C’est le grand risque que l’on prend lorsque l’on fait appel d’une décision judiciaire, celui de voir sa peine accentuée. C’est ce qui s’est passé pour Nicolas Sarkozy dans l’affaire des fausses facturations de sa campagne présidentielle avec un dépassement phénoménal de près de 20 millions d’euros du plafond autorisé par la loi.
Deux points nous interpellent concernant cette affaire. Premièrement la lenteur de la procédure judiciaire malgré la gravité des faits ! Ceci est dû comme vous pouvez le deviner à un sabotage de l’institution judiciaire par ces mêmes politiciens. Deuxièmement, comment la défense de Nicolas Sarkozy peut-elle avoir le culot d’expliquer et d’affirmer qu’il n’était au courant de rien alors qu’il a lui-même présenté son programme au milieu de l’estrade de ses meetings politiques gigantesques ayant fait exploser la facture finale ?!
L’Express a lu les 165 pages validant le renvoi en correctionnelle de l’ex-président pour financement illégal de campagne.
Nicolas Sarkozy a joué à quitte ou double. Et il a perdu. Une ordonnance du 3 février 2017 le renvoyait en correctionnelle pour financement illégal de la campagne présidentielle de 2012, mais cette décision était fragile puisque signée par un seul juge d’instruction, Serge Tournaire, l’autre magistrat chargé de l’enquête, Renaud Van Ruymbeke, ayant refusé de la parapher. La fameuse ordonnance a donc été attaquée par 13 des 14 mis en examen, dont Sarkozy. Résultat: l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris après réexamen des accusations portées contre lui est encore plus sévère.
L’ancien président est désormais toujours renvoyé en correctionnelle, par une décision d’autant plus solide et embarrassante pour lui qu’elle est signée par trois magistrats de la cour, un niveau supérieur à celui des juges d’instruction. L’Express a pu lire les 165 pages de cet arrêt du 25 octobre 2018. En voici de larges extraits.
L’affaire a explosé en 2014 lorsqu’a été découvert un système de fausses facturations présumées, organisé par l’agence de communication Bygmalion et sa filiale Event&Cie, avec l’UMP (ancêtre de Les Républicains) : vingt millions d’euros de manifestations aux intitulés fictifs auraient été payés par le parti du candidat pour permettre d’organiser des meetings de Nicolas Sarkozy et faire croire que le plafond de dépenses de 22,5 millions n’était pas dépassé. Cette double comptabilité supposée frauduleuse avait été révélée par Libération.« Il était directement impliqué »
« Il a été le décideur. » Dans leur arrêt, les trois juges de la cour d’appel commencent par affirmer que le candidat Sarkozy ne déléguait pas les grands choix calibrant sa campagne. Principalement « l’augmentation exponentielle du nombre de meetings au regard de la prévision initiale, de moins de vingt à plus de quarante effectivement réalisés ». Ce qui a conduit à un dépassement de 20,3 millions d’euros au-delà du plafond de dépenses fixé à 22,5 millions. Le candidat ne pouvait pas l’ignorer puisqu’« il était directement impliqué dans la définition globale de la qualité des prestations exigées, de la nature et de l’ampleur des moyens mobilisés » – la retransmission en temps réel dans plusieurs villes et la scénographie, citent les juges.
Le candidat de l’UMP avait d’autant plus conscience de la folle dérive financière, selon les juges, qu’il n’a pas tenu compte de plusieurs mises en garde. « Nicolas Sarkozy a été destinataire des deux notes d’alerte des 7 mars et 26 avril 2012 rédigées par les experts-comptables, sans équivoque sur le constat des finances et des dépenses et sur la sanction inéluctablement encourue ». Il a reconnu que son directeur de campagne, Guillaume Lambert, « avait dû lui parler de la première note » et que la seconde lui était personnellement adressée.
