Les faits sont têtus. Il est plus facile de s’arranger avec les statistiques.
Mark Twain
Un livre de Philippe Herlin, très intéressant, Pouvoir d’achat, le grand mensonge, qui démontre encore une fois l’absurdité des statistiques surtout lorsqu’elles sont contrôlées par un État menteur et spoliateur. Les arguments sont solides étant donné que les techniques de calcul relèvent quasiment de la charlatanerie. Non seulement des postes de dépenses très importants comme le logement ne sont pas inclus dans le calcul mais nous apprenons que les produits pris en compte dans les paniers des consommateurs demeurent secrets (sic) ! Reste à savoir si le livre traite du pourquoi de ce mensonge d’État ! Nous reviendrons en parler ici dès que nous aurons achevé la lecture de cet ouvrage.
Pour l’économiste Philippe Herlin (*), la croissance des dernières décennies n’a pas apporté d’amélioration sur le front du pouvoir d’achat, contrairement aux affirmations de l’Insee.
LE FIGARO. – Pourquoi qualifiez-vous la hausse du pouvoir d’achat, depuis le milieu des années 1970, de « grand mensonge », en dépit des statistiques de l’Insee ?
Philippe Herlin.– Les calculs de l’Insee reposent sur des hypothèses, des choix méthodologiques que je ne partage pas. L’institut minimise fortement l’inflation, essentiellement par deux biais. D’abord, le logement est sous-estimé de façon criante : il représenterait aujourd’hui 6% du budget des ménages ! Ce qui ne correspond à aucune réalité pour les Français. L’Insee exclut notamment du budget des particuliers tous les logements achetés, car cela est vu comme un investissement! De cette façon, la hausse de l’immobilier, surtout depuis 2000, est passée à l’as. Ensuite, l’Insee inclut l’«effet qualité» dans l’évolution du prix des produits. Il s’agit de faire baisser le prix réel d’un objet car sa qualité a augmenté. Par exemple, au fil des années, le prix des Iphone a augmenté, mais selon l’Insee, son prix réel a baissé car les modèles sont plus puissants, ont plus de fonctionnalités… cette approche est subjective. Cet effet qualité concerne les produits technologiques, mais pas seulement: également des prix alimentaires, etc. Un quart des produits étudiés chaque année par l’institut subit cet effet.
Je critique donc cette minoration globale de l’inflation, qui répond à des objectifs politiques. Dans les années 1970, lorsque l’inflation décollait, ces méthodes ont été mises en place car beaucoup de minima sociaux sont indexés sur la hausse des prix (salaire minimum, retraites): c’est un vrai enjeu budgétaire pour l’État.
LE FIGARO. – Quelle a été votre méthode?
J’ai recherché des séries de prix fidèles à la réalité: ceux des catalogues La Redoute de 1965 à aujourd’hui pour les vêtements, les prix archivés à la Bibliothèque nationale pour l’alimentation, le prix de l’argus pour l’automobile, les prix de l’immobilier auprès du spécialiste Jacques Friggit… C’est un travail d’archéologue qui n’était plus fait depuis Jean Fourastié. Il revient à déterminer un temps de travail nécessaire pour acquérir tel ou tel bien.
LE FIGARO.- Vous dites dans votre ouvrage que les prix ont surtout baissé, depuis 1975, lorsque les produits sont venus non plus de nos usines, mais de Chine ou d’autres pays en développement. Mais comment redonner du pouvoir d’achat sans accélérer notre désindustrialisation?
Philippe HERLIN.– En effet, le pouvoir d’achat baisse avec la crise des années 1970 puis remonte dans les années 1990 avec les premiers effets de la mondialisation: les prix baissent car de nombreux produits sont désormais importés depuis des pays à bas coûts. Une amélioration qui s’appuie donc sur le déclin de nos industries! Les Français voient donc les prix baisser, mais dans le même temps, ils perdent leur emploi par milliers. Il faut donc réfléchir à une augmentation du pouvoir d’achat saine, et qui ne comporte pas de coûts cachés.
Et, comme l’expliquait Jean Fourastié, ce qui apporte réellement du pouvoir d’achat sur la longue durée, c’est le progrès technique. Quand la télévision couleur sort en France dans les années 1960, elle représente plus de dix mois de salaire… puis le progrès technique la rend accessible. Il faut donc le favoriser, ainsi que la productivité des entreprises. J’ajoute pour ma part que pour stimuler cette productivité, il faut un contexte vraiment concurrentiel. Pour le transport aérien, c’est d’ailleurs surtout la concurrence qui a fait baisser les prix, plus que le progrès technique. En France, il y a beaucoup de secteurs protégés, subventionnés, où la concurrence s’est éteinte… Le législateur doit changer de stratégie dans ce domaine.
Enfin, il faut s’assurer que ce progrès technique ait lieu chez nous! Il faut faire en sorte que nos entreprises puissent investir et se développer. Là encore, l’État a toujours préféré soutenir des industries sur le déclin, plutôt que d’abaisser les charges afin d’éviter des délocalisations. Il faut bien comprendre que notre politique de compétitivité a une vraie responsabilité en termes de pouvoir d’achat.[…]
(*) Philippe Herlin est économiste indépendant. Il a publié notamment Repenser l’économie (2012), France, la faillite ? (2012), Apple, Bitcoin, Paypal, Google; la fin des banques? (2015). Son dernier livre, Pouvoir d’achat : le grand mensonge, est sorti le 5 octobre 2018 aux éditions Eyrolles.