Analyse intéressante de Monsieur Michel Onfray concernant la possible élection de Marine Le Pen à cette présidentielle de 2017. Il est également question d’abstentionnisme et du système politique au pouvoir actuellement.
Présidentielle Le philosophe Michel Onfray voit en France des gens énervés, fatigués, obnubilés par l’idéologie. Il constate l’impasse qui, si elle prenait la forme d’une présidence FN, motiverait des émeutes…
Interview.
Michel Onfray nous reçoit dans un hôtel près de la Gare Saint-Lazare où le philosophe a ses habitudes. La ligne de train qui mène à Caen, tout au nord, vers cette Normandie qu’il n’a jamais voulu quitter passe par-là. En 2017, l’homme de lettres de 58 ans s’est fait essayiste avec Décoloniser les provinces. Contribution aux présidentielles. Un livre dont le sous-titre dit le dessein. L’occasion d’un long entretien avec l’auteur de Décadence qui projette, lui, une vision apocalyptique de l’effondrement de la civilisation « judéo-chrétienne ».
Vous avez écrit la préface pour « No Vote », le livre manifeste pour l’abstentionnisme. Vous êtes aussi un intellectuel français engagé. Alors pourquoi ne pas voter ?
Michel Onfray : En 2005, un coup d’Etat a eu lieu en France. Les Français ont en effet voté contre le Traité européen, libéral à souhait. Mais le Parti socialiste et l’UMP de l’époque en ont appelé à l’Assemblée nationale et au Sénat pour passer outre cette expression populaire. Remanié sur le seul terrain cosmétique, ce texte est devenu le Traité de Lisbonne. En 2008, la Chambre a alors imposé au peuple ce qu’il avait refusé par référendum trois ans plus tôt. Ce fut clairement une rupture du contrat social. La classe politique s’est moquée du vote des électeurs. Aujourd’hui, la démocratie est formelle. Quoi qu’il en soit de tout cela, le futur président de la République défendra l’euro, l’Europe, le libéralisme et le système qui en garantit le fonctionnement…
Vous en tirez quelle conclusion ?
Qu’on ne changera pas de politique ! On changera le porteur du projet, mais pas le projet lui-même qui sévit depuis 1983, date à laquelle les socialistes ont cessé d’être de gauche en se convertissant au libéralisme qui s’avère une politique qui nous conduit dans le mur. La preuve: en 1981, le Front national était à moins de 1%. Un quart de siècle plus tard, avec cette politique exercée sans discontinuité par la droite et la gauche libérale, le Front national se retrouve à 25% d’intention de vote ! Cette politique est néfaste parce qu’elle nourrit le Front national et que rien n’est fait contre. A cause du verrouillage de la machine électorale, la prochaine élection désignera un président qui continuera cette politique dont les gens ne veulent pourtant plus.
Vous parlez bien des élections de 2017 ?
Aux prochaines élections, oui. Et s’il s’agit d’Emmanuel Macron, il risque de ne pas disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale, car la droite libérale se vengera d’avoir été battue, la droite souverainiste également. Des triangulaires, voire des quadrangulaires pourraient gêner le nouveau Président à l’Assemblée nationale, ce qui l’obligerait à un gouvernement de cohabitation, ce qui prouverait le caractère ingouvernable de la France!
Vous ne croyez pas du tout à cette idée d’une dynamique qui offre une majorité au président élu ?
S’il s’agissait de Marine Le Pen, ce serait l’insurrection dans la minute. Dès l’annonce de sa victoire, certains descendraient dans la rue avec colère…
Pourquoi une réaction si forte alors que son discours est partagé par de nombreux autres candidats ?
Depuis des années, elle est présentée par mes médias dominants comme fasciste, nazie, pétainiste, vichyste, antidémocrate. Si elle n’est pas républicaine, alors qu’on le prouve, puis qu’on l’interdise elle et son parti. Ou elle est le diable et on l’enferme; ou on ne l’enferme pas, c’est qu’elle n’est donc pas le diable, mais qu’elle est très utile pour les libéraux qui peuvent ainsi se partager le pouvoir, une fois à droite, une fois à «gauche», en agitant le chiffon rouge du fascisme devant le nez des électeurs.
Vous ne croyez pas à des majorités par objet ? Qu’une forme de pragmatisme s’exprime en France avec des gens raisonnables.
Il n’y a plus de gens raisonnables en France, mais des gens passionnés, énervés, fatigués, des gens obnubilés par l’idéologie et qui ont de ce fait suspendu leur esprit critique au bénéfice des jouissances offertes par la servitude. Certains électeurs n’accepteront pas d’avoir perdu. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, ceux des deux extrême-gauche, les Communistes, la CGT, les syndicalistes de SUD, ceux qui auront été incapables de construire un programme commun de gouvernement d’union de la gauche susceptible de mettre les égos de côté afin de faire primer l’intérêt du peuple de gauche, ceux-là seront incapables d’autre chose que de dire violemment « Non » et de s’opposer à tout.
Vous auriez voulu que ça se passe comme ça ?
