Le monde est ainsi fait qu’il peut être peuplé de gens éminemment vertueux comme ce remarquable personnage, se nourrissant de principes moraux et cultivant le sens de l’honneur et de la dignité, pendant que d’autres se laissent aller à toutes les turpitudes, s’abreuvant de la sueur d’autrui, de ceux mêmes qui ont eu à travailler pour eux, allant jusqu’à encourager la corruption et s’adonner à la fraude. Ceux-là font fi des principes précédents ; ils sont hélas nombreux et tiennent un double discours des plus hypocrites, pratiquant le culte mammonique. Les lanceurs d’alerte font un travail remarquable et louable de dénonciation des dérives et d’éveil des consciences, et il faut savoir qu’il n’y a pas que les circuits bancaires qui nuisent à la société ; il y a aussi les sectes et les organisations sectaires qui font des ravages et qui doivent impérativement être démasquées et montrées du doigt, dans une vaste action de salubrité publique.
Au lieu de prendre les 16 millions de dollars de récompense qui lui étaient promis, un lanceur d’alerte, ancien responsable de la Deutsche Bank, préfère y renoncer et dénoncer la collusion entre le système financier et les autorités de contrôle. Afin que toute son action ne soit pas vidée de son sens. Respect.
Ils n’en sont pas revenus. Les responsables de la Securities and Exchange commission (Sec), le gendarme boursier américain, ne s’attendaient pas à un tel refus. Alors qu’ils se proposaient de verser 16,5 millions de dollars de récompense au lanceur d’alerte qui les avait aidés à démonter un système de fraude au sein de la Deutsche Bank, celui-ci leur a opposé un« non merci » digne de Cyrano qui les a laissés sans voix.
Les autorités boursières semblent brusquement découvrir un autre univers : il y aurait donc des lanceurs d’alerte, qui interviennent au péril de leur carrière, de leur vie familiale, non pas par vengeance, par appât du gain mais au nom de la morale. On comprend leur embarras. Plus consternant encore pour eux : ce lanceur d’alerte poursuit sur sa lancée et dénonce maintenant le système d’allers-retours entre la Deutsche Bank et la Sec, illustrant à nouveau la capture des autorités de régulation par le système financier, ce qui explique qu’aucun réel responsable bancaire pendant la crise n’ait été condamné.
Dans une longue tribune publiée dans le Financial Times, Eric Ben-Artzi, ancien responsable des risques à la Deutsche Bank, explique les motifs de son geste. Son action était de lutter contre la fraude. C’est la raison pour laquelle il a dénoncé les faux comptes portant sur un portefeuille de produits dérivés exotiques de plus de 120 milliards de dollars de la banque pendant la crise, puis a accepté de travailler avec les équipes de la Sec. La Deutsche Bank a été condamnée à payer une amende de 55 millions de dollars. Mais finalement, la Sec n’a pas sanctionné les véritables responsables de la fraude, les dirigeants de la banque.« Deutsche Bank, écrit-il, n’a pas commis la fraude. Deutsche Bank en a été la victime. Pour être précis, les actionnaires de la banque et les salariés de base qui maintenant perdent leur emploi en masse sont les premières victimes. Pendant ce temps, les dirigeants du groupe sont partis avec des bonus qui se chiffrent en millions de dollars, calculés à partir des résultats faux de la banque. »
Pourquoi une telle mansuétude ? s’interroge l’ancien responsables des risques. Des dirigeants d’autres établissements, bien plus petits, qui avaient commis des fautes bien moins graves, ont eux été sanctionnés, relève-t-il. Les dirigeants de la Deutsche Bank appartiennent-ils donc à cette classe des intouchables, des « too big to jail » ?
L’explication pour lui est simple : la faute en revient au système de collusion qui existe entre le système financier et les autorités de régulation. Plusieurs personnes ont ainsi passé leur temps à faire des allers-retours entre la Deutsche Bank et la Sec, ont couvert les agissements de la banque pendant la crise financière avant d’avoir à les juger par la suite.« Cela s’est passé sous le regard de Mary Jo White, l’actuelle présidente de la Sec, qui entretient des relations avec les responsables nommés depuis 20 ans. Elle porte la responsabilité ultime de l’amende imposée à Deutsche Bank. »
Un statut de paria, des années de pression et de combat, une carrière gâchée, une vie familiale en pièces… tout cela pour ça. Son amertume rejoint celle de nombre de lanceurs d’alerte qui connaissent un sort déplorable – comme l’a raconté par exemple Stéphanie Gibaud –, sans doute à dessein : le système veillant à entretenir la maltraitance des lanceurs d’alerte, afin de dissuader tous ceux qui pourraient être tentés de rapporter ses méfaits.
« Je ne suis pas un croisé », jure l’ancien responsable des risques, avant de reconnaître que la prime offerte par la Sec a été un élément qui l’a amené à franchir le pas de la dénonciation.« J’ai besoin de cet argent plus que jamais », reconnaît-il. Mais alors que toute son action a été détournée de son but, refuser la récompense promise lui semble être le dernier acte de résistance possible, la seule façon de ne pas céder à la corruption ambiante, de donner encore un sens à tout ce qu’il a entrepris. « Après avoir tout subi de la part des responsables de la Deutsche Bank, je ne les rejoindrai pas simplement parce que je ne peux pas les battre », écrit-il.
En quelques mots, ce lanceur d’alerte rappelle ce qu’est l’honneur, la morale de l’action. Et on ne peut que le saluer, tant cette attitude se fait rare.« To be honest, as the world goes, is to be one man picked out of ten thousands. » (« Être […]
Martine Orange