Nous vous invitons chaleureusement à lire l’article de M. Marc Endeweld et regarder la vidéo ci-dessous pour comprendre que ce qui a été présenté comme une réussite française n’est en réalité rien d’autre qu’une escroquerie qui a englouti beaucoup d’argent public pour un résultat lamentable ! La majorité des résultats trouvés par Qwant sont en réalité ceux de Bing/Microsoft !
Conclusion : moteur de recherche à boycotter au plus vite.
Emmanuel Macron et la Caisse des dépôts continuent de soutenir le moteur de recherche prétendument français, censé concurrencer Google, alors qu’il fonctionne grâce à l’Américain Microsoft et qu’il est mis en cause dans un rapport de la direction interministérielle du numérique.
Subvention de plus de 20 millions d’euros, obligation de l’installer dans chaque administration, actionnaires sulfureux et ramifications troubles… Enquête au cœur de la start-up nation.
Ce devait être le fleuron de la French Tech, l’une des promesses les plus ambitieuses de la start-up nation : Qwant, le moteur de recherche français dédié au respect de la vie privée de ses utilisateurs, qui promettait de mener le combat contre les géants de la Silicon Valley au nom de la « souveraineté » technologique.
Fondé en 2011 par les hommes d’affaires Jean-Manuel Rozan, Eric Léandri et Patrick Constant, souvent présenté par la presse comme le « Google français », Qwant est devenu en janvier dernier le moteur de recherche officiel de l’administration française, qui l’installera par défaut sur tous ses ordinateurs. Au même moment, la Caisse des Dépôts et Consignations (bras financier de l’État) a décidé de réinvestir dans la start-up, faisant suite à plus de vingt millions d’euros dépensés ces dernières années.
Sur le papier, cela pourrait passer pour une success story. Mais en réalité, Qwant ne marche pas, ou mal. Ses résultats sont tirés principalement du moteur de recherche Bing, de Microsoft ; ils sont souvent datés, peu fiables, peu pertinents, limités en nombre. C’est le constat tiré par la Direction interministérielle du numérique (DINUM) dans une note confidentielle datée du mois d’août 2019, que Le Média s’est procurée. Certains éléments de cette note avaient déjà été révélés dans Acteurs publics en janvier 2020, mais elle n’avait pas été publiée dans son intégralité, comme s’y était pourtant engagé le secrétaire d’État au numérique, Cédric O.
La note a été rédigée par des agents de la direction interministérielle du numérique (alors Dinsic, aujourd’hui DINUM), assistés de confrères de l’ANSSI (l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), du ministère des Armées et de l’École normale supérieure. Tous ont été chargés de réaliser un audit d’une journée chez Qwant, en vue de son installation sur les ordinateurs de l’administration publique. Malgré leur prudence initiale, les auditeurs pointent du doigt des failles importantes dans le service offert par la start-up, conseillant ainsi de conditionner son utilisation dans l’administration à une série de changements dans le cœur du moteur de recherche. Un avis manifestement ignoré par le gouvernement.
Suite à un second audit réalisé en septembre 2019 en l’espace de quelques heures, les inspecteurs de la DINUM recommandent finalement dans une note remaniée « la signature de la note généralisant l’installation par défaut de Qwant au sein de l’administration » car, assurent-ils alors, « Qwant [se trouve] en cours de migration de son moteur d’une première version limitée techniquement vers une nouvelle version plus aboutie ». Mais en mai 2020, cette seconde version « à l’état de prototype » au moment de l’audit n’était toujours pas mise en service.
Concernant la première version de Qwant (la seule disponible), la DINUM est catégorique : le moteur de recherche « souffre de plusieurs limitations : – une difficulté à passer à l’échelle, notamment en termes de nombre de pages web traitées ; – une difficulté à gérer un rafraîchissement fréquent des pages web déjà visitées pour en capturer les modifications ; – une impossibilité d’utiliser l’index en temps réel pour les recherches des utilisateurs ». Un motif de satisfaction toutefois : les auditeurs semblent reconnaître à Qwant sa capacité à préserver la vie privée des utilisateurs – contrairement à Google – mais rappellent que « d’autres moteurs de recherche pourraient revendiquer la satisfaction du premier critère de respect de la vie privée ». Et eux ne bénéficient pas de fonds publics…
La note s’interroge ensuite sur « l’utilisation de Bing, [le moteur de recherche de Microsoft], en sous-traitance de Qwant ». Le cœur d’un moteur de recherche, c’est son « index ». Plus un index est vaste, plus un moteur de recherche est performant. L’index de Google est par exemple bien plus grand que celui de ses concurrents, ce qui explique que l’entreprise américaine détienne à elle seule 91% du marché (en 2019), contre 2,55% pour Bing, deuxième dans le classement.