Ce dernier raconte que le président-candidat « passait très régulièrement au QG de campagne le matin, assistait parfois à la réunion de coordination et que de façon générale la planification des meetings était soumise à l’approbation et validée par Nicolas Sarkozy », lequel « influait sur le format des meetings souhaitant avoir des meetings de portée nationale, des meetings dans les capitales régionales et des meetings locaux ».« Nous n’avons plus d’argent. JFC en a parlé au PR. »
Lorsque son directeur-adjoint de campagne, Jérôme Lavrilleux, refuse la location d’un hall supplémentaire pour un meeting, il écrit le 28 avril 2012 au directeur de campagne: « Nous n’avons plus d’argent. JFC [Jean-François Copé, alors secrétaire général de l’UMP] en a parlé au PR [président de la République]. »
Et les magistrats insistent lourdement sur la responsabilité pénale de Nicolas Sarkozy: « Les deux notes des 7 mars et 26 avril 2012 établissent suffisamment la pleine et entière connaissance du candidat du dépassement inéluctable du plafond des dépenses et de l’impérieuse nécessité de maîtriser ses dépenses de campagne quitte à ne plus organiser la moindre réunion publique ». Or, les juges constatent qu’à ce moment-là, il n’a pas remis en cause les huit meetings à venir, dont quatre de grande ampleur : Clermont-Ferrand, Toulouse, Toulon et Paris.La faute des équipes
Pour se défendre devant la cour d’appel, Nicolas Sarkozy est revenu sur ses déclarations, soulignant que la première note d’alerte ne lui était pas adressée et que Guillaume Lambert lui avait assuré qu’il la prenait en compte. Et la seconde? Il n’en a plus aucun souvenir. Le candidat rejette manifestement la faute sur ses équipes qui ne l’auraient pas mis en garde: « Aucun budget prévisionnel ne lui a été soumis, ces questions concernaient le directeur de campagne, le mandataire financier, les experts comptables et le trésorier, écrit dans ses mémoires en défense Thierry Herzog, conseil de l’ancien chef de l’État. Il n’a participé à aucune réunion budgétaire et Monsieur Godet [l’un des deux experts comptables, lui aussi renvoyé en correctionnelle] n’a jamais demandé à rencontrer Monsieur Sarkozy. »
Nicolas Sarkozy voudrait-il faire croire que les décisions de maintenir les derniers meetings ont été prises dans son dos ? Les magistrats répondent avec sagacité : s’il avait découvert une telle manoeuvre, il pouvait porter plainte contre ses directeur et directeur-adjoint de campagne, ou ses conseillers… « ce que le candidat s’est abstenu de faire ».13 personnes renvoyées pour complicité
Les juges ont aussi fait litière de l’un des principaux arguments de l’ancien président de la République, selon lequel on ne peut pas être jugé deux fois des mêmes faits. L’ancien patron de l’UMP fait référence à la décision du Conseil constitutionnel, le 4 juillet 2013, qui avait retenu un dépassement de 363 615 euros au-delà du plafond de 22,5 millions. Sauf que la cour d’appel affirme que cette décision de 2013 ne concerne pas les “dépenses qui ont été dissimulées” au contrôle du Conseil constitutionnel “et dont l’existence et le montant n’ont été caractérisées que grâce à l’information judiciaire et aux investigations pénales”. En clair, Nicolas Sarkozy ne peut pas considérer avoir été jugé en 2013 alors que 98% des dépassements ont été découverts à partir de 2014.
Le candidat Sarkozy est le seul à être renvoyé comme auteur de l’infraction de financement illégal de campagne électoral, passible d’une année d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Mais les magistrats d’appel ont aussi confirmé le renvoi de treize personnes pour complicité de ce délit. Son équipe de campagne : Guillaume Lambert, Jérôme Lavrilleux, Pierre Godet, Marc Leblanc, Philippe Briand et Philippe Blanchetier. Trois cadres de l’UMP : Eric Césari, Fabienne Liadzé et Pierre Chassat. Quatre dirigeants de Bygmalion et d’Event&Cie : Bastien Millot, Guy Alves, Sébastien Borivent et Franck Attal.L’avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, sollicité par L’Express pour commenter cette décision de la cour d’appel de Paris et exposer les motifs juridiques de son pourvoi en cassation, n’a pas souhaité répondre à nos questions.
François Koch – L’Express