Comme ce morticole s’est planté 20 fois depuis le début de la crise, la journaliste de Public Sénat a dû se dire, « tiens je vais l’inviter et lui poser plein de questions afin qu’il se plante encore davantage » et qu’on terrorise le public encore plus…
Entretien avec Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière.
Auteur de « Urgence sanitaire »
Il y a trois semaines, tous les scientifiques, vous y compris, disaient que le reconfinement était inéluctable. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a effectivement peut-être un chemin étroit pour ne pas reconfiner. Vous-même, il y a quelques jours, avez dit qu’il fallait rouvrir les lieux culturels et sportifs. Vous admettrez que c’est difficile de suivre…
J’admets que c’est difficile de suivre. En fait, la santé, c’est un état de bien-être à la fois physique, moral et social. Donc, si vous prenez le physique, les éléments donnent envie de se concentrer sur le covid-19 et d’arrêter ça. Quand vous vous intéressez au moral, vous vous dites qu’il faut faire très attention parce qu’il y a des gros dégâts psychologiques dans la population française : 20 % de personnes dépressives, 20 % de personnes anxieuses, jusqu’à 70 % de personnes qui ont des troubles du sommeil. Si vous prenez le social, la situation est très inquiétante pour énormément de gens. Donc quand vous voyez les problèmes sociaux et les problèmes psychologiques, vous avez effectivement envie de dire : je veux retourner au théâtre, je veux retourner au cinéma, je veux retourner au stade où je ne risque pas grand-chose parce que je suis à l’extérieur et qu’en plus, je suis masqué. Je vous rappelle qu’on n’a jamais montré qu’il y avait des évidences d’épidémie qui démarraient dans ces lieux clos. Les épidémies ne démarrent pas là. C’était une manière pour moi de mettre ça sur la table parce que je pense qu’on ne peut pas vivre comme ça pendant des mois, sans sortir, sans aller au théâtre, au cinéma ou au stade. Tous les lieux de culture, tous les lieux de détente, tous les lieux de sports sont fermés et je pense que l’on ne peut pas vivre comme ça très longtemps.
Si on tient compte de tout ce que vous nous dites aujourd’hui, il ne faut donc pas reconfiner ?
Le reconfinement, c’est une décision politique qui est très lourde de sens. D’ailleurs, j’ai été très prudent sur le reconfinement. Si vous prenez le physique, le moral et le social, eh bien non, on ne peut pas reconfiner parce que les dégâts vont être plus importants que le remède. Mais à un moment donné, on risque d’avoir le couteau sous la gorge avec des patients qu’on devra réanimer aux urgences ou, pire encore, devant les urgences. Et là, il n’y aura pas d’autre solution que de reconfiner. J’espère bien qu’on n’en arrivera pas là. C’est mon espoir.
Combien y a-t-il de variants connus aujourd’hui ?
Des variants, il y en a des milliers. Un virologue a dit qu’il y en avait 20 000 depuis le début de l’épidémie. Il y a des variants d’importance et il y a des variants qui ne sont pas d’importance. Mais des variants, il y en a sans arrêt, à partir du moment où vous décidez de vivre avec le virus, eh bien il faut savoir qu’il y aura des variants. Si vous ne voulez pas de variants, vous optez pour l’attitude « zéro covid » comme en Asie du Sud-Est, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, sinon, vous acceptez de vivre avec les variants et avec tous les inconvénients que cela implique.
Dans ces variants d’importance, lesquels vous inquiètent le plus ?
Celui qui m’inquiète le plus, c’est le variant brésilien et, dans une certaine mesure également, le variant sud-africain.
Pourquoi ?
Parce qu’ils sont probablement plus transmissibles, comme le variant britannique. Mais malheureusement, ils comportent aussi une mutation, un changement dans la configuration du virus qui fait qu’ils échappent à la réponse immunitaire naturelle. Des personnes qui ont été infectées par le covid, le variant sauvage, développent une immunité naturelle, et malheureusement, s’ils sont confrontés aux variants sud-africain, ou surtout brésilien, ils échappent à cette immunité naturelle. On a même peur qu’ils échappent également à l’immunité vaccinale, ou en tout cas à certains vaccins, et ils vous donnent une maladie, donc vous refaites un covid.
Etes-vous d’accord avec votre collègue de l’hôpital Tenon, le Pr Gilles Pialoux, qui nous alerte sur une « situation alarmante » due à une « poussée incroyable » du variant anglais en Ile de France ?
Le variant anglais est effectivement un peu plus transmissible, mais on s’en protège comme on se protège du variant sauvage avec le port du masque et les mesures barrières. Il n’y a aucune différence. Par ailleurs, l’immunité collective, qu’elle soit naturelle ou post-vaccinale, marche. Ce variant ne contourne pas cette immunité-là, sous réserve qu’il n’acquière pas une mutation bien particulière, ce qui est effectivement possible. Mais pour l’instant, il ne l’a pas acquise. En tout cas, les variants qui ont acquis cette mutation qui nous inquiètent ne circulent pas en France. Donc, non, je ne suis pas affolé par ce variant britannique.
