Il semble que l’arrestation et l’emprisonnement de ces deux journalistes de Reuters soient médiatiquement plus intéressants que la dénonciation du massacre des Rohingyas. On va pouvoir le constater avec la mobilisation générale de l’Occident pour la libération de ces deux journalistes alors que ce même Occident n’a pas bougé le petit doigt concernant le massacre de milliers de civils par des bouddhistes enragés !
Les explications de Jacaudrey CharbonneauDeux journalistes de Reuters accusés « d’atteinte au secret d’État » pour avoir enquêté sur un massacre de musulmans rohingyas par l’armée au Myanmar ont été condamnés lundi à passer sept ans derrière les barreaux. Une décision vivement dénoncée par la communauté internationale.« Ayant tous deux atteint au secret d’État, ils sont condamnés à sept ans de prison chacun », a déclaré le juge Ye Lwin, devant une salle d’audience remplie au maximum de sa capacité.
La police avait arrêté les journalistes Wa Lone et Kyaw Soe Oo en décembre dernier, pour avoir obtenu des documents confidentiels liés à l’État de Rakhine. Ils étaient accusés d’avoir violé la Loi sur les secrets officiels et étaient détenus de manière préventive depuis cette arrestation.
L’enquête des journalistes de Reuters détaillait les événements qui ont mené au meurtre de 10 hommes rohingyas du village d’Inn Din, dans l’État de Rakhine, des hommes qui ont ensuite été enterrés dans une fosse commune après avoir été tués à la machette ou abattus par des voisins et des soldats bouddhistes.
La démarche journalistique s’appuyait sur des entretiens avec des bouddhistes ayant admis avoir mis le feu à des demeures de Rohingyas, avoir enterré des corps et tué des musulmans dans le cadre de ce qu’ils décrivent comme une hystérie de violence déclenchée lorsque des insurgés rohingyas ont attaqué des installations des forces de sécurité, en août dernier.
Les témoignages représentent la première instance où des soldats et des policiers paramilitaires sont impliqués, par des membres des forces de sécurité, dans des incendies criminels et des exécutions dans le nord de l’État de Rakhine. Selon les Nations unies, il pourrait s’agir d’un génocide.
Dans le reportage, le Myanmar affirmait que son « opération de nettoyage » était une réponse légitime aux attaques des insurgés.
Quelques jours après l’arrestation des journalistes, l’armée du Myanmar avait reconnu que des soldats et des villageois bouddhistes avaient tué de sang-froid des captifs rohingyas le 2 septembre 2017, et 7 militaires ont été condamnés à 10 ans de prison pour ce massacre.
Kyaw Soe Oo s’est adressé à la foule de journalistes avant d’être poussé à bord d’un fourgon en direction de la prison. « Le gouvernement peut bien nous emprisonner, mais ne fermez pas les yeux et les oreilles du peuple », a-t-il déclaré. Sa femme s’était effondrée en larmes à l’énoncé du verdict.
Un contexte de grande tension
Le verdict rendu lundi matin survient dans un contexte de grande tension entre le Myanmar et la communauté internationale : lundi dernier, des enquêteurs de l’ONU ont publié un rapport évoquant un « génocide » des Rohingyas et accusant directement l’armée, mais aussi le silence d’Aung San Suu Kyi, à la tête du gouvernement civil depuis 2016.
Mardi, la question de la poursuite des militaires devant la justice internationale a été débattue au Conseil de sécurité de l’ONU.
Enfin, samedi, à Rangoun, une centaine de manifestants ont réclamé la libération des deux journalistes, au nom de la liberté de la presse.
En 2017, plus de 700 000 Rohingyas ont fui vers le Bangladesh, face aux violences commises par les forces armées et des milices bouddhistes, une répression qualifiée par l’ONU de « nettoyage ethnique », et même désormais de « génocide ».
En dépit des pressions de la communauté internationale, la justice a toujours maintenu les poursuites. Si les documents que détenaient les journalistes « s’étaient retrouvés entre les mains de terroristes, ces derniers auraient pu fomenter plus facilement de nouvelles attaques », avait assuré le 20 août le procureur Kyaw Min Aung dans ses réquisitions.
Nombreuses réactions
« Aujourd’hui, c’est une journée triste pour le Myanmar, les journalistes de Reuters, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, et l’ensemble de la presse », a déclaré le rédacteur en chef de Reuters, Stephen J. Adler.
La sentence, a-t-il ajouté, constitue un recul majeur dans la transition du Myanmar vers un régime démocratique. « Cela ne peut pas aller de pair avec l’État de droit ou la liberté d’expression », a-t-il indiqué.
Stephen J. Adler a soutenu que le dossier des journalistes condamnés doit être revu de manière urgente par le gouvernement du Myanmar.
L’Organisation des Nations unies a demandé la libération des deux journalistes de Reuters. C’est ce qu’a indiqué le représentant de l’ONU au Myanmar, Knut Ostby, peu de temps après l’énoncé du verdict.
Le gouvernement britannique demande aussi la libération immédiate des journalistes. « Dans toute démocratie, les journalistes doivent être libres d’exercer leur métier sans crainte ni intimidation. Ce verdict porte atteinte à la liberté de la presse au Myanmar », a déclaré un porte-parole de Downing Street.
« La décision de condamner Wa Lone et Kyaw Soe Oo et de les envoyer en prison pour 7 ans est un simulacre [de justice]. Le gouvernement du Myanmar sera jugé sévèrement pour cette erreur judiciaire », a pour sa part tweeté l’envoyé spécial du Canada au Myanmar, Bob Rae.
Cette décision est troublante pour tous les gens qui […]
Ici Radio Canada / AFP / Reuters