De fait, Qwant s’appuie principalement sur la technologie Bing de Microsoft pour son propre moteur de recherche. L’opacité de la relation exacte entre Bing et Qwant, et plus largement de la performance de l’index de Qwant exaspèrent les inspecteurs de la DINUM : « La situation concernant l’articulation de la capacité de recherche Web propre de Qwant avec Bing est peu claire », écrivent-ils, d’autant plus que « l’équipe constate que Qwant ne sait pas répondre précisément aux questions concernant l’enchaînement exact des traitements et ne sait pas quantifier son niveau d’utilisation réelle de Bing ». Les auditeurs ne peuvent pas « exclure un scénario dans lequel l’essentiel des réponses viendrait in fine de Bing ».
Entre 63% et 75% de dépendance à Bing…
Pour Qwant, qui proclame depuis longtemps que son moteur est « souverain », ces constats sonnent comme un désaveu. En annexe de la note, l’analyse technique des auditeurs se fait à la fois plus sévère et précise. Il y est relevé « des incohérences dans les durées de maintien en cache des différentes données, qui pourrait entraîner une situation dans laquelle les résultats de recherche sont composés quasi-exclusivement de résultats Bing depuis plusieurs mois ». Et d’y décrire un « fonctionnement par lots » qui souffre « de certaines limitations » et « qui [rend] par exemple difficile un rafraîchissement très régulier de certaines pages Web ».
En clair, la DINUM reproche à Qwant l’ambiguïté de fond sur la manière et l’ampleur de l’utilisation de Bing, mais également le fait que les résultats proposés par Qwant sont souvent datés – un vrai problème pour un moteur de recherche qui a l’ambition d’être utilisé par l’ensemble des fonctionnaires de l’État.
Les inspecteurs recommandent ainsi « de conditionner la signature de la note instaurant la généralisation de l’installation par défaut de Qwant à trois conditions : 1. une vérification dans les locaux de Qwant des affirmations de remise en place de l’indexeur et de la mesure de 60% de dépendance à Bing, ainsi qu’une vérification de la méthode de calcul de cette dépendance ; 2. la transmission quotidienne à la DINSIC du taux de dépendance à Bing ; 3. l’acceptation d’une clause de revoyure lors de la mise en place de la version 2 du moteur aux environs de janvier 2020 », accompagnée par « un nouvel audit » ».
Janvier 2020, c’est le moment qu’a choisi le secrétaire d’État Cédric O pour annoncer la généralisation de Qwant sur les postes informatiques de l’administration publique… alors que l’entreprise n’a toujours pas proposé une nouvelle version de son produit (pourtant nécessaire) aux internautes. Contacté par Le Média, le cabinet de Cédric O n’a pas donné suite à nos demandes d’explication, et reste étrangement silencieux.
Avant cette annonce ministérielle de janvier, les inspecteurs de la DINUM se sont en fait rendus une deuxième fois chez Qwant, en septembre 2019, pendant quelques heures. Les auditeurs mandatés semblent alors mettre un peu d’eau dans leur vin, après avoir récupéré un « indicateur d’autonomie ». Si ce dernier indique une évolution positive du recours à l’américain Bing, il est frappant de constater que les taux de dépendance de Qwant à l’égard de la société de Microsoft sont encore considérables. Ainsi, en juillet 2019, sept ans après sa création, le moteur de recherche, annoncé comme « souverain », utilisait Bing dans plus de 75 % de cas. Fin septembre, ce taux de dépendance avait baissé à 65 %. Autrement dit, près des deux tiers des requêtes web auprès de Qwant étaient encore traitées par Bing de Microsoft.
Taux de réponse quotidien à des requêtes web faisant appel à l’indexeur de Qwant (extrait du rapport de la Dinum).
Depuis, rien n’a évolué : dans une enquête publiée en avril sur le site NextINpact, le journaliste Jean-Marc Manach a examiné la dépendance de Qwant par rapport à Bing, en constatant que le service offert est toujours lacunaire et tout aussi dépendant du géant américain. Mis à l’épreuve, le moteur de recherche souverain fournit encore des résultats datés, dirige vers des pages qui n’existent pas ou qui ne sont pas mises à jour, ou affiche des théories complotistes en tête des résultats.