Quand on dit « plus transmissible », qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’il peut traverser un masque, qu’il reste plus longtemps sur nos mains, sur les objets, dans une pièce fermée comme ce studio ?
Oui, probablement que c’est un peu plus risqué. On estime que la transmissibilité est 50 % supérieure avec le variant britannique qu’avec le variant sauvage, mais dans des circonstances où vous ne portez pas le masque, où vous ne respectez pas les mesures barrières. Or, si vous respectez les mesures barrières, si vous mettez un masque, les risques sont moindres. Mais c’est sûr que si je crie ou que je chante dans votre direction, je risque de vous contaminer.
Cela pourrait remettre en question le fonctionnement des transports en commun par exemple ?
Non, je ne pense pas, à partir du moment où l’on respecte les mesures barrières.
Faut-il porter deux masques ? C’est ce que recommandent les autorités sanitaires américaines…
Honnêtement, oui, vous pourriez mettre 3 masques, 4 masques, on pourrait vivre en scaphandre et dans ce cas-là, le risque serait nul. Je trouve déjà qu’accepter le masque sans arrêt, c’est quand même très difficile, ça commence à peser à tout le monde. Alors bien évidemment, je ne dis pas de l’enlever, pas du tout, mais je dis que ça pèse énormément. Se mettre dans l’esprit que vous allez devoir en porter 2 et même 3 si vous voulez être à 100 %, je pense que non. Il faut aller vers le message le plus simple possible. On porte tous un masque, en tout cas dans les lieux clos où il y a une interaction sociale, on respecte les mesures barrières.
Une quarantaine d’études montre que les personnes qui sont du groupe sanguin O seraient moins touchées par le covid, vous confirmez ?
Oui, c’est vrai, il y a de plus en plus d’arguments pour dire que le groupe O diminue le risque. Mais attention, je connais des personnes qui sont du groupe O et qui ont quand même attrapé la maladie.
Cette semaine, Olivier Véran a affirmé au Sénat que les centres de vaccination ne manquaient pas de doses, puisque, par définition, « ils adaptent leur créneau de rendez-vous aux doses qu’ils reçoivent. » Qu’en pensez-vous ?
Dire qu’on ne manque pas de doses, c’est quand même un gros mensonge. Bien évidemment qu’on manque de doses. On gère la pénurie, on n’a pas assez de doses. Mais ils n’y sont absolument pour rien. Je ne comprends pas grand-chose à leur communication. Moi, j’aurais plutôt été dans un langage de vérité en disant « bah oui, on manque de doses comme partout dans le monde et on s’adapte en fonction du manque de doses et en fonction des problèmes que les laboratoires rencontrent dans les chaînes de production ». J’aurais adopté un langage de vérité. Dire qu’on ne manque pas de doses, je ne sais pas qui va les croire. C’est vraiment une erreur stratégique. Mais ce n’est pas à moi de donner des cours de communication à M. Véran.
On commence à avoir un retour d’expérience sur la vaccination en Israël : 85 % des plus de 60 ans ont reçu au moins leur première injection, plus de 3,5 millions de personnes au total. Résultat : chute dans les EHPAD d’à peu près 50 % des cas de covid, chute de 20 % à 30 % des malades graves de plus de 60 ans dans les hôpitaux. C’est encourageant ?
Oui, évidemment, c’est très encourageant, mais c’était complètement attendu. On savait que le vaccin marchait, en tout cas sur les variants qui dominent. Les Israéliens ont pris les choses à bras-le-corps, ils ont vacciné à très grande échelle et ils vont mater le covid. On n’a pas été capables de faire comme eux. Il faut dire qu’on est beaucoup plus nombreux, quand même.
Ils pensent sortir de ce cauchemar au printemps. Ça vous semble plausible ?
Cela me semble plausible s’ils ne sont pas envahis par un variant sur lequel le vaccin ne serait pas efficace.
Si avec le rythme auquel ils vaccinent, très supérieur au nôtre, ils en terminent avec le covid au printemps, ça veut dire qu’on en sortira quand, nous ?
Je vous le dis franchement, je n’ai aucune idée de quand on en sortira. Je ne peux absolument pas faire de prévision parce que je ne sais pas. Je pense que pas grand monde d’entre nous ne le sait. On est très inquiets à cause des variants, notamment brésilien et sud-africain. Ça change complètement la donne. On n’a pas pu vacciner tout le monde en même temps. On n’a pas confiné, donc, on n’a pas mis fin à la circulation du virus. On a à la fois le virus qui continue de circuler, donc des variants qui émergent, et on vaccine à petits pas. Dans ce contexte, moi, je ne sais pas ce que ça va produire.
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Rebecca Fitoussi
13 et 15 février 2021