Le titre de cet article est pour le moins inapproprié en ce sens que la répression n’a jamais cessé et qu’elle se poursuit avec plus de sévérité et de rigueur et parfois plus de férocité allant jusqu’à éborgner des manifestants.
Ne pouvant nier l’évidence devant l’envahissement populaire pacifique hebdomadaire des espaces publics depuis plus d’une année, d’abord en guise de protestation contre un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, puis pour revendiquer l’application des articles 7 et 8 de la Constitution consacrant la souveraineté populaire, l’attitude de Tebboune – imposé par l’État-Major militaire – a consisté à reconnaître la légitimité du Hirak et même à tenter de se l’approprier avec un culot époustouflant, le qualifiant de Hirak béni et lui reconnaissant le mérité d’avoir chassé du pouvoir la « 3içaba » (bande de mafieux).
Or, le peuple ne se satisfait pas des demi-mesures prises jusque-là et des procès intentés à d’ex-responsables civils et militaires, s’apparentant plutôt à des règlements de comptes entre bandes rivales.
À présent que le Hirak exige le départ du régime et la fin du système qui l’a engendré, on assiste à une répression de plus en plus forte avec une instrumentalisation de la justice par le biais de magistrats aux ordres. Tout a été mis en œuvre pour faire échouer la révolution, en recourant notamment aux vieux démons du régionalisme, en agitant l’épouvantail islamiste, en recrutant des « baltaguias » (casseurs) chargés de semer la violence, en procédant à des arrestations arbitraires de militants du Hirak, en accusant certains d’ « intelligence avec des puissances étrangères » …etc.
Le régime en place voit en la pandémie Covid-19 une occasion de freiner les ardeurs des Algériens en distillant la peur et en prenant des mesures extrêmes, souvent paradoxales, dictées par la panique ; mais le peuple a répondu par des slogans clairs affirmant que la junte militaire est bien plus dangereuse que le Coronavirus.
Il est par ailleurs regrettable que le gouvernement de Macron ignore les revendications populaires et entretienne des relations amicales avec la junte pour des intérêts économiques et stratégiques immédiats, en crachant sur l’avenir et en se rendant complice des mesures répressives prises à l’encontre du peuple souverain.
Les Algériens s’en souviendront.
La crise algérienne est une crise politique et la solution ne peut être que politique. C’est aussi un problème d’hommes. L’Algérie possède un réservoir inépuisable d’hommes jeunes, dignes et honnêtes, qualifiés dans tous les domaines, ayant soif de justice et nourrissant un amour inextinguible de la patrie. C’est à eux qu’il incombe de redonner confiance au peuple en s’attelant à la reconstruction du pays sur des bases saines.
Plusieurs décisions de justice témoignent d’un nouveau durcissement vis-à-vis des manifestants qui défient le pouvoir depuis plus d’un an.
Le cas le plus emblématique, c’est celui de Karim Tabbou. Son portrait sera certainement brandi par de nombreux Algériens, ce vendredi13 mars lors de la désormais traditionnelle manifestation du vendredi. Tabbou, 46 ans, figure de l’opposition, a été condamné ce mercredi 11 mars par le tribunal de Sidi M’hamed à Alger, à un an de prison dont six mois ferme. Comme il croupit en détention préventive depuis le mois de septembre, il devrait en fait retrouver la liberté le 26 mars. Mais la condamnation n’en est pas moins très forte. Tabbou a été reconnu coupable « d’atteinte à l’unité nationale », simplement pour avoir manifesté. Pendant le procès, près de 60 avocats se sont relayés à la barre pour le défendre et dénoncer un dossier totalement vide. Ça n’a pas suffi. La condamnation est tombée. Et les quelque 300 personnes qui s’étaient regroupées devant le tribunal pour l’annonce du verdict ont été dispersées par les forces de l’ordre. Ce tribunal de Sidi M’hamed a la réputation de condamner tout le monde. Et en l’occurrence, le verdict a valeur de symbole. Parce que Karim Tabbou est bien connu du grand public algérien : c’est un orateur charismatique, qui s’exprime aussi bien en arabe qu’en tamazight, les deux langues du pays.
Intimidations contre la presse
On avait pourtant cru, il y a quelques semaines, à un assouplissement du pouvoir après l’élection du nouveau président, Abdelmajid Tebboune. Mais la répression semble repartie pour un tour. Ça ne se limite pas au cas de Tabbou. Un autre militant de la société civile, Samir Belarbi, qui avait été relâché début février, a été de nouveau arrêté. Il est toujours sous mandat de dépôt. Tout comme d’autres opposants : Slimane Hamitouche, Toufik Hassani, là encore des figures du « Hirak », le mouvement de contestation qui dure depuis 14 mois. Qui plus est, un journaliste bien connu lui aussi, Khaled Drareni, a été arrêté ce mardi 10 mars. On lui reprochait d’avoir filmé une manifestation, en gros d’avoir fait son boulot. Drareni travaille pour la chaîne française TV5 Monde et c’est aussi le correspondant local de l’ONG Reporters sans frontières. Il a été finalement relâché le 11 mars au soir mais maintenu sous contrôle judiciaire. Ça ressemble fortement à une mesure d’intimidation vis-à-vis de toute la presse algérienne, en particulier vis-à-vis des reporters qui travaillent pour des médias étrangers.
Des magistrats à la botte des services de sécurité
Donc le nouveau président Tebboune ne tient pas vraiment ses promesses. D’ailleurs, son premier ministre, Abdelaziz Djerad, n’a pas hésité ce mardi 10 mars à appeler le Hirak à « mettre en sourdine ses revendications et ses manifestations ». Et surtout, il n’est pas dit que le président Tebboune contrôle quoi que ce soit. Certains juges en particulier, sont aux ordres des services de sécurité et de l’appareil militaire, qui continue de tenir le pays. Tout cela se produit au moment où l’Algérie s’enfonce dans les turbulences économiques avec la chute du baril de pétrole. Bref, tout ça n’est pas très rassurant pour la suite.
Photo d’illustration : une manifestation à Alger le 27 septembre 2019 pour demander la libération de Karim Tabbou (RYAD KRAMDI / AFP)
Radio France
13 mars 2020