille, celle de placer sous les rayons de la lumière, ces trois vérités entourées des débris de tant de systèmes : Une seule famille humaine, une seule religion, un seul Dieu », Roger Gougenot des Mousseaux (Dieu et les dieux).
– « La Philosophia Perennis se préoccupe avant tout de la Réalité, une et divine, substantielle au monde multiple des choses, des vies et des esprits. Or la nature de cette Réalité unique est telle, qu’elle ne peut être appréhendée directement et immédiatement, si ce n’est par ceux qui ont élu de remplir certaines conditions, de se rendre aimants, purs de cœur, pauvres en esprit », Aldous Huxley (La philosophie éternelle).
– « Il y a de nombreux chemins qui conduisent au sommet d’une seule et même montagne ; leurs différences sont d’autant plus apparentes que nous sommes plus bas, mais elles s’évanouissent au sommet », A. K. Coomaraswamy (Suis-je le gardien de mon frère?).
– « La vraie religion a bien plus de dix-huit siècles. Elle naquit le jour que naquirent les jours », Joseph de Maistre (Mémoire au duc de Brunswick).
– « Aussi existe-t-il une doctrine qui se rattache à la plus haute antiquité et qui, des fondateurs des connaissances sacrées et des législateurs, est descendue jusqu’aux poètes et jusqu’aux philosophes. Son origine est anonyme ; mais c’est une doctrine dont le crédit vigoureux et indéracinable se retrouve fréquemment impliqué non seulement dans les discours et dans les traditions, mais encore dans les rites initiatiques et dans les sacrifices, tant chez les Barbares que chez les Grecs », Plutarque (Isis et Osiris, 45).
– « Cette chose même que l’on appelle aujourd’hui chrétienne existait chez les Anciens et n’a jamais cessé d’exister depuis l’origine du genre humain », saint Augustin (La Cité de Dieu, VIII).
– « Mon cœur est capable de toute forme : il est un pâturage pour les gazelles et un couvent pour les moines chrétiens, et un temple pour les idoles, et la Kaaba du pèlerin, et la Table de la Thora et le livre du Coran. Je suis la religion de l’Amour, quelque route que prennent ses chameaux ; ma religion et ma foi sont la vraie religion », Ibn ‘Arabî (Turjumân al-ashwâq, 11).
– « Des idées uniformes nées simultanément chez des peuples entiers inconnus les uns des autres, doivent avoir une source commune de vérité », Giambattista Vico (La science nouvelle I, 13).
– « J’ai pris comme sujet de cet exposé la métaphysique orientale ; peut-être aurait-il mieux valu dire simplement la métaphysique sans épithète, car, en vérité, la métaphysique pure étant par essence en dehors et au delà de toutes les formes et de toutes les contingences, n’est ni orientale ni occidentale, elle est universelle. Ce sont seulement les formes extérieures dont elle est revêtue pour les nécessités d’une exposition, pour en exprimer ce qui est exprimable, ce sont ces formes qui peuvent être soit orientales, soit occidentales ; mais, sous leur diversité, c’est un fond identique qui se trouve partout et toujours, partout du moins où il y a de la métaphysique vraie, et cela pour la simple raison que la vérité est une », René Guénon (La métaphysique orientale).
– « Il n’y a pas un salut pour les juifs, un autre pour les chrétiens et un troisième pour les païens. Non, Dieu est unique, la nature humaine est unique et la voie qui y mène est unique ; et c’est le désir de l’âme tournée vers Dieu », William Law (La voie de la science divine).
– « Ce qu’on a appelé la « méthode traditionnelle » consiste à découvrir une unité ou équivalence essentielle de symboles, de formes, de mythes, de dogmes, de disciplines au-delà des expressions variées que peuvent avoir les contenus dans les différentes traditions historiques », Julius Evola (L’arc et la massue).
– « De la façon même dont ils M’abordent, Je les récompense, car les hommes, de quelque horizon qu’ils viennent en définitive, suivent Mon chemin » ; « Selon la manifestation du divin que tel ou tel adorateur souhaite vénérer avec foi, Je rends, quant à Moi, cette foi de chacun inébranlable », Bhagavad-Gîtâ (IV, 11 et VII, 21).
– « Ceux qui ont cru, ceux qui suivent la religion juive, les chrétiens, les sabéens et quiconque aura cru en Dieu et au jour dernier, et qui aura pratiqué le bien, tous ceux-là recevront une récompense de leur Seigneur, la crainte ne descendra point sur eux, et ils ne seront point affligés » ; « C’est ainsi que Nous avons institué à chaque collectivité humaine une loi et une voie » ; « Il n’y a pas de communauté humaine qui n’ait reçu d’avertisseur », Coran (II, 62 ; V, 48 et XXXV, 24).
– « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures », Évangile selon saint Jean (XIV, 2).
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