“Autrui est l’expression d’un monde possible”, disait Sartre. C’est vrai. Et Dieu est l’expression d’une vie possible, et quelle vie ! La vie éternelle… La vie souveraine au plus profond de nous, la vie qui ne désire rien puisqu’elle a tout, l’éternité ; la vie qu’on ne sait plus écouter, trop habitué à écouter nos désirs. La vie des désirs est la déchéance de la vie. Il faut bien voir que la chute originelle n’était pas une chute mais une montée, une montée vertigineuse de l’orgueil, de l’amour de soi, l’amour de son image… À l’inverse, le retour à la vie éternelle, l’élévation morale, est un abaissement, une chute dans l’humilité, dans l’amour d’autrui, dans le don désintéressé de soi ; parce qu’il y a aussi le don intéressé de soi, et le don usuraire de soi, celui-ci est le plus répandu… Évidemment, le don intéressé ou usuraire n’est déjà plus un don, demandez à Jacques Attali, il vous expliquera. Le retour à la vie éternelle est difficile car il est difficile pour l’homme, voire impossible, de chuter dans l’humilité car cette chute est souvent perçue comme une humiliation. Cette chute est difficile car on se raccroche instinctivement à ce qui pourrait nous donner de la considération, de l’importance, de l’estime. Étant entendu que seul Dieu est digne de considération, d’importance et d’estime à travers ses créations et créatures. Cette chute parait vertigineuse car la montée de l’orgueil fut vertigineuse. Mais bonne nouvelle, cette chute peut être progressive, par à-coups, en s’exerçant à l’humilité peu à peu, mais c’est plus long, ça peut prendre toute une vie. Il y a aussi la méthode violente (violente pour l’homme) : accepter l’humiliation sans répondre, c’est-à-dire pardonner à ceux qui nous ont offensés, comme Dieu peut pardonner à ceux qui l’ont offensé.
“Étant entendu que seul Dieu est digne de considération, d’importance et d’estime à travers ses créations et créatures.”
Parfois on se demande jusqu’où va-t-on chuter dans l’humilité ou l’humiliation, jusqu’où va-t-on descendre pour entrevoir la vie éternelle. Eh bien précisément, on commence à entrevoir la vie éternelle lorsqu’on ne se pose plus cette question. La béatitude divine n’est pas altérée le moins du monde par les offenses, les pires offenses. Dieu nous ramène sur le bon chemin, sur le chemin de la souveraineté vivante en nous humiliant. Et Il nous abandonne en flattant notre orgueil, en y mettant des œillères, fussent-elles “dissidentes”… Ou les œillères de l’argent. Les œillères de l’argent, c’est quand on craint plus d’être abandonné par l’argent que par Dieu. Mais l’argent ou la gloire terrestre, même en très grande quantité, ne mènent et ne peuvent mener qu’à la tombe. L’homme comprendra-t-il qu’il n’y a dans sa vie qu’une seule alternative, la souveraineté vivante ou la souveraineté des tombes.