Depuis toujours, ma gauche est anti-libérale. J’aspire depuis longtemps à une union des gauches antilibérales, mais je n’y crois plus. C’est en partie ce qui explique que je ne vote plus. Je l’ai souhaité ardemment à une époque où Olivier Besancenot prétendait abolir la LCR au profit d’un Mouvement qui a d’abord emballé, dont moi, puis déçu, dont moi. Mais j’ai constaté à cette occasion que les politiciens de la gauche antilibérale n’ont pas le souci du peuple, mais celui de compter leurs troupes. Ils aspirent au leadership médiatique qui leur assure la belle vie, mais ils montrent ainsi qu’ils n’ont aucun souci des souffrances et des malheurs du peuple réel. La preuve, leur incapacité à faire passer leur ego au second plan pour obtenir une dynamique politique réelle. Je ne me sens plus concerné par ces palinodies.
Vous parlez d’un coup d’Etat en 2005, d’un système de la droite. Emmanuel Macron, selon votre raisonnement, incarne parfaitement ce système. Cela devrait plaider pour une victoire de Marine Le Pen.
Regardez avec Donald Trump: ses reniements successifs (jusqu’au dernier qui a consisté à bombarder la Syrie…) démontrent que le capitalisme règne toujours et que les présidences sont fantoches. Marine Le Pen n’aurait pas les moyens de sa politique. Une fois élue, elle devrait faire face à une coalition libérale des technocrates de Bruxelles qui méprisent les peuples et ne célèbrent que la liberté des marchés. C’est très exactement ce qui s’est passé avec la Grèce. Tsipras a gagné en promettant monts et merveilles : contre l’Europe, contre l’euro, contre la tyrannie des marchés, contre l’Allemagne de Merkel, etc. Voyez: aujourd’hui Tsipras est rentré dans le rang et mène la politique libérale voulue par l’Europe de Bruxelles. Il arriverait la même chose à Marine Le Pen.
Mais le Front national dirige certaines villes…
Regardez les municipalités où le FN gouverne, regardez Robert Ménard: comment gère-t-il la ville de Béziers? Il interdit les antennes paraboliques aux balcons, il prélève l’ADN des crottes de chiens pour faire payer les propriétaires. Voilà le Front national ! Ce n’est pas plus que ça. Malgré tout, s’il arrivait au pouvoir je pense en effet qu’il y aurait une insurrection. Dans la rue, des voitures qui brûlent, des gens qui cassent les vitrines, etc. Or, comme le chef de l’État serait encore pour quelques jours le garant de l’ordre, le chef de la police et des armées, il dispose d’un article constitutionnel qui lui permet de suspendre la démocratie dans le cas où il estimerait la République en danger. Hollande est capable de beaucoup pour empêcher l’arrivée du FN au pouvoir grâce au suffrage universel. L’homme qui l’a bafoué sans scrupule en 2005 est resté le même…
En combien de temps cela pourrait se faire cette parenthèse ? Ce scénario de politique-fiction d’un François Hollande disant : la démocratie est suspendue.
Nous sommes dans une configuration républicaine. Cet article permet au chef de l’état d’intervenir de cette manière contre le cours des choses – c’est légal…À l’époque, Manuel Valls avait laissé entendre qu’avec le Président, ils travaillaient sur un certain nombre d’hypothèses, dont celle d’interdire le Front national… Il existe dans la classe politique nombre de gens qui n’acceptent pas le jeu démocratique.
Autre scénario: Macron est élu. Au-delà du libéralisme qu’il incarne, arrivez-vous à imaginer qu’il applique une politique raisonnable pour ces « deux Français sur trois » qui veulent être au centre ?
Une majorité de français refuse le libéralisme de la droite et celui de la gauche qui gouvernent pareillement sur l’essentiel. Les politiciens professionnels voient bien la misère, la pauvreté, le chômage, le terrorisme. Mais personne ne propose de solutions. Ainsi, pour en finir avec le terrorisme, les libéraux proposent d’augmenter les frappes contre l’État islamique. Oui, bien, bon, d’accord, et après ? Le terrorisme va-t-il de ce fait disparaître en Europe? Je ne le crois pas… Et, hélas, beaucoup de gens pensent comme moi, ils préféreraient pouvoir voter pour un candidat crédible qui apporte des réponses politiques et diplomatiques et non des réponses militaires à cette plaie vive. Au lieu de devoir se prononcer sur des sujets aussi importants que ceux-là, les médias maintiennent la tête des citoyens dans le sable avec le feuilleton d’affaires qui concernent les costumes de l’un, les déclarations d’impôt de l’autre, les emplois fictifs d’un troisième…
Et cette initiative d’une primaire citoyenne avec un appel à un candidat de la société civile. Vous la soutenez cette idée-là ?
J’aurais pu soutenir cette initiative, oui, mais même quand elle a émergé, elle a été elle aussi parasitée par des problèmes d’ego. Ainsi l’écrivain Alexandre Jardin a fait la promotion d’une élection citoyenne dans tous les médias avant de se décréter lui-même ce candidat sans en référer à personne de ceux qui travaillaient avec lui à ce projet de candidat de la société civile ! Nombre de gens qui affirment que la société civile doit se prendre en main montrent les mêmes vices que les hommes politiques : les ego prennent le dessus sur l’intérêt général et le bien public. Ces gens se […]Xavier Alonso – Tribune de Genève [TDG]