Voici une étude très intéressante qui donne une idée sur l’état psychologique extrêmement fragile des professionnels de santé en formation. Régulièrement, les médias rapportent ici ou là le suicide d’un interne ou la défenestration d’un professeur ; ailleurs, le suicide d’une infirmière… tout ceci a une raison, les professionnels de santé sont soumis à des stress intenables et inouïs, des pressions psychologiques, un harcèlement sur leur lieu de travail… Les chiffres de cette étude sont alarmants, il est question de dizaines de milliers de personnes en état de souffrance ! Sur 21 768 étudiants suivis, on parle de près de 28 % de personnes – plus de 6000 étudiants !!! – souffrant d’anxiété et de dépression contre 10 % de moyenne dans la population générale ! 23.7 % ont même eu des idées suicidaires !
Rappelons que ce sont ces médecins en formation qui sont censés soigner la population, du moins en théorie. En réalité, ce sont eux les premiers à avoir besoin de soins et d’attention…
Rythme de travail acharné, manque d’encadrement, violences psychologiques. 27,7% des futurs soignants souffrent de dépression.
C’est ce que révèle une enquête menée par quatre syndicats de jeunes médecins. Des maux souvent tabous. Entretien avec Leslie Grichy, vice-présidente de l’Intersyndicat national des internes, Isni, à l’origine de l’enquête, et Olivier Le Pennetier, président.
Pourquoi s’être penché sur la santé mentale des jeunes médecins ?
Olivier Le Pennetier (O.L.P.) : Depuis des mois, des années, on savait la santé mentale des jeunes médecins préoccupante. On en prenait conscience à l’occasion de « fait divers », en apprenant la mort d’un interne. Mais ce sujet de la santé mentale des jeunes médecins était tabou, on n’en parlait pas.
Début 2016, un jeune interne s’est encore donné la mort à Marseille. Il avait 28 ans, il était en 4e année de chirurgie, je le connaissais. Quelques mois plus tard, son suicide a été reconnu comme accident du travail. On a fait un travail avec la famille, elle était d’accord pour qu’on en parle.
C’est un peu de là qu’est partie cette enquête. Elle a été menée entre janvier et avril 2017, auprès de 21 768 étudiants en médecine, de la 2e année, à l’internat, des jeunes âgé de 20 à 30 ans. Nous l’avons menée conjointement avec quatre structures de jeunes médecins.
Leslie Grichy (L.G.) : On a toujours des retours d’internes qui sont en grande souffrance. On leur a apporté une solution d’urgence en créant des dispositifs d’écoute, mais ce n’était pas tout à fait satisfaisant. Ce que l’on souhaitait, c’était de pouvoir en amont, faire de la prévention. Pour cela, il nous fallait des données objectives sur les jeunes médecins.
Anxiété, état dépressif et idées suicidaires. Les résultats sont inquiétants ?
O.L.P. : Oui, ils sont pires que ce à quoi l’on s’attendait et bien supérieurs à ceux de la population en général. 66,2 % des jeunes soignants déclarent souffrir d’anxiété et 27,7 % de dépression, contre 10 % dans la population en général.
Et 23,7 % ont eu des idées suicidaires, dont 5,8 % dans le mois précédent l’enquête. Depuis novembre 2016, cinq internes se sont donné la mort. 700 ont déjà fait une tentative de suicide.
Comment les expliquez-vous ?
L.G. : La souffrance est toujours multicausale. Il y a des facteurs personnels, inhérents à chacun, mais qui n’expliquent pas tout. Les jeunes médecins sont soumis à des conditions de travail particulières.
D’abord, ils sont confrontés à la mort, à la souffrance, à des situations émotionnellement difficiles.
Ensuite, leurs conditions de travail à l’hôpital sont catastrophiques : les internes travaillent en moyenne 60 heures par semaine, souvent 12 h d’affilée cinq jours par semaine. Quand ce n’est pas plus, avec des journées de 24 heures d’affilée. Et la situation se dégrade d’années en années.
C’est inquiétant pour les jeunes étudiants eux-mêmes, mais pour les patients aussi ?
O.L.P. : Bien sûr. Un médecin qui ne va pas bien n’est pas en capacité de ses moyens. Une étude nord-américaine montre que quand on est déprimé, on a davantage tendance à faire des erreurs médicales, et quand on fait des erreurs médicales, on est plus déprimé. C’est un cercle vicieux.
Dans la société, le tabou sur la santé mentale reste fort ?
L.G. : En effet, alors qu’elle est à l’origine de 10 000 morts par an. Il est toujours délicat de parler du suicide en France.
Chez les jeunes médecins, en parler permet d’alléger sa culpabilité et d’avoir accès à des soins. Quand on parle du suicide, cela libère la parole, c’est primordial.
Les internes ne sont pas toujours entendus quand ils se plaignent de leurs conditions de travail au sein de l’hôpital ?
LG. : Cela dépend énormément des hôpitaux. Certains sont très à cheval sur les conditions de travail, les risques psychosociaux, avec des chefs de service qui prennent soin de leurs internes, gèrent bien leurs équipes. Et d’autres pas du tout.
Que faire ?
L.G. : D’abord respecter la législation. On peut agir sur les facteurs environnementaux, sur le temps de travail passé à l’hôpital, sur les conditions de travail. Nous plaidons pour que les contrôles soient renforcés, ainsi que les sanctions en cas de non-respect du temps de travail.
On peut également agir de manière préventive, avant la catastrophe, avec les services de santé. Il y a du chemin à faire car l’enquête révèle que 54,7 % des personnes interrogées n’ont jamais vu de médecin du travail.
Il faut donner des moyens humains aux services de santé au travail d’intervenir, car c’est là, que l’on peut dépister et prévenir. Il faut former les jeunes internes pour qu’ils connaissent les symptômes d’alerte. Et déstigmatiser les pathologies psychiatriques.
O. L.P. : Globalement, l’organisation de l’hôpital aujourd’hui est délétère. On manque de temps. Il faut […]
Propos recueillis par Carine JANIN – Ouest France