On parle beaucoup de grand remplacement aujourd’hui, en France surtout, j’aimerais parler de grande disparition, celle de la noblesse. Attention, il n’est pas question ici de perruques, collants blancs, mocassins et champagne dégoulinant, mais plutôt de noblesse signifiant le courage de la vérité et de la justice, sans y chercher une gloire personnelle, ou plutôt en y sacrifiant la gloire personnelle. La noblesse est aux antipodes de l’orgueil avide, de gloire et d’honneurs… et de champagne. La noblesse n’est jamais et ne peut pas être dans la représentation, dans le spectacle, et encore moins dans la rutilance de flouze, de gourmettes en or et de chemises blanches ouvertes… C’est en vain que l’on cherchera des images de la noblesse. Être noble c’est ne pas contempler son image, c’est ne pas tomber dans la volupté de l’image, même sans paillettes.
La volupté de l’image nous y enchaîne et fait de nous ses esclaves, et pourtant nous la recherchons sans cesse, en vue de l’extase, par l’ivresse des sens. L’extase sensuelle est alors vécue comme une sortie de soi, une libération de la chair par les plaisirs de la chair. Mais une libération fugace, illusoire, qui se révèle rapidement n’être qu’une image de libération, et qui nous laisse donc en manque de cette dernière. Cette image agit donc comme une drogue qui apaise un manque qu’elle ne comble jamais. La véritable libération c’est ce qu’on pourrait appeler “l’instase”, comme disait Alexandre Saint-Yves d’Alveydre. L’ex-tase est la sortie illusoire de soi, vers le vide… “l’extase vide de l’absence”, comme dit Henri Maldiney. Et l’in-stase est l’entrée véritable en soi, en l’être. Il ne s’agit pas ici de libérer le moi mais de se libérer du moi, du “moi-chair”, comme disait Antonin Artaud qui, lui au contraire, voyait dans ce “moi-chair” l’irréductible de notre délivrance… héritage maudit de Caïn-Israël, qui s’obstinait à vouloir irréductiblement exister indépendamment de Dieu et qui, ne pouvant tuer Dieu, tua Abel, son frère… Le “moi-chair” est triste et je ne lirai pas tous les livres.
Le moi est une illusion individuelle haïssable, et l’individuation est elle-même une illusion, une image de l’être, et il n’y a d’être que divin. L’individuation de l’être produit le moi. L’instase correspond donc à une “désindividuation” pourrait-on dire. Le mot individu veut dire “ce qui n’est pas divisible”, en latin. Vous allez me dire que l’être divin n’est pas divisible non plus, et qu’il est donc indivis. Oui, et nous sommes là au cœur du problème. Il y a deux indivis : l’indivis humain périssable image de l’indivis divin éternel. L’indivis sujet et l’indivis souverain. L’indivis humain est sujet aux altérations, aux variations, quand l’indivis divin les crée souverainement. L’indivis humain résiste à ces variations, résiste à la maladie, à la mort, y est assujetti pour se maintenir indivis envers et contre l’autre, envers et contre Dieu, qui Lui est indivis souverainement, sans résister, sans se soucier du maintien de son indivis, puisque éternel. L’indivis humain tente aussi de se maintenir malgré ses paradoxes… Voyez Bernard Lugan. D’un côté, il vomit l’universalisme républicain moderne, et de l’autre, il défend un “colonialisme intelligent”, avec Lyautey, pour nous “aider”, nous les races inférieures, “à franchir le pas de cette” même “modernité” !!!… Au fond, la liberté individuelle humaine est aussi voluptueuse car elle est, malgré tous ses paradoxes boursouflés d’orgueil purulent, l’image, le simulacre fugace et misérable de l’éternité.