Reste un véritable mystère. Malgré ses failles patentes, l’entreprise jouit depuis un certain temps d’un soutien financier régulier de l’État. La consécration de Qwant par le gouvernement comme moteur de recherche officiel de l’administration ainsi que le capital injecté par la Caisse des Dépôts dès janvier 2017 viennent récompenser un produit dont l’efficacité est mise en question par ces mêmes institutions.
La Caisse des Dépôts au secours de Qwant
La Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), le bras financier des pouvoirs publics, détient aujourd’hui 20% de l’entreprise et compte réinvestir prochainement. L’objectif est notamment de sortir Qwant du rouge : l’entreprise aurait perdu 10 millions d’euros en 2017, et jusqu’à 11,2 millions d’euros en 2018. En mai 2020, la société n’avait toujours pas publié ses comptes de 2018, dérogeant à toutes les règles comptables habituelles.
Interrogée, la Caisse des Dépôts et Consignations nous a répondu par mail que « Qwant, qu’elle accompagne depuis sa création, est déjà un succès. En effet, un moteur a émergé dans la durée face aux autres grands moteurs ». Une définition singulière du « succès », puisque Qwant détient 0,78% du marché en France, moins qu’Ecosia, le moteur allemand qui s’appuie sur Bing.
Plus étonnant encore, pour le bras financier de l’État, Qwant répond à toutes les attentes : « Les audits sont satisfaisants et permettent donc à la Banque des Territoires (groupe CDC) de renouveler sa confiance en Qwant ». Ajoutant : « L’objectif est de capitaliser sur les fondamentaux technologiques démontrés de la société […]. Qwant doit disposer des moyens d’accélérer son déploiement dans les entreprises, notamment dans les secteurs industriels sensibles ».
Mystère dans le mystère, ce nouvel engagement de la Caisse des Dépôts est assorti d’une véritable reprise en main de l’entreprise… qui ressemble à une mise sous tutelle. Éric Léandri, PDG depuis 2016, l’un des actionnaires co-fondateurs de la société depuis 2011, a été écarté de ses fonctions. Officiellement, il a pris la tête d’un « comité consultatif chargé de définir les grandes orientations stratégiques de l’entreprise ». Dans les faits, il a perdu son pouvoir, son salaire, son bureau, et sa voiture de fonction (une Tesla). Ses plus proches – de hauts cadres qui étaient décriés par le reste des salariés – ont également été poussés vers la sortie.
Qwant s’est ainsi doté depuis janvier d’un « conseil de gouvernance » présidé par Antoine Troesch, directeur de l’investissement de la Banque des Territoires, l’une des directions de la CDC. Pour remplacer Léandri, la Caisse a choisi l’ancien directeur général adjoint, Jean-Claude Ghinozzi, un ancien cadre de… Microsoft : « J’ai rejoint Qwant alors que j’étais dans un grand groupe technologique [Microsoft, NDLR], justement pour travailler sur une alternative souveraine, centrée autour du respect de l’utilisateur et de sa vie privée », déclarait-il à Libération.
Dans le cadre de cette enquête, Le Média a tenté sans succès de rencontrer le nouveau dirigeant. Qwant n’a pas souhaité faire davantage de commentaires quant à sa situation financière et ses relations avec son actionnariat, tout en soulignant que « les audits réalisés depuis l’été dernier » ont « démontré notre capacité à développer notre indépendance technologique ».
En réalité, cela faisait plusieurs mois que certains actionnaires de la start-up essayaient par tous les moyens de remplacer Eric Léandri, tout puissant patron depuis 2016. Car l’année 2019 n’avait pas été tendre en termes de couverture médiatique. Différents médias, du Figaro au Canard Enchaîné, avaient relaté les difficultés de la start-up et pointé les responsabilités de la direction, accusée d’un style de management discutable.
La CDC, le bras financier de l’Etat qui a investi depuis 2017 plus de 20 millions d’euros dans le projet, commence alors à s’interroger sur le management interne ou les salaires dispendieux des cadres dirigeants, selon le site d’information La Lettre A. Mais le véritable coup de tonnerre est sonné par Mediapart, qui révèle qu’Eric Léandri faisait l’objet, jusqu’à la fin 2016, d’un mandat d’arrêt européen dans le cadre d’une enquête au sujet d’une escroquerie en Belgique. Interrogé peu de temps après par le site Clubic, Léandri préfère évoquer un complot contre son entreprise : « Il y a des gens qui sont allés très loin pour nous déstabiliser, je vous le confirme. Je sais qui et à quel poste, mais je ne peux pas en dire plus ».
