Le client a beau avoir 100 000 $ dans son compte bancaire, il ne pourra pas retirer plus de 100 $ par semaine pour toute sa famille ! L’inflation explose, chaque jour qui passe il perd une partie importante de ses économies étant donné qu’il ne pourra pas les retirer pour acheter de l’or ou de la pierre. C’est exactement ce qui risque de nous arriver en France, ce n’est qu’une question de temps…
Après 35 ans de carrière à l’étranger, les économies d’une vie prudemment placées dans le système bancaire libanais, Issam espérait s’offrir une belle retraite de retour au pays.
Mais la crise de liquidités qui a éclaté au Liban en 2019 en a décidé autrement.
Une série de restrictions bancaires officieuses limitent, depuis, drastiquement l’accès à son épargne. « Mes retraits en devises sont plafonnés à 300 dollars par mois en liquide, à condition d’accepter une décote de 80 % sur mes fonds », explique Issam. Cela signifie que pour retirer 20 dollars, le compte doit être débité de…100 dollars. Au point que ces dollars bancaires ont été surnommés « dollars libanais », ou encore « lollars ».
La livre libanaise a, elle, perdu plus de 90 % de sa valeur par rapport au dollar sur le marché noir.
« J’ai dû renoncer à voyager, réduire mes dépenses d’électricité et de chauffage et même emprunter à un ami pour les études de mon fils », explique cet ancien cadre dirigeant, dont le pouvoir d’achat s’est effondré.
Levée du secret bancaire
En l’absence d’un plan global de sortie de crise depuis presque quatre ans, les déposants sont les premiers à essuyer les pertes colossales du secteur bancaire , estimées à 72 milliards de dollars.
Une réforme du secret bancaire en vigueur dans le pays depuis 1956, réclamée par le FMI en vue du déblocage d’un plan d’aide financière pour le pays, a été adoptée le 26 juillet par le Parlement sous une forme très édulcorée. D’autres mesures urgentes se font toujours attendre.
L’essentiel des pertes se trouve aujourd’hui à la Banque du Liban (BDL), auprès de laquelle les banques commerciales ont déposé de l’argent en échange de taux d’intérêt attractifs, en particulier sur des certificats de dépôts en dollars. Problème : la banque centrale est aujourd’hui incapable de rembourser ces établissements, les devises ayant été absorbées par le soutien à la monnaie locale et le financement de l’Etat, désormais en faillite.
Une ébauche de plan de relance, prévoyant notamment une restructuration du secteur bancaire, a été approuvée en mai par l’exécutif et constitue la base de l’accord de principe signé avec le FMI en avril . Mais il est encore aujourd’hui loin de faire l’unanimité auprès des banquiers, d’une partie des déposants et de la classe politique, dont certains représentants siègent au conseil d’administration des banques.
Les banques hostiles au plan de relance
Ce plan prévoit de faire porter aux banques commerciales l’essentiel des pertes, tout en protégeant les petits déposants. « Il y a suffisamment d’actifs dans le secteur pour couvrir le versement d’au moins 100.000 dollars par dépôt, échelonné dans le temps », estime le vice-Premier ministre, Saadé Chami. Quelque 88 % des dépôts seraient ainsi entièrement remboursés. Les grands déposants et les actionnaires des banques supporteraient, eux, la plupart des pertes.
Un projet auquel n’adhèrent bien sûr pas les banques, qui veulent faire contribuer l’Etat, accusé avec la BDL de mauvaise gestion. « Il ne faut pas parler de pertes mais de dettes de la BDL vis-à-vis des banques », corrige Riad Obegi, PDG de Banque BEMO.
L’Association des banques du Liban préconise notamment la vente des actifs de l’État. « Priver l’ensemble de la population de ces ressources pour compenser quelques milliers de déposants n’aurait pas de sens », conteste Saadé Chami.
Un précédent plan en 2020 avait été torpillé pour des raisons similaires. « Ils font semblant de négocier alors que l’objectif n’est que de gagner du temps » pour laisser l’ensemble des déposants assumer les pertes, estimait en mai l’ancien directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, lors d’une conférence.
« Comme à la fin de la guerre civile en 1990, les anciens chefs de guerre vont se serrer dans les bras et s’accorder pour remettre les pendules à zéro, au détriment de la population », déplore de son côté Issam.
Photo d’illustration : La Banque du Liban est aujourd’hui incapable de rembourser les banques commerciales qui y ont déposé de l’argent en échange de taux d’intérêt attractifs. (Mohamed Azakir/REUTERS)
9 août 2022