I. Un légionnaire allemand en juillet 1960 nous parle de l’Algérie
Touchant l’Algérie, qui aura été la première expérience française de la civilisation islamique, terme mal entendu aujourd’hui sous le soleil noir du journalisme, mais a revêtu longtemps une dignité exprimée dans la langue classique, de Voltaire à Lamartine et à Gobineau, la mémoire de l’auteur se fixe sur un soldat allemand déserteur de la légion, entendu par lui dans le Brandebourg, à l’été 1960. Il était alors, avec des lycéens parisiens et basques ou des étudiants de la Sorbonne encore intacte et notamment plusieurs juifs immigrés de Pologne, dont l’une Hannah, nous tenant lieu d’interprète, avant guerre établis dans le Sentier de Paris et familialement germanophones par le yiddisch, dans un camp de travail de cette province limitrophe de la Pologne annexionniste ; et l’homme, de haute et fine stature, affublé d’une casquette carrée particulière à la paysannerie allemande, qui parlait avait, comme dit plus haut, déserté la Légion étrangère dans laquelle plusieurs anciens soldats s’étaient engagés pour échapper à la faim ravageant le pays surtout en 1947 – bien pire qu’en 1945-1946, du fait des restrictions scandaleuses imposées sadiquement par les Alliés, dont le futur et ignoble président Eisenhower, d’origine suédoise (voyez sa présentation affichée à West Point !) qui fit mourir de faim, en très grande quantité, ses prisonniers après la guerre dans des camps fermés à la Croix Rouge !
Cet homme lui déclarait qu’il avait pourtant combattu quatre ans en Russie, mais n’avait jamais connu autant de massacres qu’en Algérie. Les Algériens, par la frontière tunisienne, lui avaient fait gagner la Libye et de là il ne pouvait que revenir s’établir dans la zone d’occupation soviétique, mal dite Allemagne de l’Est, en fait ancienne partie centrale du pays ainsi découpée, bien avant les accords de Yalta de début février 1945 en Crimée, dès la conférence de Téhéran de fin novembre 1943, conclus entre Churchill, Roosevelt et Staline.
Cette Algérie ancienne ou contemporaine, dont l’histoire des origines est toujours débattue avec un parti-pris ou aveuglement postcolonial, nous revient, mais cette fois en langue latine, dans un ouvrage du fameux Père Jésuite breton quimpérois contemporain de Louis XIV, Jean Hardouin (1646-1729), sur lequel notre ami Salim Laïbi nous invita à faire une conférence, autrefois, portant sur la réforme de la chronologie : dans cet ouvrage latin posthume publié à Londres en 1756 et réédité, traduit en anglais par Edwin Johnson (1842-1901), publié en Australie (Sydney, 1909), intitulé Prolégomènes à la censure des anciens écrivains, l’érudit jésuite, ancien bibliothécaire au Collège des Jésuites de Louis-le-Grand (un fonds alors de 43.000 volumes !), évoque le royaume du Maroc et du Fezzan « ou d’Algérie ». L’Algérie existait bien donc politiquement, connue aux 17ème siècle sous ce nom et comme État ou royaume, avant l’entreprise coloniale longtemps préméditée, et avec sa culture islamique dont plusieurs soufis en religieux solitaires, comme nous l’apprîmes dans notre voyage en Algérie, de Salim Laïbi même parlant de la personne sainte ayant donné son nom au lieu de Sidi Ferruch ou Fredj , soutenaient la gloire et la réputation.
II. Acception laudative et non polémique du terme d’islamisme chez Voltaire, Lamartine et Gobineau
Ces souvenirs une fois présentés au jeune public, à la seule fin non d’étonner, mais d’instruire en des matières sur lesquelles notre enseignement académique de plus en plus décadent, en cet âge de fer, se tait, revenons à notre vocation première qui aura été de former l’esprit par des textes classiques capables de le nourrir durablement. Notre attention portera sur un terme défiguré, celui d’islamisme, tenu en grand honneur par les Voltaire et les Lamartine et Gobineau au chapitre second intitulé « L’islamisme persan » de son beau livre « Les Religions et les philosophies dans l’Asie Centrale » (1856) ; le premier – Voltaire s’entend – dans plusieurs écrits brillants et érudits jamais superficiels, dont son magistral Essai sur les Mœurs et l’Esprit des Nations (1756), que les éditions anglaises d’Oxford (!) ont réédité en français en 2019 et qui est une réhabilitation de la figure du noble Prophète (PBSL), cependant qu’il faut savoir que sa pièce de théâtre intitulée Le Fanatisme ou Mahomet le prophète représentée à Lille en 1741, à Paris l’année suivante, et qui sera censurée après trois représentations par le Parlement, est une charge discrète, ferme et polie, adroite et audacieuse en son temps, contre le pouvoir papal. Et ce, en dédicaçant adroitement l’œuvre au Pape même, qui l’en remerciera gracieusement.