Des patrons « protégés au plus haut niveau »
Suite aux alertes dans la presse, une bataille s’enclenche à l’intérieur de l’institution financière entre les pro et anti-Léandri : « La révélation qu’il a eu par le passé un mandat d’arrêt européen contre lui a fini par le décrédibiliser totalement au sein de la direction de la Caisse », analyse un ancien salarié. À la manœuvre, Olivier Sichel, un inspecteur des Finances, ex-PDG de Wanadoo (l’ancienne filiale internet de France Telecom), nommé directeur général adjoint de la Caisse en décembre 2017, et devenu également le patron de la Banque des Territoires. Le même Sichel qui « dès 2017, [alors qu’il était à la CDC, NDLR] a poussé à fond Qwant », selon un ex-conseiller de Mounir Mahjoubi, ex-secrétaire d’État au numérique…
Quoi qu’il en soit, à l’automne 2019, c’est lui qui mène la bataille contre Léandri au sein de la Caisse des Dépôts : « Dès que Sichel a dit qu’il fallait débrancher Léandri, il y a eu une levée de boucliers du côté des pouvoirs publics. Il y a eu des pressions sur la Caisse. Au plus haut niveau, on a beaucoup aidé le patron de Qwant. Il a de vraies protections. La consigne était qu’il fallait protéger le soldat Léandri. La Caisse devait donc lui trouver une sortie honorable, mais il n’y mettait pas du sien, ce qui nous a rendu la tâche encore plus ardue », nous confie un proche d’Olivier Sichel.
« La Caisse a brandi un véritable ultimatum, en conditionnant sa nouvelle aide au départ de Léandri de la direction de la société », analyse un ex de Qwant. L’action d’Olivier Sichel contre Éric Léandri en a froissé plus d’un au sein même de la Caisse des Dépôts où Qwant bénéficie de soutiens en interne. Au point qu’une note confidentielle, produite au sein de la direction, et synthétisant un scénario de sortie pour Léandri, a fini par « fuiter » auprès de Qwant. Preuve supplémentaire qu’Eric Léandri et son compère Jean-Manuel Rozan disposent de réseaux et relais puissants.
D’ailleurs, depuis qu’ils ont co-fondé Qwant, les deux associés historiques n’ont jamais lésiné sur les symboles de puissance. Plutôt que d’opter comme n’importe quelle autre start-up pour des locaux modestes dans les arrondissements parisiens à la mode du 10ème ou 2ème, ils ont préféré s’installer luxueusement au 7, rue Spontini dans le 16ème arrondissement, juste à côté du palace parisien le Saint James (où ils avaient leurs habitudes), à deux pas de l’avenue Foch et de la porte Dauphine. L’immeuble de verre de cinq étages où loge Qwant, pour 100 000 euros par mois, appartient en réalité à la Fradim, une société immobilière possédée par la famille Hariri, très proche de Jacques Chirac. Mais pour Qwant, ces locaux ostentatoires (et bien trop coûteux pour une jeune société qui vit sous perfusion d’investissements publics) vont bientôt faire partie du passé : à la Caisse des Dépôts, Olivier Sichel a donné l’ordre à Jean-Claude Ghinozzi d’y mettre un terme. Le prochain déménagement des locaux parisiens de Qwant est donc d’ores et déjà acté.
En réalité, au cœur de l’État, le dossier Qwant est devenu si sensible que chacun tente aujourd’hui, par tous les moyens, de se dédouaner de ses propres responsabilités. Un vrai changement. Car ces dernières années, la Macronie s’est particulièrement investie pour soutenir cette société qui devait représenter la success story de la start-up nation. « Une start-up nation est une nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une start-up. Je veux que la France en soit une », avait affirmé le futur président Emmanuel Macron en avril 2017 dans la dernière ligne droite de sa campagne, suscitant les espoirs de nombreux entrepreneurs du numérique.
Depuis, le chef de l’État n’a pas manqué une occasion de promouvoir le capitalisme numérique à la française : présence au salon Vivatech organisé chaque année à la porte de Versailles par Les Échos (dont le propriétaire est Bernard Arnault) et Publicis, promotion du label « French Tech » par l’État, visites à la « station F », ce lieu parisien créé par le milliardaire Xavier Niel, censé accueillir des centaines de start-up…
Photo d’illustration : Adrien Colrat – Le Média.
Journaliste, auteur
Le Média
18 mai 2020
* Journaliste, auteur de l’ouvrage « Le Grand Manipulateur. Les réseaux secrets de Macron », éditions Stock.