Une vraie catastrophe de masse avec des milliers de victimes et une justice incapable de faire son travail ! Incapable de stopper de tels comportements criminels et de les empêcher de prendre une telle ampleur. Pire encore, elle se montre incapable de RENDRE justice et d’indemniser les victimes…
Au départ, il y a un scandale, à la fois sanitaire et financier, doublé d’une sorte d’effroi médical, le dentiste étant comme chacun sait l’un des soignants les plus redoutés par les malades que nous sommes. Et puis est venue la mise au jour au mois de décembre 2011 des singulières pratiques d’un chirurgien-dentiste des quartiers Nord, le Dr Lionel Guedj, exerçant à Saint-Antoine, et de son père Jean-Claude, dentiste lui aussi. Deux spécialistes, qui auraient réalisé des soins inutiles sur leurs patients. Plus de 300 plaintes déposées à ce jour, mais une estimation précise par la Sécurité sociale du nombre de personnes susceptibles d’être concernées : 2 367 sur un total revendiqué par le Dr Guedj de 7 000 patients.
Des journées de 52 heures
Pendant plusieurs années, les deux dentistes auraient surfacturé des travaux, inventé des pathologies, dévitalisé indûment des dents, posé des couronnes sur des dents saines, soigné des malades qui n’en étaient pas, jusqu’à falsifier des radiographies pour justifier des actes imaginaires. Le tout par souci de lucre.
Comment y sont-ils parvenus ? Interrogés, les patients les décrivent comme « fort sympathiques », ne dédaignant pas recevoir entre midi et deux, voire le matin tôt, « pour rendre service ». Alors, forcément, tous se sont dit qu’ils pouvaient faire confiance. Est-ce ainsi qu’ils les ont endormis un an à un ?
Les contrôleurs de la Sécurité sociale, qui ont mis leur nez dans les sulfureux dossiers du cabinet Guedj, ont constaté un montant d’honoraires facturés 14 fois supérieur à la moyenne départementale, un nombre de couronnes posées 28 fois plus élevé que la moyenne.
Un cabinet de surhommes
Le contrôle médical effectué à partir de 2011 permettra d’apprendre que le Dr Guedj effectuait plus de 30 actes par jour et parfois même plus de 100 actes par jour ! Si l’on traduit ces actes en tenant compte du temps minimum nécessaire, on arrive à une durée moyenne de journée de travail pour le Dr Guedj de 41 heures en 2009 et de 52 heures pour 2010. Le cabinet Guedj n’abritait pas des dentistes, mais des surhommes. Comment croire qu’il ne réveillerait pas un jour la curiosité des inspecteurs de la Sécu ? Une analyse approfondie de 84 dossiers va ainsi pointer 279 anomalies. Au total, la Sécu chiffrera son préjudice entre 3,6 et 4,7 millions d’euros.
Depuis quatre ans, maintenant, des patients sont en attente de réparation des préjudices causés. Des « dégâts » parfois lourds, qui sont à la fois physiologiques et psychologiques. Les patients concernés demandent aujourd’hui une provision qui leur permettrait d’améliorer l’ordinaire, de pouvoir se faire soigner. C’est en quelque sorte la révolte des « sans dents »…
Saisie d’un de ces cas, la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions du tribunal de grande instance de Marseille vient pourtant de refuser de verser toute provision, alors que le procureur y était favorable. Elle estime, dans un jugement du 13 octobre, que « les éléments produits tendent à établir la matérialité de l’infraction alléguée et le lien de causalité avec le préjudice dont il est demandé réparation », mais considère que « l’existence de l’infraction devra être confirmée par une juridiction de jugement ». Des éléments qualifiés d’« insuffisants en l’absence de décision pénale. »
Ce n’est pas l’analyse des avocats saisis du dossier, Mes Jacques Preziosi et Marc-André Ceccaldi. « Le Fonds de garantie freine des deux pieds, mais sait-il que le préjudice risque d’augmenter et qu’avec le temps qui passe ses chances de recouvrement pourraient bien diminuer ? » notent ces deux spécialistes de l’indemnisation du handicap. Faudra-t-il que les victimes attendent l’issue d’un procès qui risque de ne pas venir avant deux ans, d’un appel, voire d’une cassation ?
Pathologies à risques
De source judiciaire, on évoque une justice qui se ferait tirer l’oreille pour des raisons budgétaires. L’argent ne coulerait pas à flots et si plus de 2 000 victimes saisissent le tribunal, c’est la faillite assurée… Mais peut-on faire fi de la santé de ces patients blessés dans leur chair et floués, qui demandent 25 000 euros à valoir sur leur préjudice corporel ? D’autant, insistent Mes Ceccaldi et Preziosi, qui défendent 31 patients, que « les pathologies dentaires peuvent évoluer et entraîner à terme des séquelles fonctionnelles, notamment de la mâchoire, voire des problèmes cardiaques. »
Interrogé hier, Me Frédéric Monneret, l’un des avocats du cabinet Guedj, a pour sa part salué « une décision de justice honorable qui respecte la présomption d’innocence », avec « des expertises pénales en attente ». « Il y a peut-être un débat civil sur l’exercice de l’art dentaire mais l’infraction pénale est loin d’être caractérisée », insiste l’avocat.
LE POINT SUR L’AFFAIRE
L’enquête est loin d’être terminée. Des expertises pénales ont été demandées par la juge d’instruction marseillaise Annaïck Le Goff, responsable du pôle de santé publique.
Les deux dentistes restent mis en examen à ce jour pour « escroquerie, blanchiment aggravé, aide habituelle à la justification mensongère de l’origine des biens, violences suivies de mutilation ou infirmité permanente, faux et usage de faux, altération frauduleuse de la vérité ».
Au cabinet Guedj, on déclarait ainsi avoir perçu en 2010 2,9 millions d’euros, se situant en tête des honoraires perçus par un chirurgien-dentiste en France très au-dessus du chiffre d’affaires du second – 1,6 million d’euros – et sans commune mesure avec la moyenne nationale des honoraires – 186 000 euros. Interrogé par la justice, le principal mis en cause s’est vanté, pour justifier le nombre important d’actes effectués, de tailler un bridge en 15 minutes là où ses pairs mettent 3 heures ou de dévitaliser une dent en 10 minutes là où la concurrence a besoin de deux fois 45 minutes !
Le Dr Lionel Guedj a indiqué qu’il pouvait recevoir jusqu’à 70 patients sur une seule journée. Il a humblement attribué cette célérité, profitable selon lui aux patients, à sa compétence et au matériel de pointe dont il était doté. Il a aussi contesté les arguments des autorités sanitaires concernant la qualité et la pertinence des soins prodigués.