Le terme d’islamisme figure avantageusement dans sa magistrale œuvre historique citée plus haut, et ceci relève d’une attitude intellectuelle élevée que ce grand travailleur aura qualifiée, en forgeant ce terme qui aura sa fortune en Allemagne, de « philosophie de l’histoire » ! Il est par ailleurs remarquable que notre siècle si féru de laïcité, qui est une manière d’étouffer tout instinct religieux, ou aussi d’émancipation sexuelle et agitant d’autres pancartes, telle que le droit de blasphémer, fasse, dans l’enseignement, l’impasse sur ce XVIIIe siècle français devenu ainsi un parent pauvre de la culture ! En revanche l’on exalte l’œuvre et l’instinct morbide révolutionnaire, (le droit au blasphème devenant le droit à noyer prêtres et religieuses dans la Loire !), sans noter qu’il fut précisément la destruction de ce siècle de culture, de raffinement et d’érudition, dont témoigne la pureté de la langue. Comparez le français de ce temps avec celui de nos prétendus maîtres du jour.
III. Sur la manière voltairienne de rectifier un préjugé
« Voici une grande dispute. Mon maître veut absolument que Mahomet ne sût ni lire ni écrire. Je ne l’aurais pas choisi pour mon facteur en Syrie s’il avait été si ignorant. Je sais bien qu’il s’appelle lui-même le prophète non lettré dans le chapitre VII ; mais je prie mon critique d’observer que ce chapitre VII est plein d’érudition : qu’il le lise, il sera obligé de convenir, à sa honte, que Mahomet est un homme savant et modeste. » Mélanges historiques, (Œuvres Complètes de Voltaire, tome trente-troisième, édition de Kehl, 384 pp., p. 130).
Et dans la suite, ce qu’écrit, dans la même veine, celle des hommes libres et instruits, de bonne foi, le comte Gobineau (1816-1882) : « On a souvent reproché à l’islam d’avoir exagéré la croyance au fatalisme et partant propagé les principes délétères qui en sont la conséquence. C’est une erreur et une injustice… ». Et de souligner que – « On le voit dans le Korân, on le voit dans les hadys ou traditions – que l’homme est libre, qu’il répond de son salut et de sa damnation ; qu’il peut être fidèle et qu’il peut être coupable, et qu’en ouvrant le paradis ou l’enfer, Dieu ne fait qu’exercer sa justice et le rémunérer d’après ce qu’il a librement mérité. » (op. cit., ch. IV, « Le soufisme – La philosophie »).
Je citerai enfin Alphonse vicomte de Lamartine (1790-1869), qui a été, trois mois durant, de fin février à mai 1848, ministre des Affaires Étrangères, par ailleurs franc-maçon par sa souche familiale paternelle militaire, comme presque toute la littérature française du XIXe siècle, de Chateaubriand ou Victor Hugo à Verlaine, en passant par Gérard de Nerval mort certainement assassiné, Guy de Maupassant, Baudelaire, Gustave Flaubert etc., souvent comme Hugo d’une famille maçonnique de chirurgiens militaires ou généraux de l’Empire napoléonien ! Je rappelle incidemment que Voltaire n’a jamais été initié sérieusement ou régulièrement (tout comme le roi en Prusse Frédéric le Grand, qui s’en explique dans une lettre au frère maçon mathématicien D’Alembert) à l’organisation, ni Rousseau, seulement par une cérémonie publique, un mois et demi avant sa mort, devant des comédiennes de théâtre, sur l’initiative de Benjamin Franklin !
IV. Préface de Lamartine à son Histoire de la Turquie (1854)
Lamartine a composé un ouvrage en six tomes sur l’Histoire de la Turquie, publié à Paris en 1854, dans lequel il prend parti pour la civilisation musulmane contre ce qu’il désigne franchement comme le despotisme russe. Ouvrons la préface : « Réveillés en sursaut de leur long sommeil par le péril de leur race et de leur nom, attaqués en pleine paix par l’envahissement de leurs mers et de leur territoire, insultés dans leurs foyers, outragés dans leur indépendance, submergés de toutes parts par des armées de ces Moscovites qui prennent leur nombre pour droit et le fer pour titre, les Turcs, debout sur ce qui leur reste de frontières, les armes du désespoir à la main, combattent sans regarder devant eux ni derrière eux pour savoir si la Turquie ressuscitera dans son sang ou pour mourir avant le dernier jour de leur patrie. »
« ../.. Avant de raconter l’histoire de cet empire qui remplaça un moment l’empire romain dans cet Orient, berceau des peuples et théâtre des plus merveilleuses transfigurations des races humaines, il est nécessaire », et nous conclurons ainsi avec notre compatriote aristocrate qui s’éleva à la Chambre des Pairs (équivalent de notre Sénat) contre les enfumades, dans les grottes, ordonnées par le général Bugeaud (mort en 1849) » de raconter la naissance et le progrès de l’islamisme et de la religion de Mahomet » (op. cit. chapitre I) »
Nous nous proposions de faire connaître brièvement la dignité première de ce terme. La tâche, espérons-le, aura été, Dieu soit loué, accomplie.