En réalité la situation est très simple à comprendre. La France a toujours été complice du pillage de l’Algérie, et de l’Afrique en général bien entendu, via un système mafieux impliquant les plus éminents vénérables des loges maçonniques. Du coup, si le système corrompu algérien tombe, l’Élysée aura des comptes à rendre très rapidement car on imagine que le parquet indépendant d’Alger multipliera les procédures de rapatriement de biens mal acquis et les milliards d’euros cachés dans les banques françaises et autres paradis fiscaux, ce qui ne pourrait qu’amener la preuve factuelle de la complicité de l’État français dans ce pillage.
Nous vivons une période absolument apocalyptique dans le sens étymologique du terme, c’est-à-dire une période de dévoilement qui jette la lumière sur les secrets les plus sordides et les plus crapuleux que la planète terre ait pu porter. Ce n’est qu’une question de temps…
Pour le chercheur Thomas Serres, les Européens gagneraient à soutenir la révolution algérienne, surtout s’ils tiennent à limiter les migrations.
Dans un discours d’une honnêteté rare, l’ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, avait admis le 14 juillet avoir sous-estimé le peuple algérien. Il avait soutenu la révolution en cours, tout en louant la souveraineté pleine et entière du pays. Depuis, rien. Tétanisé après avoir soutenu Abdelaziz Bouteflika, l’Élysée regarde le nouvel homme fort du pays, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, se démener pour maintenir les privilèges de l’armée, assurer l’impunité de ses fidèles – dont la corruption n’a rien à envier aux affairistes déjà emprisonnés – et limiter l’ampleur du changement politique. La France et l’Europe laissent la contre-révolution se dérouler, en espérant que ne rien faire soit le meilleur moyen de ne pas insulter le futur. C’est là qu’elles se trompent.
Le hirak (« mouvement ») n’est pas limité à la marche du vendredi. Depuis plus de six mois, les étudiants se réunissent également tous les mardis pour demander le départ de la clique politico-militaro-économique qui a détourné les richesses du pays depuis vingt ans. Si le mouvement se limite dans l’espace public à ces deux journées de mobilisation, ce n’est pas par choix. Les tentatives d’organiser d’autres rassemblements se sont heurtées à un dispositif sécuritaire massif et des arrestations en série des militants pacifistes.
Un appareil répressif conçu avec la France
Depuis la mi-juin, le hirak a pris la forme d’une confrontation entre les partisans d’une présidentielle dans les plus brefs délais, rassemblés derrière Ahmed Gaïd Salah et la machine bureaucratico-militaire qui tient l’État, et les opposants qui demandent une Constituante et le départ de tous les anciens membres du régime. En réponse à ces demandes, Ahmed Gaïd Salah a tenté de décrédibiliser ses adversaires en les assimilant à des « Berbéristes » et des « manipulés » menaçant l’intégrité de la nation.
Jusqu’à récemment, les partis et associations des « Forces de l’alternative démocratique » se sont heurtés aux entraves administratives et au harcèlement de militants isolés. Ces dernières semaines, plusieurs arrestations d’opposants, dont Karim Tabbou, le leader de l’Union démocratique et sociale – libéré le 25 septembre puis de nouveau arrêté le 26 septembre – et Samir Belarbi, une figure du mouvement Barakat, ont marqué une surenchère dans cette logique répressive.
Or, l’appareil répressif qui sert à imposer l’élection a été conçu avec le soutien actif de la France. La formation des forces de police algériennes à la « gestion démocratique des foules » est le produit d’une coopération sécuritaire de longue durée, que l’Union européenne a d’ailleurs encouragée. Dès lors, la responsabilité européenne et française est engagée.
Pourquoi rejeter une élection présidentielle alors qu’un gouvernement non élu gère le pays depuis six mois ? Ceux qui réclament un gouvernement d’union nationale et une Constituante le font pour trois bonnes raisons. Tout d’abord, l’élection d’une Constituante permettrait de refonder le système politique et de recréer de la confiance. Elle permettrait aussi de réorganiser un champ politique extrêmement fragmenté, afin que chaque camp compte ses forces et puisse préparer une stratégie et des alliances…
Photo d’illustration : manifestation antigouvernementale dans les rues d’Alger, mardi 24 septembre 2019. Ramzi Boudina / REUTERS
Thomas Serres
Le Monde [Tribune]29 septembre 2019
Thomas Serres est enseignant-chercheur à l’université de Californie Santa Cruz. Il est l’auteur de L’Algérie face à la catastrophe suspendue (éd. Karthala, 2019).